Le cessez-le-feu
de l'ETA, le statut de la Catalogne et le fractionnement de l'Espagne
- Partie 2
Par Paul Mitchell Le 17 avril 2006
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Ceci est la conclusion d'un article en deux parties expliquant
les récents développements vers une plus grande
autonomie régionale en Espagne. La
partie 1 a été publiée le 12 mai.
Léon Trotsky a insisté que le phénomène,
qui semblait en surface être l'acceptation inconditionnelle
du nationalisme catalan par les travailleurs, ne représentait
que «l'enveloppe externe de leur rébellion sociale.»
Comme Lénine, Trotsky s'est opposé au maintien
forcé des personnes dans une nation et à toute
suppression de leurs droits démocratiques, mais il ne
préconisait pas le séparatisme. Il défendait
le droit à l'autodétermination, jusqu'à
la formation d'états séparés, mais il ne
préconisait pas la création de telles entités:
ce qui aurait, économiquement, constitué un recul
et accentué les divisions nationales entre les travailleurs.
Il voyait plutôt cette justification négative de
l'autodétermination comme un moyen pour défendre
l'unification volontaire et démocratique de la classe
ouvrière. Il était nécessaire, a-t-il écrit,
d'expliquer que «l'unité économique du pays
associée à la complète autonomie des régions
nationales» entraînerait les plus grands avantages
pour l'économie et la culture.
À la suite des élections de février 1936,
un gouvernement de coalition, le Front populaire, a été
formé, comprenant le Parti ouvrier socialiste (PSOE),
le Parti communiste (PCE), et la Gauche républicaine de
Catalogne (Esquerra Republicana de Catalunya, ERC).
La politique du Front populaire était devenue le programme
de l'Internationale communiste en 1935. Sous l'influence du stalinisme,
il y a eu un abandon de la perspective de la révolution
permanente de Trotsky, selon laquelle, dans les pays ayant connu
un développement capitaliste tardif, «la solution
complète et véritable des tâches visant à
réaliser la démocratie et l'émancipation
nationale n'est concevable qu'à travers la dictature du
prolétariat, en tant que dirigeant de la nation soumise,
d'abord et avant tout, de ses masses paysannes». Rejetant
cette perspective, qui avait guidé les bolchéviques
en octobre 1917, les staliniens adoptèrent à la
place une théorie de la révolution en deux étapes,
qui justifia la collaboration des partis communistes locaux avec
les forces bourgeoises et la subordination politique de la classe
ouvrière à celles-ci.
Dans la région basque, le gouvernement du Front populaire
approuva un statut d'autonomie qui transférait le pouvoir
des travailleurs de Bilbao vers le Parti nationaliste basque
(Partido Nacionalista Vasco, PNV). Quelques mois plus tard, Franco
déclencha son coup d'état militaire et le PNV donna
le contrôle des régions qu'il possédait aux
fascistes, sans même avoir lutté.
En Catalogne, le gouvernement du Front populaire chercha à
renverser la situation de double pouvoir qui avait grandi et
entreprit de dissoudre le Comité central de milices anti-fascistes
de Catalogne qui était devenu la principale autorité
dans la province. Tant le Parti d'unification marxiste (POUM),
mouvement centriste qui avait rompu avec le trotskysme sous la
direction de Andres Nin, que la fédération syndicale
anarcho-syndicaliste, la Confédération nationale
du travail (CNT), ont adhéré à la Generalitat
de Catalogne, trahi le soulèvement de mai 1937 et permis
aux forces gouvernementales d'occuper la ville et de redonner
à la bourgeoisie les fermes et les usines saisies par
les travailleurs et les paysans.
Seuls les partisans de Trotsky ont demandé un front
uni des anarchistes et du POUM ainsi que la formation de soviets
pour réaliser la révolution socialiste.
La dictature Franco et la «transition vers
la démocratie»
La dictature phalangiste (1939-1975) a vu le meurtre de centaines
de milliers d'opposants de Franco, y compris l'ancien président
de la Generalit de Catalogne, Lluís Companys, et l'étouffement
des organisations ouvrières et des libertés démocratiques.
Franco annula les statuts d'autonomie et bannit quasiment toute
expression des identités catalane et basque.
