wsws : Nouvelles et analyses : États-Unis
Par le Comité éditorial
15 mai 2006
Traduit de l'anglais (12 mai 2006)
La révélation dans le numéro de jeudi de USA Today qu'il existe une grosse base de données secrète de l'Agence nationale de sécurité (NSA) répertoriant les appels téléphoniques de centaines de millions d'Américains est une preuve supplémentaire de l'état avancé des préparatifs pour l'établissement d'un État policier aux États-Unis. La base de données de la NSA est un plan de répression et d'intimidation politiques à grande échelle.
La surveillance, manifestement illégale, par le gouvernement n'a rien à voir avec la prévention des attaques terroristes, comme l'a affirmé le président Bush et l'ont répété les médias et les politiciens du Parti démocrate qui ont critiqué divers aspects du programme. Celui-ci a été mis en place par un appareil d'État qui voit que sa principale opposition vient du peuple américain, pas de bandes dispersées de terroristes islamiques. Dans une période d'opposition sociale croissante, le gouvernement rassemble systématiquement des informations pour découvrir ce que les gens pensent et à qui ils parlent.
Le programme d'espionnage téléphonique, selon le reportage du USA Today, a été mis en branle peu après les attaques du 11 septembre 2001. Les trois plus grandes compagnies téléphoniques aux États-Unis, AT&T, Verizon et BellSouth, ont accepté secrètement de collaborer avec l'administration Bush et de fournir à la NSA les informations qu'elles avaient sur tous les appels téléphoniques réalisés par chacun de leurs près de 200 millions de clients. Le programme, mis en oeuvre sans mandat de la cour et sans supervision du Congrès, est une violation flagrante du code fédéral et des garanties de libertés civiles inscrites dans la Constitution des États-Unis.
Cela signifie que le gouvernement dispose d'informations concernant les relations et les activités personnelles, professionnelles et politiques de la plupart des Américains. Ces informations peuvent être communiquées au FBI, à la CIA, au Pentagone et à d'autres organismes d'État.
Ce programme, ainsi que le programme d'écoute illégal de la NSA, qui espionnait les communications internationales via téléphone et courrier électronique et a déjà fait l'objet de fuites, a été réalisé avec le savoir et l'approbation des principaux membres du Congrès, républicains comme démocrates. Peu importe les protestations faites par les politiciens des deux partis à la suite de la divulgation du programme, et peu importe les audiences tenues au Congrès, leur premier objectif sera de servir de couverture politique à la collaboration des démocrates et des républicains dans une attaque sans précédent sur les droits démocratiques.
Rien ne sera fait pour stopper l'espionnage illégal ou pour tenir responsables ceux qui, commençant par Bush lui-même, ont systématiquement menti au peuple américain et transgressé la loi afin de créer l'infrastructure d'un État policier.
La participation volontaire de grandes sociétés dans cette opération met en évidence l'érosion de tout appui sérieux au sein de l'élite dirigeante américaine pour les droits démocratiques, et souligne le tournant vers des formes de pouvoir dictatoriales visant à réprimer l'opposition croissante des travailleurs à la vaste concentration de richesse entre les mains d'une oligarchie financière.
Le programme secret de surveillance rapporté par USA Today va beaucoup plus loin que le programme qui interceptait les appels téléphoniques internationaux, dévoilé en décembre dernier, par des fuites au New York Times. Selon une source du USA Today, qui a qualifié ce projet de «plus grande base de données jamais créée au monde», la NSA a compilé les données de presque tous les appels téléphoniques faits aux États-Unis après le 11 septembre, en plus d'avoir conservé l'historique des appels téléphoniques de plusieurs années auparavant. Les données enregistrées comprennent le numéro de téléphone de la personne qui a appelé, le numéro composé, et la durée de l'appel.
Même si le nom de la personne faisant l'appel n'est supposément pas inclus dans la base de données, une telle information peut être facilement obtenue en faisant référence à d'autres bases de données gouvernementales et commerciales.
USA Today a affirmé que le programme n'impliquait pas une véritable écoute des conversations, ce qui est physiquement impossible si l'on pense aux milliards d'appels sous surveillance, mais plutôt une accumulation d'informations pour l'exploitation des données, dans laquelle des logiciels complexes sont utilisés pour découvrir les habitudes d'appels. Ayant créé «une base de données de tous les appels jamais effectués», la NSA peut maintenant retracer les affiliations personnelles, professionnelles, sociales et politiques de toute personne ciblée par le gouvernement.
Selon Leslie Cauley, la journaliste qui a écrit le reportage, «Il est très possible que vos appels téléphoniques, de votre téléphone cellulaire et de votre résidence, aient été retracés.» Elle a ajouté lors d'une entrevue avec la presse qu'il y avait une «grande probabilité» que ces informations soient communiquées au FBI et à la CIA.
