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Malgré l'opposition populaire, le Canada intensifie de façon spectaculaire son intervention militaire en AfghanistanPar Keith Jones Utilisez cette version pour imprimer Le gouvernement minoritaire conservateur du Canada procède à un développement spectaculaire, tant par son importance que par sa portée, de l'opération de contre-insurrection des Forces armées canadiennes dans le sud de l'Afghanistan. En effet, les mesures annoncées par le gouvernement cette semaine feront de la mission de l'armée canadienne en Afghanistan la plus importante intervention à l'étranger, et de loin, depuis la deuxième Guerre mondiale. Au total, 2300 soldats des Forces armées canadiennes (FAC) sont présentement déployés dans la région de Kandahar, où ils coordonnent et effectuent des opérations de combat en collaboration avec l'armée américaine, qui maintient une importante force d'occupation dans le sud de l'Afghanistan depuis 2001. Lundi, les conservateurs ont informé les partis de l'opposition qu'ils présenteraient une motion au parlement pour faire approuver une «prolongation» de deux ans de la mission des FAC en Afghanistan, soit jusqu'en février 2009. Mercredi, en ouvrant le débat spécial d'une durée de six heures sur la motion des conservateurs, le premier ministre Stephen Harper a révélé que les FAC assumeraient le commandement général de l'opération de contre-insurrection des États-Unis et de l'OTAN en Afghanistan, pour une durée d'un an, à partir de février 2008. Présentement, les FAC sont chargées de diriger une brigade multinationale de l'OTAN dans le sud de l'Afghanistan, le centre de la résistance talibane qui s'oppose au régime mis en place par les États-Unis à Kaboul. Cette brigade agit comme section d'une force américaine beaucoup plus grande, l'opération «Liberté immuable». Mais plus tard au cours de l'année, l'armée américaine réduira, comme elle l'a précédemment fait dans la région de Kaboul, ses opérations à Kandahar et cédera le commandement officiel de la campagne de contre-insurrection dans le sud de l'Afghanistan à l'OTAN et à sa Force internationale d'assistance à la sécurité. Le but de ce changement est de permettre à l'armée américaine de concentrer ses forces et ses plans stratégiques sur sa campagne sanglante de pacification de l'Irak. Par conséquent, ce que les conservateurs ont présenté comme une «prolongation» de la présence des FAC en Afghanistan est en réalité une spectaculaire intensification, par laquelle le Canada fournira la majorité des soldats et du leadership militaire à la force de l'OTAN qui assumera le leadership dans la répression de l'insurrection des Talibans. Le vote et le débat parlementaires sur la motion des conservateurs, qui ont approuvé cette spectaculaire intensification du rôle des FAC, étaient une comédie. Bien que l'actuel déploiement des FAC en Afghanistan ne doive pas se terminer qu'avant huit mois, et que le gouvernement n'ait abordé la possibilité de le «prolonger» que lundi, Harper et ses conservateurs ont insisté qu'un vote sur leur motion était une question de grande urgence qui ne pouvait être remise à plus tard. Le gouvernement n'a fourni pratiquement aucune information sur ce qu'impliquerait la mission des CAF, et la majorité de son discours, avec ses multiples affirmations selon lesquelles la mission «est la même qu'auparavant», était malhonnête. Les questions de l'opposition: qu'est-ce qui déterminerait le succès de la mission, qu'est-ce que le gouvernement ferait si la mission tournait mal et combien cela allait-t-il coûter, soit le même genre de questions que l'actuel ministre conservateur de la Défense posait, le 15 novembre dernier, au gouvernement libéral à cette date, se butèrent à des diffamations, des incohérences et une fanfaronnade nationaliste copiées sur les discours de George W. Bush. À plusieurs reprises, les conservateurs ont accusé l'opposition d'affaiblir nos soldats sur le champ de bataille et de vouloir retirer au Canada ses responsabilités dans la lutte pour la liberté. Pour couronner le tout, Harper a annoncé juste avant le début du débat de mercredi que son gouvernement était prêt à défier la volonté du parlement afin de s'assurer que l'intervention des FAC en Afghanistan serait prolongée. Harper a alors juré que si sa motion était rejetée, il utiliserait les pouvoirs accordés à l'exécutif sous la constitution canadienne