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L’incapacité de l’Europe à contrer la politique belliqueuse israélo-américaine
par Ulrich Rippert
22 juillet 2006
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Lorsque le gouvernement Bush a déclenché il y
a trois ans sa guerre contre l’Irak, certains gouvernements européens ont mis
en garde contre le fait qu’un tel conflit armé pourrait conduire à un désastre
militaire et politique. Des avertissements qu’une nappe de feu incontrôlable
pourrait s’étendre à l’ensemble du Proche Orient s’étaient notamment fait
entendre de Berlin et de Paris.
Aujourd’hui, après que ces craintes se soient
concrétisées de la plus terrible manière, les critiques européens d’antan ont
changé de trajectoire pour s’aligner derrière la politique de guerre
israélo-américaine. C’est là la signification de la déclaration commune qui a
été publiée lors du sommet du G8 à Saint Petersbourg. C’est avant tout le
gouvernement dirigé par Angela Merkel qui a joué un rôle primordial. Alors que
le président français, Jacques Chirac, appelait à un cessez-le-feu en mettant
en question la disproportion des attaques aériennes, la chancelière allemande a
appuyé de façon inconditionnelle la ligne américaine avancée lors de ce sommet
en faveur de Jérusalem.
Deux jours avant le sommet, alors que l’armée
israélienne, sous les regards du monde entier, lançait ses opérations
militaires contre le Liban en détruisant le principal aéroport du pays, Angela
Merkel recevait avec exubérance le président américain.
Comment expliquer ce revirement ? Il ne
suffit pas de dire qu’il y a trois ans déjà Angela Merkel au même titre que
d’autres politiciens influents de l’alliance entre l’Union chrétienne-démocrate
(CDU) et l’Union chrétienne-sociale (CSU) avaient déjà soutenu le gouvernement
Bush. Des changements de direction politique d’une telle ampleur ne sont pas
déterminés par des individus mais ont des racines objectives profondes.
Le problème fondamental auquel sont confrontés
les milieux politiques européens est que la guerre en Irak avec sa terreur
quotidienne contre la population, et qui est à présent étendue au Liban et aux
territoires palestiniens, pourrait bientôt inclure la Syrie et l’Iran,
représente une charnière historique. Lorsqu’il y a trois ans, le gouvernement
Bush déclenchait sa guerre illégitime contre l’Irak en faisant peu de cas des
Nations unies et des lois internationales il avait fait clairement savoir qu’il
ne reconnaissait plus les lois et les accords internationaux mais qu’il agirait
selon le principe de «la loi du plus fort » en se basant sur sa toute
puissance militaire.
En d’autres termes, le système politique
établi sur les ruines de la seconde guerre mondiale et qui obligeait chaque
pays à respecter les lois internationales a cessé d’exister. La guerre contre
l’Irak et son extension au Liban et aux territoires palestiniens marque le
retour à une politique impérialiste des plus agressives et des plus brutales.
Ce développement pose un dilemme aux
gouvernements européens. Ils souhaiteraient volontiers trouver une solution
diplomatique à la guerre ou plus exactement, ils préféreraient sauvegarder
leurs propres intérêts énergétiques et géostratégiques au moyen de
négociations, mais, pour ce faire, ils ont besoin de la coopération du
gouvernement américain qui précisément n’a aucun intérêt à cela.
Cette contradiction prend actuellement des
formes bizarres. Bien que dans les milieux politiques et les bureaux de
rédaction des médias tout le monde sait que : premièrement, la guerre
contre l’Irak et l’occupation américaine ont des conséquences catastrophiques
sur le pays et l’ensemble de la région, que deuxièmement, le gouvernement
israélien n’aurait jamais été en mesure de lancer une telle opération
militaire, comme c’est le cas présentement au Liban, sans consultation
préalable et sans l’assentiment du Pentagone, et que troisièmement, le
gouvernement américain dispose de plans visant à contrôler l’Iran, si
nécessaire par la force, en vue de s’assurer l’accès aux réserves de pétrole et
de gaz naturel dans le Bassin caspien, la revendication centrale émise par
l’Europe est que le gouvernement américain s’engage davantage encore au Proche
Orient.
L’un des premiers à souligner cette position
fut le démocrate social Karsten Voigt, le coordinateur pour la coopération
germano-américaine au ministère fédéral des Affaires étrangères. Le jour où
l’armée israélienne détruisait l’aéroport international de Beyrouth, et ce avec
l’accord de Washington et avec des armes «made in USA», Voigt déclarait dans
une interview accordée au micro de la radio Deutschlandfunk : «Pour
commencer, une chose est juste, le Proche Orient est une région où nous ne
voulons pas moins d’USA, mais plus d’USA. Et c’est aussi ce que disent des
critiques normaux aux Etats-Unis car sans les Etats-Unis il ne sera pas possible
d’y calmer la situation.»
On aurait pu s’attendre à ce que les
conséquences du désastre de la politique de guerre américaine en Irak et dans
l’ensemble du Proche Orient, et desquelles certains gouvernements européens
avaient prévenu du danger, renforcent le rôle des bourgeoisies européennes,
mais c’est le contraire qui se produit. Dans les conditions d’une situation
incendiaire et de danger d’une conflagration militaire, les Européens font
appel à présent au principal pyromane du monde.
Tout comme Voigt, l’ancien ministre des affaires étrangères,
Joshka Fischer du parti des Verts, a déclaré dans une interview au journal Die
Zeit: «Tout dépend avant tout des Etats-Unis, de son leadership, mais tout
seuls ils seraient débordés.» Quand Die Zeit a objecté que Washington
est «entièrement pris en ce moment en Irak» et donc déjà débordé, Fischer a
répondu : «Il n’y aura pas de solution sans une Amérique déterminée.
