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Le FBI effectue une descente sans précédent au bureau d'un députéPar Kate Randall Utilisez cette version pour imprimer Au cours de la fin de semaine, le FBI a procédé à une perquisition dans le bureau du député de la Louisiane, William Jefferson. Une telle action constitue une première intrusion de la sorte par une agence de la branche exécutive dans un bureau d'un membre du Congrès en poste de toute l'histoire des États-Unis. Lors d'une conférence de presse lundi, Jefferson, un démocrate, a dénoncé la perquisition comme une «violation scandaleuse de la séparation des pouvoirs». La perquisition du bureau de Jefferson dans le Rayburn House Office Building samedi soir était une transgression politiquement motivée des limites constitutionnelles, dont le but était d'affirmer le pouvoir de la branche exécutive aux dépens de la branche législative. Elle est une autre indication politique que le gouvernement s'oriente vers une forme dictatoriale de gouvernance. Cette action était un signal indubitable envoyé à tout député qui pourrait être enclin à enquêter sérieusement sur la myriade d'actes illégaux et inconstitutionnels de l'administration, et à tenir pour responsables des membres dirigeants de l'administration. Il y a sans aucun doute, d'autres calculs politiques en jeu. Le choix d'un démocrate comme cible de la perquisition n'a pas été accidentel, étant donné le bourbier de scandales de corruption et de trafic d'influence dans lequel se sont enfoncés les républicains durant les derniers mois. Jefferson est le sujet d'une enquête de corruption. Le FBI étudie des allégations selon lesquelles il aurait accepté des centaines de milliers de dollars en pots-de-vin pour faire la promotion de projets d'entreprises au Niger, au Cameroun et au Ghana. Ses résidences à la Nouvelle-Orléans et dans la région de Washington ont été fouillées par le FBI en août dernier. Dans une déclaration sous serment dévoilée dimanche, le FBI a déclaré avoir la preuve qu'il avait filmé Jefferson acceptant $100.000 en pots-de-vin et qu'il avait retrouvé $90.000 de ce même argent dans le congélateur de son appartement. Deux autres individus ont plaidé coupable d'avoir soudoyé Jefferson pour qu'il fasse la promotion de la compagnie de câblodistribution et d'Internet située au Kentucky, iGate. La réaction venant des républicains les plus en vue a mis en évidence l'énormité et le caractère sans précédent de l'opération du département de la Justice. Bill Frist, chef de la majorité au Sénat, a déclaré qu'il était «très préoccupé» à propos de l'incident et il a affirmé que le Sénat et les avocats de la Chambre des députés en feraient l'étude. Lors d'une déclaration puissamment formulée, le président de la Chambre Dennis Hastert (républicain, Illinois) a protesté au sujet de «l'abus de pouvoir de la branche exécutive.» Il a poursuivi en disant: «Je suis très préoccupé par la nécessité d'une perquisition de nuit, le samedi, dans le bureau du député Jefferson sur la colline du Capitole, en quête d'informations qui étaient déjà sous citation et à un moment où ces citations étaient encore en instance et où tous les documents qui avaient été cités étaient conservés.» Hastert a ajouté: «Les pères fondateurs ont fait très attention d'établir dans la constitution une séparation des pouvoirs pour protéger les Américains contre la tyrannie d'une des branches du gouvernement. Ils étaient particulièrement préoccupés par la limitation des pouvoirs de la branche exécutive. «Autant que je sache, depuis la fondation de notre république voilà maintenant 219 ans, le département de la Justice n'avait jamais jugé nécessaire de faire ce qu'il a fait samedi soir, transgressant cette ligne de la séparation des pouvoirs, afin de mener à bien une poursuite de corruption contre des membres du Congrès Rien de ce que j'ai appris durant les 48 dernières heures ne m'incite à croire qu'il soit nécessaire de modifier le précédent établi au cours de ces 219 années.» L'ancien président de la Chambre des représentants Newt Gingrich a fait parvenir un courrier électronique aux sénateurs républicains dimanche soir : «Ce qui s'est produit samedi soir est le viol le plus évident de la séparation des pouvoirs garantie par la constitution que j'ai vu de toute ma vie Je suis choqué par cet abus de pouvoir.» Le représentant David Dreier, le républicain de Californie qui préside le Comité du règlement de la Chambre des représentants a dit: «Je crois que c'est vraiment outrageux». Le dirigeant de la majorité républicaine à la Chambre, John Boehner, discutant avec les journalistes dans une rencontre sans caméras, a dit qu'il se demandait si les gens du département de la Justice avaient lu la constitution dernièrement. Il a prédit que cette question pourrait éventuellement se retrouver devant la Cour suprême. Le dirigeant de la minorité démocrate à la Chambre, Nancy Pelosi (démocrate, Californie) a répondu par une légère réprimande, déclarant que les «membres du Congrès devaient obéir à la loi et coopérer entièrement avec toute enquête criminelle», mais que «les enquêtes du département de la Justice doivent être menées en accord avec les protections constitutionnelles et les précédents historiques». La fouille d'un bureau d'un représentant au Congrès viole la clause «débat ou discours» de la constitution américaine (article 6, section 1) traitant de la branche législative. Cette clause avait pour objectif de protéger les législateurs de toute intimidation de la part de la branche exécutive et a souvent été très largement confirmée par les tribunaux tout au long de l'histoire. L'origine de cette