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Le Canada engagé dans une intervention de type colonial en Afghanistan
par Guy Charron
25 juillet 2006
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Depuis l’élection du gouvernement conservateur minoritaire de
Stephen Harper en janvier, les médias canadiens ont entrepris une offensive
pour rallier l’opinion publique à l’opération militaire des Forces armées
canadiennes (FAC) à Kandahar dans le sud de l’Afghanistan.
2300 soldats canadiens sont à la tête de la campagne contre-insurrectionnelle
au sud de l’Afghanistan et une équipe d’une vingtaine de militaires et civils
canadiens agissent aussi en tant que conseillers spéciaux auprès du
gouvernement marionnette d’Hamid Karzaï, une initiative sont se vantent les
partis représentés au Parlement canadien. À la mi-mai, le gouvernement
conservateur a fait adopter une motion en chambre pour prolonger l’opération
canadienne en Afghanistan jusqu’en février 2009.
Imitant l’armée américaine, les FAC incorporent des
journalistes aux unités de combat, qui doivent accepter la longue liste « d’informations
qui ne peuvent être publiées » comme les règles établissant quand les
soldats peuvent faire feu. Les journalistes sont menacés d’expulsion de la base
militaire à laquelle ils sont incorporés s’ils consacrent « un temps
inhabituellement long » à couvrir des activités non militaires, comme le sort
des réfugiés, ce qui se passe dans les écoles et les hôpitaux ou
l’approvisionnement en électricité et en eau potable. Les articles ne peuvent
être publiés sans l’accord des officiers de la base et les journalistes
subissent d’immenses pressions pour ne pas publier certains faits ou certaines
photos. Par exemple, à la mi-mai, la Presse canadienne a rapporté que des
responsables militaires avaient recommandé à un photographe de supprimer ses
photos du plus important groupe de talibans jamais capturé par les soldats
canadiens.
Toutefois, de brefs aperçus de la situation réelle en
Afghanistan réussissent parfois à percer le mur de propagande entourant la
mission canadienne en Afghanistan. Par exemple, lorsqu’on apprend que des
soldats canadiens encerclant un village appellent en renfort l’aviation
américaine pour que celle-ci bombarde des maisons en briques de terre cuite
avec des bombes de 500 livres qui tueront des dizaines de civils ; ou
encore que l’équipe médicale de l’armée canadienne a refusé de soigner un
travailleur revenant chez lui en taxi qui a été la cible, soi-disant par
erreur, du tir des soldats canadiens. Il est mort quelques heures plus tard
dans un hôpital afghan manquant de tout. Les questions soulevées par ces actes,
décrits comme des dommages collatéraux, sont vite oubliées de la presse et ceux
qui les ont perpétrés ne sont jamais inquiétés des enquêtes réalisées par
l’armée canadienne sur leurs gestes.
Le 10 juillet, les médias ont dévoilé que les gouvernements
canadien et afghan avaient signé une entente secrète le 18 décembre 2005. Selon
la Presse canadienne (PC), cette entente signée la même journée qu’une autre
entente portant sur le transfert des prisonniers de l’armée canadienne aux
forces afghanes, établit que « les civils afghans tués ou blessés
accidentellement ou dont les biens sont endommagés par des soldats canadiens
n'ont aucun droit légal à une compensation. »
La PC continue : « Le dédommagement des villageois,
qui vivent généralement dans la misère, dépend d'un obscur processus de
réclamation permettant de verser des indemnités pour des "considérations morales" ».
Des avocats représentant les Forces armées canadiennes sont
autorisés à faire des paiements à titre gracieux s’ils ne dépassent pas 2000 $.
La PC rapporte que le document en leur possession indiquait que « Tout
montant supérieur doit être approuvé par le sous-ministre. Dans la plupart des
circonstances, des paiements ex-gratia ne devraient pas être faits. »
L’armée canadienne a droit de vie ou de mort sur la population
afghane et elle sera tenue responsable seulement de ce qu’elle voudra bien.
