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Inde: la politique gouvernementale responsable du terrible bilan de suicides en milieu ruralPar M. Kailash Utilisez cette version pour imprimer Selon les chiffres officiels, l'endettement, les mauvaises récoltes et l'incapacité de rembourser leurs emprunts en raison de taux d'intérêt élevés ont conduit 25.000 paysans indiens à se suicider durant les années 1990. La négligence systématique de la paysannerie indienne forte de plusieurs millions ainsi que la politique d'économie libérale appliquée par les gouvernements successifs sont responsables de cet état de fait. Le 19 février, Alladi Rajkumar, haut parlementaire membre du parti de l'opposition Telugu Desam (TDP) de l'état d'Andrha Pradesh au sud de l'Inde, rapporta devant le sénat indien que plus de 3.000 fermiers s'étaient suicidés au cours des 22 derniers mois du gouvernement dirigé par le parti du Congrès. La détérioration des conditions de vie de la paysannerie était un élément significatif de la défaite du précédent gouvernement TDP. Andrah Pradesh est devenue une des régions principales de l'Inde pour ce qui est de l'investissement des grands groupes transnationaux. Sous des gouvernements dirigés par le Congrès comme par le TDP, l'Etat a fonctionné en grande partie selon des directives budgétaires formulées par la firme américaine McKinsey, par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Tandis que l'Etat s'est ouvert brutalement aux activités des groupes transnationaux, on n'a pas tenu compte des pauvres des campagnes. Andhra Pradesh a enregistré un taux de suicides de paysans parmi les plus élevés du pays. Entre l'année 1997 et le mois de janvier 2006, plus de 9.000 paysans se sont suicidés en raison des mauvaises récoltes cotonnières. En 2000, 22 paysans du district de Kundoor ont vendu leurs reins afin de payer leurs dettes. L'état du Punjab a également enregistré un fort taux de suicides de paysans. Selon les déclarations du gouvernement d'état, il y avait eu 2.116 cas de suicides entre 1998 et 2005. Les Organisations non-gouvernementales mettent en avant l'argument que ce chiffre est considérablement sous-évalué. Inderjit Jayjee, du Mouvement contre la répression étatique, a déclaré le 2 avril au journal indien Tribune : «Dans le bloc de Andan et Lehra du sous-district de Moonak à Sangrur uniquement on a enregistré 1.360 suicides de paysans entre 1998 à 2005. Si l'ensemble des 138 blocs de tout le Punjab ont plus, voire le même niveau de suicides, le chiffre dépasserait les 40.000 pendant la période donnée. » Ce bilan de suicides ne se limite nullement à ces deux états. L'état de Maharashtra, dans l'ouest de l'Inde, a constaté plus de 250 suicides de paysans dans le district de Vidarba au cours de six mois, de juin 2005 à janvier 2006. Sharad Pawar, ministre de l'agriculture du gouvernement de l'Alliance progressiste unie (UPA) dirigé par le Congrès, a déclaré le mois dernier au parlement que des cas de suicides ont été également reportés dans les états de Karnataka, Kerala, Gujarat et Orissa. Dans une interview du 15 novembre 2005, accordée au Indian Express, Pawar a affirmé que : «La communauté paysanne a été ignorée dans ce pays et ce tout spécialement au cours de ces dix dernières années. L'ensemble des investissements effectués dans le secteur agricole est en baisse Vous serez surpris d'apprendre qu'en ce qui concerne l'allocation budgétaire, on n'a pas alloué plus de 2 pour cent à l'agriculture où plus de 65 pour cent de la population travaille Au cours de ces dernières années, l'allocation budgétaire moyenne du gouvernement indien destinée à l'irrigation est inférieure à 0,35 pour cent.» Cette négligence de l'irrigation, dit-il, a forcé 60 pour cent des régions agricoles à «dépendre totalement de l'imprévisible mousson.» Durant la campagne pour l'élection nationale de 2004, les dirigeants du Congrès tels la présidente Sonia Gandhi et Manmohan Singh, lequel est devenu premier ministre, ont versé des larmes de crocodiles sur les suicides de paysans. Le manifeste électoral du Congrès a promis de « débarrasser le pays de la pauvreté, de la famine et du chômage ». Dans la pratique, cependant, le gouvernement UPA a démontré que son attitude à l'égard des paysans n'est en rien différente de celle de son prédécesseur. Dans son budget présenté le 28 février, les moyens alloués à l'agriculture atteignaient tout juste un pour cent. La pièce maîtresse de la politique de l'UPA destinée aux régions rurales réside dans le projet cosmétique du National Rural Employment Guarantee Scheme (NREGS). Le gouvernement a promis qu'un membre de chaque foyer rural bénéficierait de cent jours de travail par an et payés tout juste 60 roupies (1,33 dollar US) par jour. Bien que le projet faisait partie du soi-disant programme minimum commun (Common Minimum Programme, CMP) de l'UPA durant l'élection de 2004, son entrée en vigueur a été repoussée à février 