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Le gouvernement canadien indifférent au meurtre de huit de ses citoyens par Israël
par Keith Jones
21 juillet 2006
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Le gouvernement conservateur canadien a réagi à la mort de
huit citoyens canadiens dans une frappe aérienne israélienne par un haussement
d’épaules.
Les Canadiens, quatre adultes et quatre enfants âgés entre
1 et 7 ans, font partie des onze membres de la famille Al-Akhrass qui ont été
tués par les tirs israéliens sur le village de Aitaroun au Liban sud, dimanche
dernier. Les quatre maisons de la famille à Aitaroun ont été détruites par des
bombes israéliennes.
Par le passé, un tel événement aurait déclenché une forte
protestation canadienne, et Ottawa aurait probablement convoqué l’ambassadeur
israélien pour des réprimandes officielles. À plus forte raison, car il est
incontestable que les actes d’Israël contre le Liban, apparemment déclenchés en
réaction au kidnapping de deux soldats par le Hezbollah, ont pris la forme
d’une mission punitive, l’armée israélienne assiégeant le pays et prenant pour
cibles les infrastructures et les civils libanais.
Des trois cent personnes tuées au cours des huit derniers
jours de combat, la très grande majorité sont, comme le pharmacien de Montréal
Ali Al-Akhrass et sa famille, d’innocents civils.
Toutefois, le gouvernement conservateur est durement
indifférent à ces décès, même lorsque les morts sont ceux qu’il devrait
apparemment représenter.
Il n’a même pas émis la moindre protestation au sujet de
l’attaque israélienne sur Aitaroun. Pas plus qu’il ne semble qu’Ottawa ait fait
quoi que ce soit pour enquêter sur ce qui s’est produit à Aitaroun, à part de
demander au gouvernement israélien, dont l’armée a tué les Canadiens, de
fournir des détails.
Lundi, lors d’une conférence de presse, le premier ministre
canadien Stephen Harper a offert ses «condoléances» aux familles des Canadiens
tués au Liban, mais seulement après avoir réaffirmé l’assertion de son
gouvernement que le Hamas et le Hezbollah étaient les seuls responsables de la
guerre non déclarée qui fait maintenant rage dans la région et après avoir mis
de l’avant des arguments pour justifier les terribles pertes civiles aux mains
de l’armée israélienne.
Il y a une crise au Moyen-Orient, a déclaré Harper, «à
cause des actions du Hamas et des actions du Hezbollah» et «la responsabilité
repose» sur eux «de prendre des mesures pour mettre un terme au conflit».
«Mais évidemment», a poursuivit Harper, «nous incitons
Israël et les autres à minimiser les dommages civils».
De crainte que cela soit interprété comme une critique
d’Israël pour les morts des Canadiens, Harper s’est empressé de rajouter: «C’est
difficile par contre. Nous reconnaissons qu’il est difficile de combattre une
organisation non gouvernementale qui est mêlée à la population civile.»
Mardi, Harper a concédé que l’anéantissement d’une grande
partie de la famille Al-Akhrass était une «tragédie», mais dans le contexte de
la défense énergique de sa déclaration du 13 juillet que la réaction
israélienne au kidnapping de ses soldats par le Hezbollah et le Hamas était
«mesurée», c’est-à-dire appropriée.
«Mesurée», dit Harper, bien que le gouvernement israélien ait
à toutes fins pratiques déclaré la guerre aux Libanais et aux Palestiniens et
ait clairement affirmé qu’il n’avait pas de réel intérêt à négocier la
libération des soldats israéliens kidnappés. Israël utilise plutôt leur capture
comme un prétexte pour refaçonner de manière sanglante la géopolitique du
Moyen-Orient.
Israël a peut-être été encore plus préoccupé par les morts
des Canadiens à Aitaroun que le gouvernement Harper. Alors que les actions
d’Ottawa sur la question se sont limitées à une demande routinière
«d’information» de Tel-Aviv, le premier ministre israélien Ehoud Olmert a
téléphoné mardi à Harper pour offrir les «condoléances» du gouvernement
israélien.
L’attitude du gouvernement Harper envers le meurtre de ses
citoyens par Israël illustre sa complicité et celle de l’administration Bush et
d’autres gouvernements occidentaux dans la dernière guerre d’agression
d’Israël, une guerre où une imposante machine militaire, équipée du plus
sophistiqué et meurtrier armement, terrorise une population presque totalement
sans défense au nom de «l’éradication du terrorisme».
Comme on pourrait s’y attendre, la dure indifférence de
Harper pour le sort des membres de la famille Al-Akhrass a mis en colère les
survivants de celle-ci. Lundi, lors d’une conférence de presse à Montréal, ils
ont dénoncé Israël pour le massacre de civils et le gouvernement Harper pour avoir
soutenu l’agression israélienne contre le Liban.