En 1959, l'ETA fut fondé après une scission
avec le PNV moribond et commença une lutte armée
en 1961, croyant pouvoir faire pression sur le gouvernement Franco
pour qu'il accorde l'indépendance. Il connut sa plus grande
croissance et popularité dans la période menant
à la mort de Franco et à la fin du gouvernement
fasciste en 1975. Durant cette période, les victimes de
l'ETA étaient toujours des membres du gouvernement, de
la garde civile haïe et de l'armée. Son action la
plus populaire fut d'avoir fait sauter le successeur désigné
de Franco, l'amiral Luis Carrero Blanco, en 1973.
Dans les dernières années du régime Franco,
l'économie espagnole connut une certaine modernisation
de l'agriculture, une industrialisation croissante et le début
du tourisme de masse. L'opposition ouvrière à Franco
s'affirma de nouveau, exprimée le plus fortement par la
formation de Commissions ouvrières (Comisiones Obreras).
Durant cette période, le Parti communiste prônait
une politique conciliatrice à l'endroit des fascistes,
à savoir «pardonner et oublier», et négociait
dans les coulisses une «transition pacifique» du
fascisme à la démocratie capitaliste.
La constitution de 1978 divisa le pays en 17 régions
autonomes afin d'empêcher un règlement de compte
révolutionnaire avec le fascisme et détourner l'opposition
vers le cul-de-sac du nationalisme. Le PNV accepta les propositions
pour une communauté autonome basque et une Assemblée
nationale basque, mais l'ETA et son aile politique Herri Batasuna
les rejeta. L'ETA considérait la région espagnole
de Navarre et les provinces françaises du Labourd, de
la Soule, et de la Basse-Navarre comme faisant partie du pays
basque, ainsi que les régions officiellement reconnues
de Alava, Vizcaya et Guipuzcoa
Des gouvernements espagnols successifs ont continué
d'utiliser la région basque en tant que laboratoire de
mesures antidémocratiques, visant à étouffer
toute agitation politique intérieure. Lorsque le PSOE
fut élu pour la première fois en 1982, il appuya
un escadron de la mort, les groupes anti-terroristes de libération
(GAL), qui a assassiné 23 personnes, la plupart membres
de l'ETA mais aussi des passants innocents.
Le soutien pour l'ETA s'est toutefois transformé en
hostilité largement répandue à cause de
ses tueries aveugles visant des personnes innocentes et son manque
de programme social véritablement progressiste.
Après son élection en 1996, Aznar a profité
de la grande hostilité envers l'ETA pour mener une campagne
de répression contre l'organisation. La politique du PP
pour les régions portait la marque du passé franquiste
du parti. Aznar insistait sur le caractère inviolable
de l'État espagnol centralisé. Qualifiant de sédition
toute promotion d'une plus grande autonomie provinciale, le PP
a utilisé la menace politique posée par l'ETA et
sa campagne réactionnaire d'attentats à la bombe
pour justifier un assaut général sur les droits
démocratiques à travers l'Espagne.
Plusieurs cellules de l'ETA ont été démantelées
par la police, son réseau financier a été
ébranlé, et tous les dirigeants du Batasuna ont
été traduits en justice et emprisonnés pour
avoir montré une vidéo de l'ETA durant la campagne
électorale. Le journal quotidien de Batasuna, Egin,
a été fermé et son comité éditorial
emprisonné pour avoir «collaboré» avec
ETA, ce qui marquait la première fois qu'un journal se
faisait bannir en Espagne depuis la transition. Près d'un
millier de membres ont été arrêtés
au cours des sept dernières années, y compris leurs
dirigeants les plus expérimentés.
Après l'attaque du 11 septembre 2001 sur New York et
les attentats à la bombe de Madrid en mars 2004, le soutien
pour l'ETA a subi une hémorragie. Le gouvernement du PP
et son successeur de PSOE ont adopté des lois draconiennes
sous l'égide de la «guerre contre la terreur»,
dont la Loi sur les partis politiques qui a mené au bannissement
de Batasuna. D'un seul coup, dix pour cent de la population de
la région était privée de ses droits et
les sept députés de Batasuna étaient disqualifiés
ainsi que des centaines de conseils locaux. En novembre 2005,
le plus gros procès de l'histoire espagnole a commencé
avec la mise en accusation de 56 personnes, accusées d'être
«les tripes, le coeur et la tête d'ETA». Tous
ces événements ont poussé d'anciens membres
de l'ETA l'an dernier à demander la dissolution de l'organisation.
Pour l'unité socialiste de la classe ouvrière
Après 45 ans, il est clair que l'ETA n'est pas plus
proche de son objectif d'un pays basque uni que lorsqu'il a commencé.