pour prolonger la mission des FAC d'un an, jusqu'en février 2008. Il a ajouté qu'il pourrait tenter d'obtenir le mandat de prolonger la mission au-delà de 2008 lors de prochaines élections. Si le gouvernement a agi de façon si rude et si antidémocratique en imposant sa motion à un Parlement qui était de toute façon d'accord avec ce que cette motion demandait, c'est parce que le gouvernement connaît et craint au plus haut point l'opposition populaire générale à l'intervention des FAC en Afghanistan. Au grand dam de l'élite canadienne, les sondages ont constamment montré qu'il y a plus de Canadiens qui s'opposent à la mission de contre-insurrection qu'il y en a qui l'appuient. Alors qu'il y a eu une modeste augmentation de l'appui populaire au déploiement des FAC dans les semaines qui ont suivi la visite de Harper en Afghanistan en mars et le déferlement pro-intervention dans les médias, le plus récent sondage montre que 54 pour cent des Canadiens sont en désaccord avec le déploiement des troupes canadiennes en Afghanistan. En agissant maintenant, Harper espère pouvoir commencer une augmentation importante de l'implication militaire du Canada en Afghanistan avant que cette opposition ne devienne encore plus importante et trouve son expression dans des manifestations. Une des principales préoccupations du gouvernement est d'arriver à contrôler les retombées politiques des morts et blessés au sein des CAF. Imitant les actions de l'administration Bush, le gouvernement Harper a récemment interdit aux médias de couvrir le retour des cercueils de quatre soldats et leurs funérailles. Quant à la motion parlementaire, elle visait deux objectifs. Le premier était de lier les partis de l'opposition aux plans du gouvernement en grande partie cachés d'augmenter l'implication du Canada en Afghanistan. Le deuxième, plus important, de renforcer les efforts du gouvernement de dépeindre ceux qui s'opposent aux actions des FAC en Afghanistan comme étant déloyaux et antidémocratiques. Harper, toutefois, a frôlé l'échec. L'attitude brutale et secrète du gouvernement et son échec à offrir l'assurance que les FAC n'étaient pas entraînées dans un bourbier (après tout l'armée américaine n'a pas réussi à réduire les Taliban au silence après cinq années d'un déploiement massif) a alarmé plusieurs députés de l'opposition. Même John Ibbitson, chroniqueur au Globe and Mail, néo-conservateur et grand partisan de l'expansion de l'intervention des FAC en Afghanistan, a qualifié la tactique des conservateurs de «honteuse». En fin de compte, la motion des conservateurs est passé avec 4 voix de majorité seulement, 149 contre 145, grâce à l'appui qu'a offert au gouvernement environ le quart des députés libéraux. Depuis qu'il a pris le pouvoir en février, le gouvernement Harper a placé l'Afghanistan au centre de sa politique étrangère et militaire, proclamant que l'intervention des FAC dans ce pays symbolisait le rôle plus important que le Canada voulait jouer dans les affaires mondiales et la bonne façon de faire usage de l'armée canadienne. En ligne avec leurs tentatives de faire des FAC un instrument plus important et plus capable de la politique étrangère et de la stratégie géopolitique du Canada, Harper et ses conservateurs ont cherché à raviver la tradition militaire canadienne tout en jetant aux orties la notion datant des années 1970 que le Canada est un «gardien de la paix». Les conservateurs jouissent en cela de l'appui solide de l'élite du monde des affaires canadien. En fait, en autant qu'il y ait eu des critiques dans la presse de la politique militaire et étrangère des conservateurs, ce fut du point de vue qu'ils auraient dû aller encore plus vite dans le budget qu'ils ont présenté ce mois-ci pour mettre en oeuvre leur promesse d'augmenter les dépenses militaires canadiennes pour qu'elles atteignent les 20 milliards dès 2010. À l'unanimité, les éditorialistes des principaux quotidiens du pays, le Globe and Mail, le National Post et La Presse, ont fermement appuyé la décision du gouvernement de renforcer l'intervention militaire en Afghanistan. «Les Canadiens, s'est plaint le Globe, sont toujours attachés au mythe que le rôle historique de ce pays dans le monde est d'être un gardien de la paix. Même si cela était vrai, et il faut ignorer les deux Guerres mondiales et la guerre de Corée pour le croire, le monde a changé et le Canada doit s'adapter... Quitter l'Afghanistan