wsws : Nouvelles
et analyses : Europe
Espagne: les syndicats acceptent des réformes de l’emploi dirigées
contre la classe ouvrière
Par Keith Lee et Paul Mitchell
17 juillet 2006
Utilisez
cette version pour imprimer
L’année dernière, les syndicats espagnols
menaçaient d’organiser un «hiver de la grogne» lorsque le gouvernement du Parti
socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a annoncé des propositions de réformes du
droit du travail permettant aux employeurs de licencier plus facilement les
travailleurs.
Après 14 mois de négociations durant lesquels
les routiers, les pêcheurs, les mineurs, les dockers et les ouvriers de l’usine
automobile SEAT ont été engagés dans une lutte féroce, les syndicats ont
quasiment cédé à toutes les exigences du PSOE. En échange, les syndicats obtiennent
davantage de pouvoir pour contrôler les grèves officieuses et des droits
spécifiques pour représenter les ouvriers employés en sous-traitance ainsi que
des locaux mis à leur disposition dans le siège de l’entreprise et à partir
desquels ils peuvent diriger leurs affaires.
Les «partenaires sociaux» sont les Commissions
Ouvrières – CC.OO (Comisiones Obreras, CC.OO) dirigées par les staliniens, la
Confédération générale du travail (CGT Espagne) dirigée par le PSOE (Confederación
general del Trabajo, CGT), la Confédération espagnole des organisations
d’Entreprises (CEOE) et la Confédération espagnole de la petite et moyenne
entreprise (Confederación Española de la Pequeñay Mediana Empresa).
Les réformes de l’emploi doivent être soumises
au parlement à la fin du mois. Publié comme décret royal 5/2006, l’accord a été
décrit comme «fondamental à la promotion d’un modèle de croissance économique équilibrée
et pérenne, basé sur la compétitivité des entreprises, l’augmentation de la
productivité et la cohésion sociale» ainsi que l’exige la Stratégie de
Lisbonne.
Les dirigeants de l’Union européenne (UE) se
sont mis d’accord en mars 2000 sur la Stratégie de Lisbonne. Son objectif
principal est d’accroître le niveau de profits des entreprises européennes au
moyen de la dérégulation, de la privatisation et d’une faible imposition des
sociétés. Au nom de la «durabilité» l’UE s’est également engagée à réduire les
déficits budgétaires de ses états membres et à faire des coupes claires dans
les programmes actuels de retraite et de services sociaux d’ici 2010.
En Espagne, le gouvernement a entrepris de
saper les droits des travailleurs titulaires d’un contrat à durée indéterminée
en rendant plus facile pour les employeurs de licencier à moindres frais. Le
coût moyen de licenciement d’un travailleur espagnol ayant un contrat à durée
indéterminée est de 56 semaines de salaire contre 33,5 semaines au Royaume-Uni,
32 semaines en France, 25 semaines en Pologne et 13 semaines en République
Slovaque.
Suite au nouvel accord, les travailleurs qui
obtiendront un contrat indéterminé n’auront plus droit qu’à 30 jours
d’indemnité au lieu de présentement 45 jours par année de service. Les
employeurs européens verseront des contributions plus faibles au régime
d’assurance chômage qui est actuellement de l’ordre de 6 pour cent du salaire
de base d’un ouvrier et l’argent qu’ils versent au Fonds de garantie salarial (Fondo
de Garantia Salarial) servant à payer au travailleur licencié un salaire
minimum et une indemnité sera réduit de moitié. En ce qui concerne les
entreprises de moins de 25 employés, le gouvernement paiera 40 pour cent de
l’indemnité de départ.
Le décret stipule que ces changements
«amélioreront la situation des travailleurs» en réduisant le nombre de
travailleurs disposant d’un contrat à durée déterminée appelé contraros basura
(littéralement contrats poubelle). Le ministre du Travail, le socialiste Jesus
Caldera, a dit, «Le plus important est de changer notre modèle… Il ne doit plus
y avoir deux catégories» de travailleurs.