Le 7 juillet, le soldat canadien, dont le nom n’a jamais été
publié et qui est responsable du meurtre en mars dernier d’un travailleur
afghan retournant chez lui en taxi, a été exonéré de tout blâme par l’armée
enquêtant sur cet incident. La famille du travailleur a récemment déploré
n'avoir encore touché aucune indemnisation. La famille de l’homme tué par
l’armée canadienne avait demandé de pouvoir immigrer au Canada afin que ses six
enfants soient en sécurité et puissent être éduqués. Cette demande a été
refusée et le gouvernement canadien a expliqué qu’il avait « exprimé ses
sincères regrets » et respecté les coutumes afghanes en faisant parvenir
un mouton à la famille éplorée. On ajoute que cela a coûté 100 $ à
l’armée.
Les discussions que doivent tenir les élites sur des problèmes
comme la possibilité d’être poursuivies pour crimes de guerre viennent parfois
éclairer une autre facette de l’intervention néocolonialiste canadienne.
Depuis le début de l’opération canadienne en Afghanistan en
octobre 2001 jusqu’à tout récemment, le gouvernement canadien a toujours
insisté qu’il respectait les conventions de Genève en Afghanistan. Ces
prétentions ont été contestées, par exemple, parce que l’armée canadienne
remettait aux Américains ses prisonniers qui pouvaient se retrouver
indéfiniment dans le trou noir légal de la prison de Guantanamo ou du réseau de
prisons secrètes étrangères des forces de sécurité américaines.
En décembre 2005, le gouvernement a annoncé qu’il avait signé
une entente avec le gouvernement afghan sur le transfert des prisonniers qui
stipulait que les forces afghanes devaient respecter la troisième convention de
Genève. Cette entente a été critiquée avec raison parce qu’elle se limitait aux
droits garantis par une seule des quatre conventions de Genève et qu’elle
ignorait les nombreux autres traités internationaux régissant le traitement des
prisonniers de guerre ; parce qu’il n’y a aucune façon de contrôler le
sort des prisonniers transférés et parce que rien n’empêche les forces afghanes
de transférer les prisonniers en sa possession à une autre armée, y compris
celle des États-Unis.
Mais à la fin du mois de mai, le lieutenant-général Michel
Gauthier, haut responsable du commandement de la Force expéditionnaire du
Canada à Ottawa, a annoncé que les FAC avaient adopté une position semblable à
la position américaine. Il a déclaré que les conventions de Genève ne
s’appliquent pas en Afghanistan et que les prisonniers capturés par les FAC en
Afghanistan n’avaient pas à être amenés devant un tribunal pour déterminer
s’ils étaient prisonniers de guerre ou non selon les conventions de Genève.
Les FAC n’ont pas changé leur position officielle depuis la
récente décision de la Cour suprême américaine qui a mené au changement de
politique de l’administration Bush quant aux détenus de Guantanamo.
Les conventions de Genève ne s’appliquent pas aux prisonniers
capturés par l’armée canadienne, a dit Gauthier, puisque « Les règles…
s’appliquent lors d’un conflit armé entre États, et ce qui se passe en
Afghanistan n’est pas un conflit armé entre États. Donc, il n’y a pas de base
pour déterminer si des individus sont des prisonniers de guerre. »
Cette position a été défendue par le ministre canadien de la
Défense, Gordon O’Connor et le ministre canadien des Affaires étrangères, Peter
McKay.
Il est tout à fait erroné de prétendre que les conventions de
Genève ne s’appliquent que « lors d’un conflit armé entre États ».
Selon un avis légal écrit par le professeur Michael Byers, un expert en droit
international, «l’article 3 commun aux quatre conventions de Genève s’applique
aux conflits non-internationaux (c’est-à-dire internes) précisément du type de
celui que l’on trouve maintenant en Afghanistan.
« L’article 3 commun aux quatre conventions, continue le
professeur, protège "Les personnes qui ne participent pas directement aux
hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes"
et donc tous les détenus capturés par le Canada. »
De plus, le gouvernement conservateur, avec l’aide du Bloc
québécois, a évité une autre question centrale du respect des conventions de
Genève. Le matin où Gauthier a fait sa déclaration, le Bloc est venu à la
rescousse des conservateurs, exigeant qu’ils bénéficient au moins des
traitements dus aux prisonniers de guerre lorsque détenus par l’armée
canadienne, ce que le ministre de la Défense a immédiatement concédé : « Lorsqu'ils [les soldats canadiens] font des
prisonniers, a déclaré O’Connor, nos soldats suivent toujours les règles de la
convention de Genève. C'est la norme minimale dans chaque situation, peu importe
si l'opération en cours est chapeautée ou pas par la convention de Genève. »
Mais la convention de Genève n’exige pas seulement que l’armée
canadienne traite ses prisonniers conformément à certaines règles, entre autres
la supervision permanente par la Croix-Rouge ou le Croissant-Rouge, mais aussi
qu’ils ne soient pas remis à d’autres forces qui ne les respecteront pas.