maintenant déshonorerait le Canada.» La motion des conservateurs a enragé et a troublé les trois partis de l'opposition, les libéraux, le Bloc québécois (BQ) et le Nouveau Parti démocratique (NPD). Ils ont été enragés parce qu'il était si évident que le gouvernement a tenté de les forcer à lui donner un chèque en blanc pour une affaire militaire risquée. Ils ont été troublés parce qu'ils peuvent déjà percevoir la dichotomie entre le fort appui au sein de l'élite en faveur de la mission en Afghanistan et le sentiment populaire. Le NDP social-démocrate, qui s'est associé il y a un mois à peine avec les autres partis pour donner un appui ferme au déploiement des FAC dans le sud de l'Afghanistan, s'est opposé à une prolongation de deux ans sur la base que cela empêcherait le Canada d'intervenir militairement dans d'autres régions du monde. Bien que le chef du NPD, Jack Layton, ne l'ait pas explicitement mentionné dans sa contribution au débat de mercredi, le NDP réclame depuis quelque temps, aux côtés de députés des trois partis d'opposition, une intervention du Canada dans la région du Darfour au Soudan. Il soulève également la possibilité qu'Ottawa ait de nouveau des raisons de déployer des troupes en Haïti. Les FAC, rappelons-le, ont agi de concert avec des troupes américaines et françaises en février 2004 pour chasser du pouvoir le président élu d'Haïti, Jean-Bertrand Aristide. Layton a opposé au militarisme du gouvernement conservateur de Harper l'appel que le Canada reste fidèle à ses prétendues traditions de maintien de la paix, c'est-à-dire à la stratégie géopolitique adoptée par la bourgeoisie canadienne dans une période précédente. Les autres partis étaient beaucoup moins catégoriques dans leur opposition à une prolongation de la mission des FAC en Afghanistan. Le chef du BQ, Gilles Duceppe, a souligné que son parti et lui étaient prêts à appuyer la participation des FAC à des campagnes militaires à l'étranger, même si c'est contraire à l'opinion publique. Mais il a dit qu'il serait irresponsable pour son parti d'appuyer une prolongation du déploiement actuel sans objectifs clairs et sans stratégie de sortie. Que ferait le gouvernement, a demandé Duceppe, si le nombre de victimes augmentait ou si le peuple afghan se retournait contre les forces de l'OTAN? Les calculs électoraux ont incontestablement joué un rôle important dans la décision du BQ de s'opposer à la motion des conservateurs, après avoir fourni à ces derniers les votes nécessaires pour faire adopter leur budget. Selon les récents sondages, soixante-dix pour cent des Québécois s'opposent à l'intervention militaire canadienne en Afghanistan. Incapables de s'entendre sur la position à prendre sur la motion des conservateurs, les libéraux ont décidé de permettre un «vote libre». Ce n'est pas que des libéraux en vue aient exprimé la moindre opposition à ce que les FAC jouent un rôle important dans la campagne pour pacifier le sud de l'Afghanistan, une mission lancée par le gouvernement libéral précédent de Martin. Leurs plaintes portaient sur le processus, le fait qu'on leur demandait de cautionner une opération militaire à hauts risques qui pourrait avoir un impact politique explosif au pays en leur fournissant peu d'informations et d'explications. Parmi ceux qui ont voté avec le gouvernement, on retrouve le chef par intérim du parti et ancien ministre de la Défense et des Affaires étrangères, Bill Graham, ainsi que deux candidats à la direction du parti, Scott Brison et Michael Ignatieff. Le fait que les libéraux ont fourni au gouvernement les votes nécessaires pour faire passer sa motion, donnant de ce fait aux conservateurs la légitimité politique pour entreprendre une escalade importante de l'intervention militaire du Canada en Afghanistan, n'est pas un signe de la sagesse de Harper dans son recours à des tactiques parlementaires musclées. Celles-ci ont presque fait ricochet. C'est plutôt une manifestation du fort consensus au sein de l'élite en faveur d'un réalignement des politiques militaire et étrangère du Canada afin d'en faire un «joueur» dans la lutte globale montante pour les marchés, les ressources et l'influence. Cette politique va de pair avec un assaut grandissant sur
les services publics et sociaux et les droits ouvriers et démocratiques,
c'est-à-dire avec la politique intérieure des conservateurs. Voir aussi:
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