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Conférence de Rome sur le Liban
Apaisement 2006 : L'Europe capitule devant l'agression américano-israélienne
Déclaration du comité de rédaction
28 juillet 2006
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La conférence internationale qui s'est
tenue mercredi à Rome pour faire face à la crise précipitée par l'attaque
israélienne sur le Liban s'est conclue sans qu'un appel à un cessez-le-feu
ne soit lancé. Selon de nombreux comptes rendus de presse, la secrétaire
d'État américaine Condoleezza Rice était quasiment la seule à s'opposer à
l'inclusion de tout langage dans la déclaration de la conférence qui
pourrait suggérer la nécessité de mettre rapidement fin à l'assaut israélien, lequel
a déjà causé de près des 500 morts parmi la population civile et détruit une grande
partie de l'infrastructure du pays.
Selon le International Herald Tribune:
« Les gouvernements européens et arabes, ainsi que le secrétaire général
des Nations Unies Kofi Annan et Javier Solana, le représentant de l'Union
européenne pour la politique étrangère, ont également exercé une forte pression
en faveur d'un cessez-le-feu immédiat, mais ont perdu face à une secrétaire d'État,
Condoleezza Rice, campée sur ses positions. Celle-ci s'en est tenue au principe
qu'il fallait d'abord mettre en place un accord en vue d'une "paix
durable" avant que les parties ne soient appelées à cesser les combats. »
Le premier ministre libanais Fouad Siniora,
qui assistait à la réunion en compagnie de diplomates haut placés
représentant les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Espagne,
l'Allemagne, le Canada, la Russie, la Turquie, le Liban, l'Arabie Saoudite,
l'Égypte et la Jordanie, ainsi que du secrétaire général des Nations unies Kofi
Annan, a prononcé un discours passionné et éloquent pour demander l'arrêt
immédiat des hostilités.
«La vie humaine a-t-elle moins de
valeur au Liban qu'ailleurs?», a demandé Sinoria. «Sommes-nous les fils
d'un moindre Dieu? Est-ce qu'une larme israélienne vaut plus qu'une goutte
de sang libanais?»
Disant son pays «taillé en pièces» par
Israël, il s'est engagé à lancer des poursuites légales contre Israël, laissant
entendre que celui-ci était coupable de crimes de guerre, et a dit
qu'il exigerait des réparations de guerre pour «la destruction barbare
que nous inflige [Israël]». Il a conclu ses remarques par une citation de
l'historien romain Tacite, qu'il a dit décrire ce qu'Israël fait
aujourd'hui au Liban. «Ils avaient créé la désolation et lui avaient donné le nom
de paix.»
Selon un rapport de presse, des diplomates
ont dit que l'émotion était palpable dans la salle après les commentaires
de Siniora. Rice n'a toutefois pas été émue. À une conférence de presse
suivant la réunion, elle a mentionné en passant le discours «très passionné» de
Siniora, puis a continué en réitérant son opposition à un arrêt des attaques
israéliennes sur les villes et villages libanaises, tout en insistant de
nouveau sur le fait que le but d'une force internationale au Liban sud serait de
désarmer le Hezbollah.
La conférence de Rome a démontré le
caractère hors-la-loi des États-Unis et l'impuissance des gouvernements
européens. Chacun dans la salle de réunion savait parfaitement ce que Israël et
les États-Unis faisaient au Liban. La veille, Israël avait tiré un
missile de précision sur un poste de longue date et clairement identifié des
Nations unies du côté libanais de la frontière, tuant quatre observateurs de
l'ONU.
Le rôle de Rice à la conférence a
clairement dévoilé que si la guerre est menée par Israël, ce sont les
États-Unis qui tirent les ficelles.
Pas un seul des participants n'a pourtant eu
assez de principes ou de courage pour tenir tête à Rice. Pourquoi n'a-t-on pas
présenté de résolution pour un cessez-le-feu? Parce que les États-Unis étaient
contre et que les États-Unis avaient le seul vote qui compte.
Toute la bourgeoisie européenne, ainsi que
les Nations unies, ont de nouveau démontré leur impuissance face à
l’impérialisme américain. L’Europe est prête à défier les États-Unis lorsqu’il
est question de commerce – c’est-à-dire, se quereller pour de l’argent – mais
face à d’importants crimes historiques, elle fait preuve d’une totale lâcheté.
Elle est, en fait, complice de ces crimes.