«Je pleure tous les innocents qui meurent», a dit la sœur
d’Ali Al-Akhrss, Maysoun.
«Je pleure parce que mon pays est détruit. Par qui? Israël.
Personne, ni les médias, ni Harper, n’appuient le Liban. Personne ne dit la
vérité.»
Les membres de la famille ont dit qu’Ali a amené sa femme
et ses quatre enfants à Aitaroun fin juin pour une visite de cinq semaines à
leur maison ancestrale. Lorsque les combats ont commencé la semaine passée, ils
se sont rendus à l’ambassade canadienne à Beyrouth pour obtenir de l’aide afin
de sortir du Liban, mais le personnel de l’ambassade leur a répondu de rester
où ils étaient.
(Même s’il est reconnu qu’il y a plus de Canadiens au Liban
que toutes les autres nationalités occidentales combinées, plusieurs États
européens et les États-Unis ont commencé l’évacuation de leurs citoyens bien
avant que le Canada ne le fasse. Ce n’est qu’hier que l’opération d’évacuation
par le Canada a débuté, et encore dans la confusion la plus totale comme ont dû
l’admettre les médias.)
Le président de la Fédération canadienne arabe, Khaled
Mouammar, a dit lors d’une conférence de presse à Toronto mardi: «Nous somme
ici pour exprimer notre colère envers les déclarations du premier ministre.»
« … Le premier ministre justifie l’assassinat de
civils canadiens au Liban et en Palestine et il ne dit rien pour condamner ces
attaques. »
Mouammar a contrasté l’indifférence du gouvernement
canadien devant les morts de la famille Al-Akhrass avec ces demandes
vigoureuses que l’Iran mène une enquête et entreprenne des poursuites contre
les responsables de la mort de Zahra Kazemi, une photographe canadienne qui est
morte dans une prison iranienne après avoir été brutalisée par le personnel
iranien de sécurité.
Au même moment, les médias de la grande entreprise au
Canada ont fait l’éloge du gouvernement Harper pour avoir utilisé l’agression
israélienne afin de pousser la politique étrangère du Canada carrément vers la
droite et pour avoir fait sienne encore une fois la politique et la posture de
l’administration Bush.
«Le changement de politique étrangère du gouvernement
Harper, s’est enthousiasmé John Ibbitson du Globe and Mail, revient à un
changement de camp dans le schisme qui sépare l’Amérique du Nord de l’Europe
sur la question du Moyen-Orient. Durant la guerre contre l’Irak en 2003, la
politique étrangère du gouvernement libéral a placé le Canada dans l’opposition
aux côtés de la France, de l’Allemagne et de la Russie. Maintenant le Canada
est du côté des États-Unis, de l’Angleterre et de l’Australie en soutien à
Israël… »
De nombreux commentateurs de presse se sont moqués de
politiciens de l’opposition, y compris du chef libéral par intérim Bill Graham,
pour avoir suggéré que l’absence de «nuances» dans la position du gouvernement
Harper sur le conflit au Moyen-Orient mettra le Canada hors-jeu dans de futures
négociations diplomatiques.
Et le National Post, la publication
vedette de l'empire médiatique Canwest, a consacré une série de chroniques ainsi
que son principal éditorial de lundi à exonérer Israël de toute
responsabilité pour la mort des huit Canadiens. «Aussi horribles que soient ces
décès», peut-on lire dans l'éditorial du Post, « il y a une
importante distinction morale à faire entre des terroristes qui tuent des
civils délibérément, comme dans le cas des attaques à la roquette du
Hezbollah; et une armée qui tue accidentellement des civils en menant des
attaques sur des objectifs militaires et stratégiques.»
En fait, comme en atteste le décompte des
corps, la cible de l'assaut israélien sur le Liban est sa population. Israël
vise, comme l'ont expliqué plusieurs analystes stratégiques, à infliger de
telles souffrances et à semer une telle terreur parmi les Libanais qu'ils
finiront par «se retourner» contre le Hezbollah, mouvement qui est apparu
en réponse à l'invasion israélienne du Liban en 1982 , laquelle a mené
directement au massacre des Palestiniens aux camps de réfugiés de Sabra et de
Shatila.
L'indifférence du gouvernement Harper au
meurtre de huit Canadiens au Liban est un parfait symbole de sa nature. En
poursuivant les objectifs de la grande entreprise – le repositionnement du
Canada sur la scène mondiale en tant que puissance militaire étroitement liée
aux États-Unis, le démantèlement de ce qui reste de l'État
providence, et la redistribution systématique de la richesse en faveur des
propriétaires du capital et des sections les plus privilégiée de la classe
moyenne par des baisses d’impôts et des privatisations – le gouvernement
conservateur est à fait indifférent au sort du peuple canadien.
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