2006. De plus, alors que l'évaluation initiale du projet s'élevait à 400 milliards de roupies (9 milliards de dollars US) par an, la somme allouée dans le budget national présenté le 28 février était tout juste de 117 milliards de roupies. En 1928, le rapport de la Commission royale sur le sort des paysans durant la période de domination coloniale britannique de l'Inde déclarait que les paysans vivent et meurent endettés. Cette même règle de base s'applique aujourd'hui à la plupart des paysans. L'endettement des paysans indiens a considérablement augmenté durant les années 1990 suite à l'introduction par des gouvernements indiens successifs de réformes de marché et d'ouverture de l'économie indienne aux investisseurs étrangers. Avant 1991, 25 pour cent des paysans indiens étaient endettés. A présent, et selon des chiffres avancés en janvier par P. Sainath, rédacteur en chef des affaires rurales du journal The Hindu, 70 pour cent des fermiers de l'état d'Andhra Pradesh sont endettés. Au Punjab, le chiffre est de 65 pour cent, au Karnataka de 61 pour cent et au Maharashtra de 60 pour cent. Les actions du gouvernement sont directement responsables de cette hausse. Selon un rapport de 2003 de la Reserve Bank of India, les diktats de la Banque mondiale ont eu pour conséquence une baisse constante des crédits ruraux accordés par les banques gouvernementales et les associations coopératives aux petits et moyens paysans. Les crédits ont chuté de 15,9 pour cent en juin 1990 à 9,8 pour cent en mars 2003. Ce changement de la politique gouvernementale a forcé les petits et moyens paysans à recourir à des prêteurs individuels, et ce à des taux d'intérêt exorbitants de 40 pour cent ou plus par an, pour l'achat des semences, des engrais et autres produits agricoles. «Les banques n'ont accordé aucun prêt au cours de ces sept dernières années,» a expliqué Malla Reddy, secrétaire général d'Andhra Pradesh Ryuthu Sangham (APRS). «Il y a tant de paysans obligés de dépendre de telles sources de crédit. C'est la même personne qui leur dit ce qu'il faut acheter puis fixe les taux pour l'achat.» De plus en plus de fermiers n'arrivent pas à gagner suffisamment pour rembourser leurs emprunts et s'endettent donc de plus en plus. De par le continent indien, plus de 43,4 millions de familles paysannes sont fortement endettées. Les petits et moyens paysans sont les plus durement touchés. Le nombre de familles rurales sans terre est passé entre 1987 et 1998 à 35 pour cent pour culminer à 45 pour cent entre 1999 et 2000. Entre 2003 et 2005, ce chiffre a fait un bond spectaculaire pour atteindre 55 pour cent. Parallèlement, les paysans sont confrontés à des revenus en baisse. Selon un rapport du ministère de l'Agriculture, le revenu des cultivateurs de riz de l'ouest du Bengale a chuté de 28 pour cent depuis 1996-97. Durant la même période, le revenu des producteurs de canne à sucre d'Uttar Pradesh est tombé de 32 pour cent, alors qu'au Maharashtra, les producteurs de sucre de canne ont perdu 40 pour cent. La baisse constante des investissements dans le secteur des infrastructures et les coupes dans les subventions de l'Etat, auxquelles s'ajoutent la sécheresse, les inondations et les infestations d'insectes contribuent à l'augmentation de la misère sociale de la population rurale. Selon l'économiste agricole, Rahul Sharma, de New Delhi, le coût de la production rurale a augmenté de 300 pour cent depuis les années 1990, dû en grande partie à la politique gouvernementale. En Andhra Pradesh, les tarifs de l'électricité ont augmenté cinq fois entre 1998 et 2003. Comme le gouvernement a supprimé les subventions aux paysans, les prix de l'équipement agricole se sont envolés. En raison de la déréglementation, la qualité des semences a baissé. Dans le passé, le gouvernement indien réglementait que le taux minimum de germination des semences devait être de 85 pour cent au moins. Suite à des pressions exercées par l'industrie, le taux minimum a été réduit à 60 pour cent. Les paysans indiens sont confrontés à une concurrence mondiale plus importante en raison de la déréglementation des marchés agricoles. En 1999, le gouvernement fédéral indien conduit par le Bharatiya Janatha Party (Parti du peuple indien, BJP) a signé un pacte avec les Etats-Unis pour accorder aux producteurs américains la permission d'importer 1.429 produits agricoles auxquels l'entrée du marché interne était interdite jusque-là. Le gouvernement UPA du premier ministre Singh poursuit présentement la politique libérale de restructuration de l'économie. Durant la visite début mars du président américain, George Bush, en Inde, Singh a signé un accord ouvrant davantage encore le secteur agricole à des firmes telles la firme transnationale de l'agrochimie Monsanto. Ces mesures ne feront qu'exacerber davantage les conditions
de vie déjà intolérables des paysans indiens. Voir aussi:
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