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Quand Liberté veut dire Pétrole Cheney donne des leçons de "démocratie" à la Russie

Par Bill Van Auken
(Article original publié le 6 mai 2006)

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Lors d'une provocation politique soigneusement orchestrée, le vice-président américain, Richard Cheney, fit, en Lithuanie, un discours belliqueux fustigeant la Russie pour avoir porté atteinte aux droits démocratiques du peuple russe et pour s'être servi de ses ressources énergétiques afin de «faire du chantage» vis-à-vis des autres nations.

Ce discours fut prononcé par Cheney devant le «Forum sur la Communauté du choix démocratique, de la région Mer Noire - Mer Baltique - Mer Caspienne», auquel assistaient les présidents d'anciennes républiques soviétiques et d'anciens pays de l'Est ayant voulu s'aligner sur les Etats-Unis et l'OTAN, ainsi que de l'Allemagne et des pays scandinaves.

«En Russie aujourd'hui, ceux qui s'opposent à la réforme cherchent à renverser les acquis de la décennie précédente» dit Cheney. «Dans beaucoup de domaines de la société civile, de la religion et des médias aux associations et aux partis politiques, le gouvernement [russe] a de façon injuste et inappropriée, restreint les droits du peuple».

Condamnant la politique énergétique de la Russie, déterminée, comme celle de bien d'autres pays producteurs de pétrole et de gaz, par des prix en hausse et des réserves limitées, Cheney poursuivit: «On ne sert pas des intérêts légitimes lorsque le pétrole et le gaz deviennent des instruments d'intimidation et de chantage, soit par une manipulation des livraisons soit en essayant de monopoliser leur transport.»

Après ces accusations à l'égard de Moscou, Cheney déclara: «Aucun de nous ne croit que la Russie soit destinée à devenir notre ennemie.»

Pour de nombreux Russes toutefois, cette dernière affirmation semble à peine crédible. Le Kremlin publia une déclaration décrivant les remarques de Cheney comme «tout à fait incompréhensibles». Certains journaux furent cependant plus directs, avertissant que le discours du vice-président américain représentait une menace réelle.

Le quotidien d'affaire Kommersant publia à la une un article comparant la tirade de Cheney au discours sur le «Rideau de fer» prononcé par Winston Churchill à Fulton, Missouri, il y a 60 ans.

«Le vice-président Cheney a fait un discours programmatique sur les relations entre l'Occident et la Russie et dans lequel il a quasiment donné le départ d'une deuxième guerre froide» écrit ce journal dans un commentaire. «C'est une nouvelle guerre froide, avec cette différence que les lignes de front se sont déplacées».

Pendant ce temps, la Komsomolskaya Pravda, journal russe au plus fort tirage, a publié une carte montrant les nations participant à la conférence de Vilnius en violet et formant une ceinture séparant la Russie du reste de l'Europe.

Cheney conclut son discours de Vilnius par un coup de clairon oratoire : «Persévérons dans la cause de la liberté». Mais il n'y a aucun doute que ce que le vice-président américain veut dire quand il parle de liberté, c'est la liberté illimitée du capitalisme américain de dominer le monde et ses ressources. Et pour l'ancien directeur de Halliburton c'est, en particulier, une question de pétrole.

Les tensions entre Washington et Moscou ont connu une escalade permanente au cours des derniers mois, en particulier sur la question de l'Iran. Les Etats-Unis essayent de forcer la Russie et la Chine à soutenir un ultimatum du Conseil de sécurité de l'ONU au gouvernement iranien exigeant que celui-ci mette un terme à son programme d'enrichissement d'Uranium sous peine de subir des représailles non spécifiées.

Le discours de Cheney semble indiquer que l'administration Bush n'a guère d'espoir de voir la Russie soutenir une telle ligne d'action, qui ressemble dans les moindres détails à la méthode déjà utilisée par Washington pendant la période qui avait précédé l'invasion de l'Irak. Et il semble que Moscou n'a guère de raisons de se ranger de son côté.