L’Irak et le vide de pouvoir là-bas pose à l’Amérique et à nous tous des
problèmes considérables. Mais la question décisive ce n’est pas l’Irak, c’est
l’Iran.»
Dans un commentaire mercredi, le quotidien français Le
Monde a écrit: «Alors que faire ? Tout a été essayé ou presque, sauf
un engagement massif de la communauté internationale, c'est-à-dire avant tout
des Etats-Unis, en faveur du compromis dont les grandes lignes sont connues.
Avec présence militaire sur le terrain.»
Il n’en reste pas moins que la présence militaire sous la
conduite des Etats-Unis a mené à une catastrophe dans la région. De futiles
espoirs de la part des Européens qu’il serait possible d’éteindre le feu en y
jetant de l’huile montrent clairement que les détenteurs de pouvoir de Berlin
et Paris n’ont absolument aucun moyen de contrer la politique militariste des
US. Ils sont à la fois impressionnés et intimidés par la manière dont le
gouvernement Bush poursuit ses objectifs de façon aussi calculée, avec
sang-froid et force brute.
La brutalité de la terreur semée par les bombardements sur
Bagdad, Falloudja, Basra et maintenant Beyrouth et Gaza, et probablement demain
sur Damas et Téhéran, y a contribué. Ce qui est aussi pour quelque chose
c’est la manière dont les Etats-Unis s’est lourdement imposé en Europe,
avec les «restitutions» illégales de présumés terroristes, le maintien de
prisons où la torture sévit, et le rejet méprisant de toute sorte de contrainte
légale qui ont laissé des traces et renforcé les éléments politiques les plus
réactionnaires. Il n’a pas fallu grand-chose pour intimider les gouvernements
européens.
A ceci s’ajoute le fait que l’Union européenne n’est pas juste
dans une crise continue depuis le rejet de la constitution européenne par la
France et les Pays-Bas. A quelques mois à peine des cérémonies de célébration
du cinquantenaire de la signature du Traité de Rome au printemps de 1957, qui
avait marqué le début du processus d’unification de l’Europe, l’élite politique
européenne parvient de plus en plus à la conclusion que malgré la monnaie
unique l’unification européenne a non seulement été stoppée mais qu’elle menace
de faire marche arrière. L’expansion de l’Union européenne vers les pays de
l’est s’est révélée être un échec et les contradictions et égoïsmes nationaux
surgissent partout en Europe.
Les relations de l’Europe avec la Russie ont aussi changé.
Pour sa part le gouvernement allemand est en faveur d’une relation équilibrée
qui s’étend vers l’ouest comme vers l’est. Ceci s’avère nécessaire du fait de
son niveau élevé de dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou. Cependant, avec
l’intensification des tensions entre les Etats-Unis et la Russie, faire un tel
grand écart n’est plus possible. Il y a aussi le fait que la Russie sous la
présidence de Vladimir Poutine est très différente de la Russie de Boris Eltsine.
La décision prise par le Kremlin au début de l’année de cesser
l’approvisionnement en gaz de l’Ukraine a envoyé des ondes de choc sur Berlin.
Les voix mettant en garde contre une trop grande dépendance vis-à-vis de Moscou
se sont amplifiées et en conséquence les contacts avec Washington se sont
intensifiés.
Il y a cependant un facteur supplémentaire qui a conduit les
gouvernements européens à s’aligner derrière la puissance impérialiste la plus
forte qu’est Washington, c’est la crise sociale croissante en Europe et
l’augmentation marquée des conflits sociaux. C’est le cas en particulier de
l’Allemagne.
Depuis le tout début, la grande coalition allemande était
affligée d’une malformation de naissance. Elle était née d’une élection où les
soi-disant partis de «gauche», Sociaux-démocrates, les Verts et le Parti de la
Gauche, avaient reçu plus de voix que la «droite» des partis d’union
conservateurs et du FDP pro marché libre. Merkel n’avait pu prendre le poste de
chancelier que du fait de l’empressement du SPD à former une grande coalition.
Peu après la formation du nouveau gouvernement allemand, des
manifestations de masse se sont développées en France contre les tentatives par
le gouvernement français de se défaire des lois de protection du travail. Sous
la pression des manifestations par des millions de personnes le gouvernement
Villepin a été forcé de reculer temporairement.
Dans ces conditions, le gouvernement Merkel a procédé de façon
plus prudente en matière de politique intérieure, ce qui à son tour lui a valu
la colère des groupes de pression du monde des affaires influents pour qui le
démantèlement de l’Etat providence allemand n’allait pas assez vite.
La décision à présent de soutenir les fauteurs de guerre dans
la guerre actuelle au Moyen-Orient, alors même que le régime est tout à fait
conscient que la grande majorité de la population rejetait la guerre en Irak et
était descendue par millions dans la rue pour l’exprimer, représente un
tournant. A l’avenir, le gouvernement allemand sera prêt à se montrer aussi
impitoyable envers sa propre population qu’il l’est aujourd’hui envers les
populations du Liban, de Palestine et d’Irak.
En dernière analyse, la nouvelle orientation politique de
Paris et Berlin vient de la nature de classe de ces gouvernements. Faisant peu
cas de ces critiques qui se plaignent «du capitalisme prédateur des
Etats-Unis», les élites européennes poursuivent des intérêts économiques et
politiques identiques, et dans une situation de tensions grandissantes à
l’intérieur comme à l’extérieur du pays, ont décidé de s’aligner sur la
puissance impérialiste la plus forte.
Cela ne résoudra en rien les tensions grandissantes entre les
grandes puissances, et ne parviendra pas à les apaiser. Au contraire, cela
inaugure une nouvelle étape d’attaques violentes sur les droits sociaux et
démocratiques.
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