Il a seulement réussi à renforcer la position sociale
de la petite-bourgeoisie régionale et à créer
énormément de confusion dans la classe ouvrière.
Des années de lutte armée n'ont servi qu'à
renforcer l'appareil répressif de l'État et à
fournir une occasion de lancer des attaques massives sur les
droits démocratiques.
Le régionalisme qu'embrassent les nationalistes basques
et catalans est une recette pour l'affaiblissement continuel
de la position sociale de la classe ouvrière. Ce régionalisme
n'aura comme résultat qu'une lutte fratricide entre les
diverses régions d'Espagne et l'établissement de
standards internationaux sans cesse plus bas pour les salaires
et conditions de vie.
Alors que la Chine devient le centre manufacturier du monde
et l'Inde, le centre de la technologie de l'information et des
services, les rapports de classe sont perturbés dans tous
les grands pays capitalistes. Une pression extrême est
appliquée sur les salaires et les conditions sociales.
En Europe, l'élite dirigeante a exigé des réformes
radicales afin de demeurer compétitive. Zapatero a fait
savoir que la priorité de son gouvernement était
de se conformer à la Stratégie de Lisbonne de mars
2000, dans laquelle les gouvernements de l'Union européenne
se sont engagés à faire de l'UE «l'économie
de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique
du monde d'ici 2010», et à tenter d'augmenter la
compétitivité de l'Espagne et réaliser des
réformes du marché du travail.
Les mêmes processus économiques et changements
technologiques qui ont accéléré l'intégration
mondiale ont aussi fait éclater les vieilles organisations
de la classe ouvrière et de la petite-bourgeoisie basées
sur une perspective et une politique nationalistes.
Liberals and radicals have presented ETA's ceasefire and the
agreement on the Catalan statute as a progressive move, and something
of a "national reconciliation". The Militante group,
for example, welcomes the ceasefire but praises the "Abertzale
Left"-ETA's political wing Batasuna-which it hopes will
take up the struggle for self-determination by other means.
Les libéraux et les radicaux ont présenté
le cessez-le-feu de l'ETA et l'accord sur le statut catalan comme
un développement progressiste, et une sorte de «réconciliation
nationale.» Le groupe Militante, par exemple, accueille
le cessez-le-feu mais louange la «gauche abertzale»
ou Batasuna, aile politique de l'ETA, en espérant qu'elle
poursuivra la lutte pour l'autodétermination d'une autre
façon.
De telles affirmations ne font pas qu'ignorer les importants
changements causés par la mondialisation, mais elles négligent
aussi les expériences de la classe ouvrière espagnole
et internationale avec le nationalisme bourgeois durant les dernières
décennies. La défense du séparatisme au
nom de l'autodétermination a été un moyen
pour subordonner la classe ouvrière aux forces bourgeoises
et petites-bourgeoises, avec des conséquences tout à
fait négatives. Cela a entraîné l'affaiblissement
de l'unité de la classe ouvrière et la balkanisation
de pays et de régions; le démembrement de l'ancienne
Yougoslavie en est la démonstration la plus brutale. Le
découpage fut réalisé pour faire avancer
les intérêts des puissances impérialistes
et il fut soutenu par d'anciens bureaucrates staliniens et politiciens
communautaristes qui cherchaient à empêcher les
travailleurs yougoslaves de mener une lutte commune contre l'augmentation
de la pauvreté et du chômage créée
par les propres politiques capitalistes de la bureaucratie. Aujourd'hui,
la classe ouvrière des Balkans vit à l'intérieur
d'États divisés selon des lignes ethniques, soumise
directement ou indirectement à la domination impérialiste
dans des conditions de misère sociale de plus en plus
importante.
L'unité de la classe ouvrière présuppose
l'opposition politique au séparatisme, mais cela ne signifie
pas qu'elle doive s'identifier à l'État-nation
capitaliste. Au contraire, toutes les divisions nationales doivent
être transcendées dans la lutte pour l'unification
de la classe ouvrière espagnole, européenne et
internationale. La crise de l'État-nation doit trouver
une solution progressiste, non dans le morcellement en entités
plus petites et moins viables, basées sur le concept réactionnaire
d'ethnicité, mais dans son remplacement par une forme
d'organisation économique et sociale, plus rationnelle
et universelle, qui correspond plus directement aux réalités
économiques de la production mondialisée: les États
unis socialistes d'Europe.
Fin de la série
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