clause peut être retracée à une clause semblable de la Charte des droits anglaise de 1689 qui visait à protéger l'indépendance du Parlement devant la monarchie. Charles Tiefer, un professeur de droit de l'université de Baltimore, a commenté dans le Washington Post que la descente dans le bureau de Jefferson constituait «une tactique d'intimidation qui n'avait jamais été utilisée contre la branche législative». Il a ajouté: «Ceux qui l'ont élaborée [la constitution américaine] doivent se retourner dans leur tombe.» Donald Ritchie, un historien travaillant pour le Sénat, a dit que son bureau ne pouvait retracer aucun incident similaire, même si des domiciles et des bureaux de législateurs ont déjà été fouillés auparavant. L'information rendue publique depuis samedi soir ne laisse aucun doute que les représentants de l'administration Bush étaient bien au fait qu'ils s'avançaient sur un terrain interdit par la constitution en effectuant la descente. Lorsqu'il a obtenu un mandat de perquisition d'un juge du district fédéral de la banlieue de Virginie, le département de Justice a décrit la procédure spéciale qu'il suivrait, y compris la présence d'une «équipe de filtrage» qui s'assurerait que la fouille ne touche pas à du matériel législatif protégé. L'«équipe de filtrage», qui était constituée de procureurs et d'agents du FBI que le département de Justice déclare ne pas être liés à l'enquête, inspecterait chacun des items et des documents saisis pour déterminer si oui ou non ils bénéficiaient d'un privilège de protection et donc s'ils n'étaient pas couverts par le mandat de perquisition. Il est clair, toutefois, que les membres de cette équipe sont redevables au département de la Justice, une agence de la branche exécutive qui est elle-même redevable, en bout de ligne, à la Maison Blanche. En tant que tel, ce «garde-fou» revient à établir les pouvoirs présidentiels sur la branche législative. Un autre signe de la nature calculée de l'opération est le fait que les fonctionnaires du FBI ont activé un centre spécial de contrôle dans le seul but de surveiller la descente. Justifiant celle-ci face au tollé de protestations de membres du Sénat et de la Chambre, le procureur général Alberto Gonzales s'est contenté de dire lundi: «J'admets que c'étaient des mesures peu communes qui ont été prises en réponse à des circonstances peu communes.» Mardi, il affirmait que son bureau avait décidé que la descente au bureau de Jefferson était «absolument essentielle pour faire avancer l'enquête». C'est à peine plausible, étant donnée la masse de preuves que le gouvernement avait évidemment déjà réunie contre le député démocrate. Il n'y avait, d'ailleurs, aucune raison légitime d'éviter la procédure normale consistant à délivrer une citation. La descente au bureau de Jefferson par le département de Justice doit être vue dans le cadre de l'assaut frontal que mène l'administration Bush sur les procédures démocratiques et les garanties constitutionnelles traditionnelles. C'est un gouvernement qui fonctionne dans le secret et refuse de rendre des comptes au congrès ou au peuple américain. Ses méthodes et sa politique -- une guerre illégale basée sur des mensonges, la torture, des prisons secrètes et des kidnappings, le refus d'une procédure équitable et du droit à l'habeas corpus, un vaste programme secret d'espionnage sans mandat des Américains, le refus répété de remettre des documents au Congrès ou de permettre à des fonctionnaires de la Maison Blanche de témoigner à des enquêtes du Congrès, l'utilisation de l'armée pour des opérations policières au pays en violation à la loi posse comitatus -- font partie de préparatifs pour la mise en place d'un État policier qui sont à un stade bien avancé. Il y a seulement trois jours, Gonzales a indiqué que le gouvernement envisageait de poursuivre des journalistes pour avoir révélé, sur la base de fuites orchestrées par des dénonciateurs au sein des services de renseignement, l'établissement par l'Agence nationale de sécurité d'une base de données qui conserve les relevés des appels téléphoniques de plus de 200 millions d'Américains, ainsi que l'existence de prisons secrètes de la CIA à l'étranger où des présumés terroristes sont détenus indéfiniment sans le moindre accès à une procédure judiciaire. Il a dit que le gouvernement avait l'autorité légale pour poursuivre des journaux et des journalistes pour de telles révélations. Une semaine plus tôt, le 15 mai, deux journalistes de ABC News ont indiqué que le FBI, sur demande de la CIA, les avait mis sous écoute téléphonique. Le fait de condamner la descente du FBI n'implique aucun soutien politique pour Jefferson ni ne suggère qu'il est innocent des accusations de corruption. En fait, la corruption effrénée à Washington, qui implique les deux partis et où l'argent provenant du milieu des affaires est utilisé de façon éhontée pour acheter des membres du Congrès et leurs votes, est elle-même une manifestation du même processus de décomposition politique. Les deux partis sont complices dans l'adoption de mesures anti-démocratiques dont le but essentiel est de défendre la domination d'une petite élite financière qui s'enrichit en sapant le niveau de vie de larges couches de travailleurs. Dans ce cas-ci, l'administration Bush a utilisé des
allégations de corruption en tant que prétexte
pour lancer un autre assaut sur le principe constitutionnel de
la séparation des pouvoirs entre les diverses branches
du gouvernement -- l'exécutif, le législatif et
le judiciaire -- afin d'aller encore plus loin sur la voie d'une
dictature présidentielle. Voir aussi:
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