Cela est vrai pour toutes les sections et
variantes de l’échiquier politique officiel: les soi-disant gouvernements et
partis «de gauche» autant que leurs homologues de la droite. Ainsi, le
gouvernement italien de centre-gauche de Romano Prodi, qui comporte dans sa
coalition deux partis qui ont émergé des troubles à l’intérieur du Parti
communiste italien – le Parti de la gauche démocratique et le Parti de la
refondation communiste – ont accepté d’accueillir la réunion, qui fut organisée
à la demande de Washington pour faire approuver la politique de guerre
américano-israélienne. Massimo D’Alema, un vétéran du Parti communiste et
actuel ministre des affaires étrangères, fut particulièrement obséquieux à
l’endroit de la secrétaire d’État américaine.
Il y eut ensuite le spectacle de Kofi
Annan, qui le jour précédent avait accusé Israël d’attaque délibérée sur les
observateurs de l’ONU, assis aux côtés de Rice, annonçant qu’il acceptait les
excuses indifférentes et cyniques d’Israël.
La sauvage guerre, appuyée par les
États-Unis, contre le Liban, et la réticence ou l’incapacité des autres grandes
puissances à s’y opposer constituent un élément marquant de l’effondrement du
cadre légal international de l’après deuxième Guerre mondiale. Le monde est de
nouveau témoin d’un retour au type d’illégalité et de violence impérialistes
sans restriction qui ont marqué les années 1930 et qui ont mené à la deuxième
guerre mondiale du vingtième siècle.
Le futile appel de Siniora à la réunion de
Rome rappelle un événement semblable qui s’est produit presque exactement 70
ans plus tôt: le discours de l’empereur éthiopien Hailé Sélassié devant la
Ligue des nations en juin 1936. Sélassié a demandé à l’organisation mondiale de
stopper la sanglante invasion de son pays par l’Italie fasciste, mais la Ligue
des nations n’a rien fait.
Alors qu’à cette époque ce sont les plans
japonais de domination régionale de l’Asie et le projet allemand de domination
de l’Europe qui ont mené au déclenchement d’une catastrophe mondiale,
aujourd’hui le rôle de principal agresseur est joué par les États-Unis, qui
sont résolus à établir leur hégémonie sur le monde entier. Pour Washington, la
réorganisation du Moyen-Orient et de l’Asie centrale est un élément critique de
sa quête pour la suprématie mondiale. L’élite dirigeante américaine voit les
efforts d’Israël de domination régionale comme quelque chose qu’elle peut
utiliser pour réaliser ses propre objectifs démentiels.
Après la deuxième Guerre mondiale, et
durant des décennies, la capitulation des grandes puissances à l’impérialisme
allemand dans les années 1930 – leur refus de réagir aux assauts flagrants et
violents contre le droit international – fut condamnée en tant qu’«apaisement».
Mais la même chose se reproduit avec non moins de force aujourd’hui, par
l’apaisement européen à l’endroit des États-Unis.
Le résultat de la conférence de Rome met en
évidence le fait que les États-Unis cherchent à résoudre la crise au Liban par
la destruction militaire du Hezbollah. Ceci est un élément d’un plan délibéré
et de longue date établi entre les États-Unis et Israël pour détruire toute
résistance populaire au Liban à la domination américaine de ce pays.
L’application de ce plan passe par la transformation du Liban en un quasi
protectorat d’Israël.
L’élimination du Hezbollah, qui est considéré
par Washington comme l’allié de la Syrie et de l’Iran, est, à son tour, vue
comme élément critique par l’impérialisme américain dont le but est d’éliminer
ces deux régimes, qui sont considérés comme des obstacles à la domination
américaine des régions riches en pétrole du Moyen-Orient et de l’Asie centrale.
Le raid frontalier du 12 juillet par le
Hezbollah, lors duquel deux soldats israéliens ont été capturés, n’était qu’un
prétexte pour mettre en branle cette opération impérialiste.
Ces faits sont passés sous silence ou
déformés de façon systématique et délibérée par un blitz de propagande
médiatique qui vise à mettre la réalité la tête en bas, présentant
les agresseurs comme les victimes et les victimes comme les va-t-en-guerre. Les
termes sont vidés de leur véritable signification et utilisés pour confondre
les esprits et cacher les choses, plutôt qu'informer.
Ainsi, on qualifie de «diplomatie» la
politique du gouvernement américain consistant à lancer des ultimatums et à
exiger que le Hezbollah et le Liban se plient aux buts de guerre de
Washington et de Jérusalem, sous la menace de l'annihilation. La mission de
Rice au Moyen-Orient et en Europe, dont le but premier était de faire
durer la guerre et de donner à Israël le plus de temps possible pour balayer la
résistance libanaise – ainsi que la résistance palestinienne à Gaza – est
décrite comme un mission de «paix».
Le terme omniprésent de «terroriste» est
appliqué à tous ceux qui résistent à la domination américaine
et israélienne. Que fait cependant Israël par son assaut militaire si ce
n'est de terroriser les Libanais?