Il s'agit là d'une situation où l'on ne peut qu'être perdant. Soutenir une résolution menaçant l'Iran pourrait être utilisé par Washington pour justifier toute espèce d'agression militaire contre ce pays. D'un autre côté, ne pas soutenir cette résolution peut servir aux responsables américains de justification pour contourner l'ONU, passer outre le droit international et procéder à une attaque, soutenue par quelque «coalition de volontaires» qui puisse se bricoler.

Et de plus, alors que plus d'un quart de siècle de sanctions imposées par les Etats-Unis ont laissé les entreprises et les banques américaines sans grands intérêts économiques en Iran, il en est tout autrement pour la Russie qui a des investissements importants dans ce pays riche en pétrole et entretient des échanges commerciaux considérables avec lui. La Chine, le Japon, et les pays d'Europe Occidentale ont eux aussi des intérêts du même ordre en Iran. Les Etats-Unis n'ont pas l'intention d'abandonner le contrôle d'un pays qui est le deuxième producteur de pétrole de l'Opep et dit posséder la deuxième plus importante réserve de gaz naturel dans le monde.

Dans l'intervalle, Cheney est arrivé au Kasakhstan, une des anciennes républiques soviétiques d'Asie Centrale, pour la deuxième étape de son voyage. Sa visite dans ce pays sans accès à la mer fut la quatrième effectuée par un haut responsable américain en quelques mois pour rencontrer le président Nursultan Nazarbayev, ancien membre du politbureau soviétique et qui est à la tête du régime répressif qui a gouverné le pays depuis la dissolution de l'Union Soviétique il y a quinze ans.

Nazarbayev dirige le pays dans l'intérêt de sa propre famille et des cohortes qui ont monopolisé ses richesses. Il a falsifié des élections et réprimé l'opposition et on rapporte qu'il prépare un transfert du pouvoir à un de ses enfants. En février dernier, le dirigeant du principal parti d'opposition Altynbek Sarsenbayev, fut tué par balles, meurtre dans lequel sont impliquées les forces de sécurité du pays.

Mais Cheney ne tient pas de discours sur la démocratie et la «restriction des droits» du peuple Kasakh. La raison en est claire : le Kasakstan a dans son sous-sol des réserves de pétrole estimées à 110 milliards de barils et Nazarbayev a permis aux sociétés pétrolières d'opérer librement dans son pays. Et Halliburton, la société de Cheney, y opère des services pétroliers.

La visite du vice-président des Etats-Unis a aussi pour objectif la recherche de nouveaux moyens de faire avancer les plans d'hégémonie américaine dans cette région riche en pétrole et qui borde la Russie.

Selon Glen Howard, dirigeant de la Jamestown Fondation, un «laboratoire d'idées» de droite, le voyage de Cheney avait pour objectif de donner une «forte impulsion» dans le but de faire aboutir la construction de gazoducs contrôlés par les Etats-Unis et destinés à acheminer du gaz hors d'Asie Centrale en direction de la Turquie, se dressant ainsi contre l'actuel monopole de la Russie en matière d'exportation de gaz à partir de cette région.

Howard dit au Financial Times, que Cheney était «en train de planter un grand drapeau américain en Asie Centrale» ajoutant «Nous faisons jouer un tant soit peu nos muscles».

La visite eut lieu peu après la réception donnée par l'administration Bush au président de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, le dirigeant d'un autre régime criminel qui se caractérise par une corruption à tous les niveaux et la répression politique. Là encore, les droits de la population de l'Azerbaïdjan viennent loin derrière des projets de pipelines américains qui nécessitent un terminal pétrolier en Azerbaidjan, capable de recevoir des pétroliers chargés de brut en provenance du nord de la région caspienne et évitant l'Iran et la Russie.

Ce sont là les véritables objectifs de grande puissance et de profits derrière les pseudo-inquiétudes en ce qui concerne les droits du peuple russe. Le fait que l'administration Bush choisisse Cheney pour dépeindre la poursuite de ces objectifs comme une croisade pour la démocratie montre bien son mépris pour l'opinion publique mondiale.