AT&T, Verizon et BellSouth contrôlent la plupart des services téléphoniques locaux, longue distance et portables au pays. Une quatrième compagnie beaucoup plus petite, Qwest, a refusé de participer au programme de la NSA. La compagnie Qwest, établie à Denver, fournit un service téléphonique local dans 14 états de l'ouest ainsi qu'un service longue distance pour certaines régions. Selon l'article du USA Today, Qwest a refusé de participer au programme de la NSA à cause de son caractère légal douteux.
Les compagnies téléphoniques devaient fournir l'historique téléphonique complet de tous leurs clients, ainsi que des mises à jour régulières de l'utilisation téléphonique récente. Cela signifie que la NSA possède maintenant une base de données historique qui s'étend au moins jusqu'à la rupture du vieux monopole de AT&T en 1984, et peut-être même jusqu'aux plus vieilles données disponibles. Pour pratiquement chaque Américain, toutes les habitudes téléphoniques de leur vivant font maintenant partie d'un dossier du gouvernement.
La base de données de la NSA pourrait être utilisée pour retracer n'importe qui affilié à des organisations politiques opposées aux politiques de l'administration Bush, comme les groupes socialistes, anti-guerre et les groupes pour les droits et libertés civiles. Quiconque maintient un contact téléphonique régulier avec de telles organisations est sans aucun doute marqué en tant que potentiel «terroriste» dans la base de donnée de la NSA. Dans le cas où il y aurait une rafle de ces opposants politiques, la base de données fournirait les noms et numéros de téléphone de tous ceux en contact avec ceux ciblés par l'arrestation, fournissant ainsi un plan de localisation pour des arrestations et détentions supplémentaires.
Des recherches à l'intérieur de la base de données de la NSA pourraient indiquer précisément tous ceux qui appellent régulièrement certains pays étrangers, générant ainsi une liste de cibles potentielles pour une rafle anti-immigrants. La base de données pourrait aussi être utilisée pour surveiller les appels téléphoniques faits aux médias, comme ceux provenant des dénonciateurs d'injustices qui se sont adressés au Washington Post au sujet des centres de torture de la CIA en Europe de l'Est ou comme ceux qui ont dévoilé la surveillance illégale des appels téléphoniques internationaux par la NSA. La Maison Blanche pourrait aussi identifier les employés gouvernementaux qui communiquent régulièrement avec des membres démocrates du Congrès.
Ces informations pourraient être utilisées pour intimider ou faire chanter des individus et les forcer à divulguer des renseignements sur des amis, des parents ou des partenaires de travail.
Comme pour toutes ses autres attaques sur les droits démocratiques, l'administration Bush défend l'espionnage téléphonique massif par la NSA comme une mesure «anti-terroriste». Mais il est absurde d'affirmer que le gouvernement fédéral aurait besoin de renseignements sur les habitudes d'appels de tous les Américains pour localiser et surveiller une poignée de terroristes. Pas plus qu'il ne serait justifié, par rapport aux enquêtes anti-terroristes, pour la NSA, de cumuler l'historique des appels téléphoniques réalisés bien avant la création d'Al Qaïda.
Jeudi, le président Bush a essentiellement confirmé le reportage de USA Today par une brève déclaration préparée d'avance, après que l'article eut déclenché une tempête de commentaires dans les médias et sur la colline du Capitole. Bush n'a pas contesté l'essentiel du compte rendu du journal, déclarant du même coup que les actes de surveillance de l'administration étaient légaux et seulement dirigés contre Al Qaïda et d'autres groupes terroristes étrangers. «La vie privée des Américains ordinaires est farouchement protégée dans toutes nos activités», a-t-il affirmé. «Nous ne fouillons pas dans la vie privée de millions d'Américains innocents.»
On peut juger de la crédibilité de cette déclaration en se rappelant ce que Bush avait dit après que le New York Times eut rapporté pour la première fois le programme secret, et sans mandat, de surveillance des appels téléphoniques internationaux par la NSA. Il a affirmé à l'époque que seuls les appels internationaux faits par ou dirigés vers des présumés terroristes étaient surveillés. «En d'autres mots», a-t-il dit, «un bout de la communication doit se trouver à l'extérieur des États-Unis». Depuis, on sait que la NSA écoute aussi, illégalement, des milliers d'appels téléphoniques intérieurs.
Bush a employé une formulation trompeuse semblable lors de sa déclaration jeudi. «Le gouvernement n'écoute pas les appels téléphoniques intérieurs sans approbation de la cour», a-t-il déclaré, même si la révélation de USA Today ne concernait pas l'écoute téléphonique, mais bien le suivi d'appels privés, ce qui est tout aussi illégal sous la section 222 de la Loi des communications de 1934. L'administration Bush n'a pas cherché à faire approuver le programme de surveillance des appels par le tribunal secret mis sur pied dans le cadre de la Loi de contrôle du renseignement étranger (Foreign Intelligence Surveillance Act [FISA]) de 1978, tout comme il a contourné le tribunal du FISA pour le programme, sans mandat, d'écoute téléphonique.