Il est maintenant de plus en plus évident
que le terme de «terroriste» est accolé à quiconque les États-Unis décident
à un moment donné de prendre comme cible d'une campagne de déstabilisation
politique ou d'un assaut militaire. Une fois l'étiquette appliquée, toute autre
discussion de l'histoire, de la politique ou des traits sociaux du pays ou du
groupe ainsi marqué est considérée comme illégitime. Le gouvernement américain
peut toujours compter sur des médias indolents et serviles pour diaboliser
la dernière «menace terroriste», même lorsque l'organisation ou le pays visé
était il n'y a pas si longtemps du côté des «bons».
Dans le cas actuel, l'absurdité de cette
propagande passe-partout est soulignée par le fait que le Hezbollah est un
sérieux adversaire politique d'Oussama Ben Laden et de Al Qaida.
Tout cet échafaudage a pour but d'empêcher
le peuple américain de saisir le caractère hors-la-loi et brutal de
la politique étrangère américaine, laquelle est soutenue par tout
l'establishment politique, les démocrates autant que les républicains. Il est
difficile pour de vastes couches de la population de saisir entièrement
l'ampleur de la violence américaine et israélienne, et le caractère impitoyable
de leur agression.
Pendant des décennies, les États-Unis ont
pris la pose de défenseur du droit international. Dans la période de
l'après deuxième Guerre mondiale, ils ont généralement appuyé des cessez-le-feu
lors de conflits régionaux, ce qui était considéré comme la condition
préalable de tout règlement politique négocié.
Cette période est révolue. Ce qui prédomine
de plus en plus c'est l'affirmation sans retenue des ambitions impérialistes,
les États-Unis jouant le premier rôle. C'est la signification essentielle de la
doctrine de la guerre préventive de l'administration Bush. Comme le démontre le
carnage actuel au Liban, pour l'élite dirigeante américaine, la
guerre est non seulement un outil légitime de politique étrangère, c'est aussi son
moyen favori pour faire valoir ses intérêts.
Le problème auquel font face les États-Unis
et Israël dans leur offensive actuelle est qu'ils ont sous-estimé la profondeur
de la résistance au Liban. L'armée israélienne, armée jusqu'aux dents par les États-Unis,
a subi de lourdes pertes dans ses opérations sur le terrain au Liban sud, où
elle fait face à l'adversaire déterminé et discipliné qu'est le Hezbollah, lequel
jouit en outre d'un soutien populaire de masse.
Les plans des États-Unis et d'Israël pour
une guerre courte et sanglante se sont dissipés. Cependant, cela ne fait
qu'augmenter la probabilité qu'Israël, à la demande des États-Unis, intensifie
de manière colossale sa violence contre le Liban. C'est ce qu'indique
déjà le bombardement délibéré par Israël du poste d'observation de l'ONU.
Ni les États-Unis ni Israël ne peuvent se
permettre un bourbier militaire qui viendrait détruire le mythe de
l'invincibilité israélienne. Un tel développement encouragerait la résistance
populaire en Irak, en Afghanistan et dans l'ensemble du Moyen-Orient et de
l'Asie centrale, remettant en question non seulement la suprématie
régionale d'Israël, mais aussi l'existence des régimes bourgeois arabes de
Jordanie, Arabie Saoudite et Égypte sur lesquels comptent tellement les
États-Unis et Israël.
Les conséquences seraient tout
aussi explosives en Israël même. Les efforts de l'élite dirigeante israélienne
pour garder les travailleurs sous contrôle en agitant la menace
supposément omniprésente d'une annihilation par les Arabes vont de pair
avec la description de l'armée israélienne comme seule garantie de survie.
Une tâche sérieuse sur cette imagerie pourrait fournir un exutoire aux
tensions sociales qui fermentent juste sous la surface d'une des sociétés les
plus économiquement polarisées dans le monde.
Il y a déjà en Israël des signes
d'opposition montante à la guerre actuelle, et cette opposition va
grandir non seulement en raison de l'augmentation des
pertes militaires et civiles israéliennes, mais également à mesure que les
travailleurs et les jeunes israéliens commencent à saisir l'ampleur du ravage,
du chaos et de la mort infligés aux Libanais en leur nom.
La grande et tragique leçon des années 30
est que la catastrophe de la guerre ne peut être évitée en faisant appel à
telle ou telle puissance impérialiste, ou en s'alliant à la bourgeoisie d'une
quelconque nation, mais seulement par la mobilisation révolutionnaire des
travailleurs contre le militarisme et le système capitaliste qui l'engendre.
La seule force capable d'empêcher une
autre catastrophe mondiale est la classe ouvrière internationale. Aujourd'hui,
une fois de plus, cette leçon occupe le devant de la scène, et elle doit
devenir la base pour la construction d'un nouveau mouvement socialiste
international de la classe ouvrière.
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