A l’heure actuelle, un tiers des travailleurs
espagnols, soit environ 5 millions, sont obligés d’accepter ce genre d’emploi à
bas salaire et précaire. C’est plus du double de la moyenne européenne. Près de
60 pour cent des jeunes et 50 pour cent des travailleurs employés dans de
petites entreprises disposent de contrats à durée déterminée et gagnent à peine
4 euros de l’heure. Ils ont peu de chance de pouvoir bénéficier d’une formation
ou de développer des compétences quelconques. Les patrons sont accusés de n’embaucher
de travailleurs que jusqu’en juillet et de les réemployer en septembre pour
éviter de payer la prime de vacances.
Caldera a clamé que les propositions de son
gouvernement prévoyaient de subventionner les employeurs qui accorderaient des
contrats indéterminés aux travailleurs qui, au cours d’une période de trente
mois, ont eu deux ou trois contrats déterminés totalisant une durée de plus de
24 mois. La proposition est toutefois pour une grande part symbolique vu que
deux tiers des 900.000 emplois créés en 2005 concernent des contrats de six
mois ou moins. De plus, l’expérience montre que depuis que les contrats
déterminés ont été introduits par le gouvernement socialiste dirigé par Felipe
González de 1982 à 1996, les employeurs ont toujours trouvé le moyen de
contourner les propositions visant à les réduire.
Après la mort du dictateur, le général
Francisco Franco, en novembre 1975, la classe dirigeante espagnole a connu une
grave crise et a été confrontée à des grèves et des manifestations massives,
une agitation étudiante et des occupations d’usine. Malgré les nombreuses
attentes de la population pour un réel changement et la détermination de passer
en justice ceux qui avaient participé au régime de Franco, la soi-disant
«transition pacifique» (1975-1978) vers la démocratie bourgeoise a été imposée
à la classe ouvrière par le PSOE et le Parti communiste espagnol (PCE).
La collaboration entre le PSOE et le PCE pour venir
au secours du capitalisme espagnol et étouffer l’opposition révolutionnaire a atteint
son paroxysme lorsque tous les principaux partis ont signé le Pacte de la Moncloa
ouvrant de ce fait la voie à une nouvelle constitution. Le Statut des Droits
des Travailleurs de 1980 ont commencé par déréguler les relations industrielles
corporatistes mises en place durant la dictature fasciste en incluant des concessions
à la classe ouvrière, telles l’interdiction de toute forme d’agence de travail
temporaire et des restrictions sur les licenciements arbitraires de
travailleurs par les employeurs.
Toutefois, sous le gouvernement González, le
chômage a grimpé à 28 pour cent. Le gouvernement a affirmé pouvoir réduire le
chômage par une série de mesures prévues dans sa loi de réforme de l’emploi de
1974 et que les syndicats avaient approuvées, notamment une réforme légalisant
les agences de travail temporaire. En conséquence, le marché de l’emploi
espagnol s’est transformé d’un marché du travail où le travail temporaire était
pratiquement inexistant à la situation actuelle où un tiers des travailleurs y
sont condamnés.
Lorsque José Maria Aznar et le Parti populaire
(PP) sont venus une première fois au pouvoir en 1996, après 14 années de
gouvernement PSOE, il leur fallait atténuer la défiance intense de la classe
ouvrière. A cette époque, le PP ne pouvait gouverner qu’en tant que
gouvernement minoritaire dans une coalition avec les partis nationalistes
catalan et basque. Aznar avait pris soin d’inclure les syndicats dans le
processus de dialogue social (diálogo social) qui s’était rompu au milieu des
années 1980 sous le PSOE. En 1997, il a signé avec eux un accord social connu
sous le nom de Pacte de Toledo. Aznar a loué les dirigeants syndicaux pour leur
«grande maturité» à accepter le pacte et à abandonner leurs «préjugés» dans
l’intérêt d’un «consensus».
Le gouvernement a instauré le décret royal
8/1997 proclamant des mesures urgentes «pour l’amélioration du marché de
l’emploi et promouvoir des contrats à durée indéterminée» et le décret 9/1997
«régulant la sécurité sociale et prévoyant des exonérations d’impôts afin de
promouvoir les contrats indéterminés et les emplois stables.» Toutefois, le
nombre de contrats temporaires est demeuré quasi inchangé. De plus, les
salaires des travailleurs disposant d’emplois temporaires ont en fait baissé et
leurs conditions de travail se sont détériorées.