Bush a également affirmé: «Les activités de renseignement que j'ai autorisées sont légales et ont été révélées aux membres appropriés du Congrès, tant républicains que démocrates.» La Maison Blanche n'a mis au courant qu'une poignée de membres, même si la loi exige que tous les membres des comités du sénat et de la chambre des représentants sur le renseignement soient mis au courant. Bush a néanmoins cité à maintes reprises le fait que des démocrates clé aient été mis au courant des programmes d'espionnage de son administration pour souligner la collaboration des démocrates, ce qui démasque l'hypocrisie des protestations de pure forme de ces derniers.
Lundi, Bush a réaffirmé de manière démonstrative son intention de continuer ces programmes en nommant le général de l'armée de l'air, Michael Hayden, directeur de la CIA, en remplacement de Porter Goss, qui a été viré la semaine dernière. Actuellement adjoint du directeur national du renseignement, Hayden a dirigé l'Agence de la NSA de mars 1999 à avril 2005, et a donc supervisé l'établissement du programme de suivi des appels.
Tant les démocrates que les républicains siégeant sur le comité du renseignement du sénat ont dit qu'ils allaient questionner Hayden à propos du programme durant ses audiences de confirmation, prévues la semaine prochaine. Hayden a furieusement défendu le programme mis sur pied par la NSA en vue d'intercepter sans mandat les appels téléphoniques internationaux. Il l'a qualifié de «ciblé et focalisé», ajoutant: «Il ne s'agit pas d'intercepter les conversations entre personnes vivant aux États-Unis.» Le programme de surveillance des appels est cependant tout le contraire: c'est un filet géant qui attrape chaque appel téléphonique placé par chaque personne aux États-Unis.
Le mois dernier, lors d'une apparition devant le comité judiciaire de la Chambre des représentants, le procureur général Alberto Gonzales a affirmé que la Maison Blanche pouvait bien avoir l'autorité légale pour ordonner une surveillance sans manat des appels téléphoniques intérieurs et internationaux. «Je n'écarterais pas cette possibilité», a-t-il dit. Gonzales ne fut pas questionné à propos de la compilation de données sur les appels téléphoniques, mais seulement sur leur écoute.
On ne sait pas encore si le président Bush a signé un ordre exécutif autorisant le suivi des appels téléphoniques, ou si le programme a été entrepris sans cette autorisation formelle. Bush avait signé un ordre exécutif pour l'écoute sans mandat d'appels et de courriers électroniques internationaux par la NSA.
L'administration Bush a déjà pris des mesures pour étouffer une enquête sur l'espionnage illégal de la NSA. Le bureau du département de la justice sur la responsabilité professionnelle (OPR) a annoncé mercredi qu'il mettait fin à une investigation qui devait établir si des avocats du département de la justice avaient agi de manière inappropriée en approuvant le programme d'écoute sans mandat de la NSA, la raison invoquée étant que la NSA a refusé de donner à l'OPR les laissez-passer nécessaires pour poursuivre. Autrement dit, ceux qui ont fait de l'écoute illégale ont utilisé le sceau «classifié» pour bloquer toute enquête sur leurs activités.
Chaque révélation de mesures d'État policier met encore plus en évidence l'absence au sein de l'establishment politique de tout attachement véritable pour les droits démocratiques. Pas un seul démocrate en vue, et aucun des grands journaux américains, n'a réagi à la mise à nu en décembre dernier des écoutes téléphoniques de la NSA en exigeant l'arrêt du programme. Les dirigeants démocrates se sont même opposés à l'adoption d'une motion de blâme de pure forme contre Bush pour l'opération illégale.
Les médias et les politiciens des deux partis ont déjà cherché à minimiser la signification du programme de suivi des appels, tout en acceptant sans le moindre esprit critique le prétexte qu'il est motivé par les vicissitudes de la prétendue «guerre au terrorisme». Le fait est que le programme met à nu l'énormité et l'immédiateté de l'assaut sur les droits démocratiques du peuple américain.
Il ne faut pas sous-estimer cette menace. C'est le produit de la longue érosion de la démocratie américaine, qui trouve sa source dans la crise du système capitaliste et la croissance maligne des inégalités sociales qui en résulte.
La seule force sociale qui a un intérêt et un attachement véritables pour les droits démocratiques, c'est la classe ouvrière. Les travailleurs ne peuvent défendre ces droits qu'en forgeant un mouvement socialiste indépendant en opposition au système des deux partis par lequel l'oligarchie financière maintient son régime.
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