S'il fut jamais individu incarnant le mépris des droits démocratiques, c'est bien le vice-président américain.

Universellement reconnu comme le vice-président le plus puissant de l'histoire américaine, il a été le responsible politique le plus étroitement associé à la politique d'agression militaire, d'espionage des américains, de culture du secret gouvernemental, de torture et d'attaque généralisée de la constitution américaine.

De quel droit Cheney fait-il la leçon à quelque gouvernement que ce soit pour avoir «restreint de façon inapropriée les droits du peuple» ? L'administration Bush a érigé le cadre d'un Etat policier aux Etats-Unis de façon systématique durant les cinq dernières années, tout en répudiant le droit international et en s'arrogeant le droit de lancer des guerres non provoquées, de kidnapper, de torturer et d'assassiner toute personne, y compris des citoyens américains, qu'elle désigne comme «combattant ennemi». Elle a établi un réseau de prisons secrètes et de camps de concentration comme Gantanamo Bay et Abou Ghraib où des dizaines de milliers de personnes sont détenues sans procès et sans même être accusées de quoi que ce soit. Le vice-président a été le plus fervent défenseur d'un pouvoir exécutif illimité, affirmant que le président, en tant que généralissime, peut ignorer pratiquement toute loi qu'il a choisi d'ignorer.

Dimanche dernier, le Boston Globe publia une étude montrant que l'administration s'était «discrètement donné le droit d'ignorer plus de 750 lois passées depuis qu'elle avait pris ses fonctions», allant des limites imposées à l'espionage intérieur jusqu'à la récente interdiction de la torture, ainsi que de multiples injonctions à fournir des informations au Congrès.

«Il s'agit là d'une tentative du président d'avoir le dernier mot sur ses propres pouvoirs constitutionnels, ce qui élimine l'équilibre des pouvoirs qui maintient le pays dans la démocratie», dit Bruce Fein, qui fut vice-ministre de la Justice dans l'administration Reagan, au Boston Globe. «Il est impossible à un pouvoir judicaire indépendant de contrôler ses affirmations de pouvoir et le Congrès ne le fait pas non plus. Alors, cela nous mène à un pouvoir exécutif illimité».

Quant au chantage, c'est la spécialité de Cheney en politique. Il fit du chantage au peuple américain en se servant de la prétendue menace de champignons atomiques afin d'imposer la guerre illégale contre l'Irak. Dans la dernière élection, il essaya encore une fois le chantage vis-à-vis de l'électorat en brandissant la menace qu'un vote contre les républicains rendrait plus probable une attaque terroriste contre une grande ville américaine.

Puis il y a l'affaire Valerie Plame; le principal conseiller de Cheney révéla le nom d'une femme agent secret de la CIA afin de punir son mari qui avait démasqué l'utilisation par Bush et son vice-président de mensonges et d'informations truquées pour justifier la guerre contre l'Irak.

C'est vraiment le comble que cet homme, Cheney, condamne l'utilisation de ressources énergétiques comme «instruments d'intimidation et de chantage». Il s'agit là de l'homme le plus étroitement identifié à la grande entreprise pétrolière et qui a fait des intérêts de celle-ci un des principaux ressorts de la politique étrangère américaine. A la poursuite des intérêts pétroliers, le gouvernement américain et les sociétés pétrolières n'ont pas seulement pratiqué le chantage et l'intimidation, mais encore le coup d'Etat militaire, la guerre non provoquée et le massacre de masse.

Le cynisme et l'hypocrisie de la tournée de Cheney dans l'ancienne Union Soviétique critiquant la Russie pour son manque de démocratie tout en forgeant des liens étroits avec des dictateurs brutaux dans les pays qui la borde, ne sert qu'a démontrer une fois de plus que Washington écrit ainsi le mot «liberté» : p.é.t.r.o.l.e.

 


 

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