Réélu en 2000 à la majorité absolue, le PP a
été pressé par le patronat d’introduire davantage de réformes sans attendre la
conclusion d’accords de dialogue social. Les syndicats ont accepté finalement
des contrats indéterminés plus flexibles avec des coûts de licenciement plus
bas à condition que les travailleurs temporaires reçoivent le maigre paiement
d’une semaine pour chaque année travaillée. Ceci n’était un geste symbolique vu
qu’il ne s’appliquait pas à tous les modèles de contrats déterminés et pouvait
être baissé par la négociation.
Le nouveau gouvernement PSOE du premier
ministre José Luis Zapatero, élu en mars 2004, en pleine vague d’opposition
populaire au PP, était parfaitement conscient des conséquences politiques
qu’aurait ce genre d’attaques antisociales exigées par le patronat. Le PP
s’était aventuré à des attaques de bien moindre importance durant son mandant
alors qu’il jouissait encore d’un avantage en raison des subventions
communautaires mais il avait tout de même été contraint de démissionner sous la
pression d’un mouvement de masse populaire qui s’était développé après les
attentats à la bombe dans les trains de Madrid, le 11 mars 2004.
Les syndicats se sont unis au gouvernement et
aux dirigeants patronaux dans une «déclaration en faveur du dialogue social» en
juillet 2004 qui fournissait «une possibilité de faire progresser davantage les
réformes du marché de l’emploi». Les signataires de la déclaration se sont accordés
sur le fait qu’une productivité et une compétitivité plus grandes étaient
nécessaires et que les coûts des contrats indéterminés devaient être réduits
dans le but de promouvoir une main d’œuvre qualifiée bon marché.
Pour l’élite dirigeante, la main d’œuvre bon
marché hautement flexible fournie par les contraros basura a été l’une des
raisons primordiales au taux relativement élevé de la croissance économique en
Espagne (3,4 pour cent en 2005 – soit le double de la moyenne européenne).
Mais, alors que les entreprises espagnoles enregistrent des bénéfices record et
que le pays a rejoint les dix pays du monde ayant le plus grand nombre de
millionnaires, la classe ouvrière est confrontée à une paupérisation
grandissante. Les bas salaires ont entraîné un endettement considérable des
familles, jusqu’à 21 pour cent par rapport à l’année dernière en s’élevant à
667 milliards d’euros, d’après la Banque d’Espagne. L’Espagne ne compte qu’un
inspecteur du travail pour 23.000 travailleurs, soit la moitié de la moyenne
européenne, et le plus grand nombre d’accidents du travail mortels, 6,6
travailleurs sur 100.000 meurent contre 4,8 pour cent dans l’UE.
Les trahisons des syndicats ne feront
qu’aiguiser l’appétit des investisseurs internationaux et de l’élite dirigeante
espagnole. Le Fonds monétaire international a averti que la croissance continue
et la compétitivité de l’Espagne sont menacées par l’assèchement des
subventions communautaires et les coûts plus faibles de la main-d’œuvre dans
les nouveaux pays membres de l’UE, de la Chine et de l’Inde. L’Espagne connaît
déjà un déficit commercial record, les exportations n’ayant enregistré l’année
dernière presque pas de croissance. L’inflation est régulièrement plus forte
que la moyenne de la zone Euro. Durant la période de 1994-2003, en termes de
productivité, l’Espagne venait en 29ème position sur les 30 pays industrialisés,
et en 2005 sa productivité chutait de 1,5 pour cent, la plus forte chute
enregistrée parmi les trente premiers pays.
Le professeur Sandalio Gomez de l’Ecole de
Management IESE de Madrid a qualifié le présent accord de «compromis peu
satisfaisant» qui ne tient pas compte du système des conventions collectives et
aborde à peine les coûts élevés de licenciement des travailleurs ou bien les
dépenses coûteuses de la sécurité sociale qui sont à la charge des employeurs.
Le gouverneur de la Banque d’Espagne a appelé à davantage de flexibilité, à des
salaires plus bas et une productivité plus élevée. Il a dit que ces réformes
étaient probablement les premières d’une série dont l’économie avait besoin en
termes de flexibilité, de salaires plus bas et qui devraient «être liés aux
situations réelles des entreprises et, de ce fait, être liées plus étroitement
à l’évolution de la productivité.» Il s’est plaint de ce que les conventions
collectives couvrant le secteur industriel apportaient trop «d’uniformité et d’inertie»
et que les dispositions relatives aux retraites étaient trop généreuses.
|