L’armée canadienne en Afghanistan détient rarement ses
prisonniers plus de quelques heures. Jusqu’à récemment, elle les remettait à
l’armée américaine qui ne leur reconnaissait pas le statut de prisonniers de
guerre. Aujourd’hui, les FAC remettent leurs prisonniers aux forces afghanes où
ils risquent la torture ou la mort.
Le lieutenant-général Gauthier a voulu se faire rassurant pour
les troupes : « Notre intention n’est certainement pas de rendre les
soldats et les officiers de bas rang responsables de tout cela. Nous sommes sur
un terrain légal solide… nous n’avons aucune inquiétude sur la possibilité d’une
poursuite… ou d’allégations d’actes criminels pour avoir transféré les
détenus.»
L’armée canadienne n’est pas sur un « terrain légal
solide ». Comme le montre le débat au Parlement et les reportages des
grands médias, l’unique raison pour laquelle le haut commandement de l’armée
canadienne et les responsables de cette guerre d’invasion n’ont « aucune
inquiétude » d’être poursuivis pour crimes de guerre est le vaste
consensus au sein des élites dirigeantes canadiennes et américaines que cette
guerre est nécessaire pour défendre la position géopolitique de la classe
dirigeante nord-américaine ainsi que l’assurance de trouver des médias et une
opposition soumis.
Finalement, un article paru récemment dans le quotidien
montréalais La Presse, sous le titre « Les soldats canadiens en Afghanistan pour tuer », reprenait de grandes parties d’un reportage
de France 2 télédiffusé la veille, expliquant à quelles activités se livre une
armée engagée dans une opération coloniale.
Selon le reportage de La Presse, on peut voir des soldats
canadiens se vantant qu’ils sont dans le sud de l’Afghanistan pour trouver et
tuer les talibans, le nom donné à tout opposant de l’invasion par les forces de
l’OTAN et au régime marionnette de Karzaï, et de façon plus vaste, aux victimes
des bombardements des forces de la coalition, même les femmes, les enfants ou
les vieillards.
«Avant, on ne cherchait pas le combat. Mais ici, on cherche le
combat. C'est quelque chose que l'on veut pour tuer l'ennemi. Pour assurer la sécurité »,
a expliqué un soldat.
Le reportage de France 2 offre un aperçu de l’immense
opposition que rencontre l’invasion dans la population afghane. On peut y voir
des soldats canadiens défoncer une porte à coups de pieds pour débusquer un
vieillard et des femmes. Après avoir insulté le vieil homme, un soldat
entreprend de le menacer : « Tant pis pour vous
si vous ne voulez pas nous dire où se cachent les talibans », dit-il, le fixant
dans les yeux. « On va venir les tuer. On va balancer plein de bombes et
tirer partout. C'est ça que vous voulez ? Alors, continuez à ne rien dire. »
Une autre scène montre un soldat en train de menacer les
habitants d’un village s’ils ne collaborent pas avec lui. « Ce n'est pas
une bonne idée d'aller rejoindre les talibans, dit le soldat devant une
assemblée de quelques hommes silencieux. Mes soldats sont très bien entraînés.
Ce sont de bons tireurs. Et vous allez mourir. »
Le soldat leur agite alors une liasse de billets sous le nez
et un homme lui répond : « C'est gentil de votre part, mais on ne
veut pas de votre argent. C'est notre pays. Et avec toutes nos forces, on le
protégera. »
Ce reportage vient démolir les prétentions du gouvernement
conservateur, du gouvernement libéral avant lui et des Forces armées
canadiennes que la mission canadienne en Afghanistan constitue une mission pour
restaurer la démocratie ou une mission de soutien à la paix. Le reportage
montre les militaires engagés dans une opération visant à terroriser une
population hostile à la présence d’une force d’occupation étrangère dans leur
pays pour occuper une position géostratégique importante.
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