Un candidat présidentiel mexicain conteste le
résultat électoral
Par Rafael Azul et Patrick Martin 12 juillet 2006
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Dimanche, Andrés Manuel López Obrador, le
candidat présidentiel du parti formant l’opposition, le Parti de la révolution
démocratique (PRD), a officiellement contesté les résultats officiels des
élections du 2 juillet, accusant les autorités électorales aussi bien que
l’administration du président sortant Vincente Fox de fraude et de faute
professionnelle.
La contestation légale suit l’immense démonstration
de samedi au square central de Mexico, le Zocalo. Un demi-million de personnes s’est
rassemblé pour protester contre la désignation de Felipe Calderón du parti au
pouvoir, le Parti de l’action national (PAN) , comme vainqueur de l’élection
présidentielle. La semaine dernière, l’Institut électoral fédéral (IEF) a fait
le décompte des résultats de tous les districts électoraux du Mexique et a
déclaré que Calderón battait López Obrador par 244.000 voix. Ces résultats
signifient une avance de 0,58 pour cent sur les 41,7 millions de votes exprimés
lors de l’élection.
Dans le document légal de 836 pages qu’il a
déposé devant le tribunal fédéral électoral judiciaire, le comité électoral de
López Obrador a documenté des irrégularités généralisées dans le décompte des
votes. En particulier, il souligne que l’IEF a recompté les bulletins de vote
de seulement 2600 des 130.000 bureaux de scrutin, limitant son recomptage aux
bureaux avec des comptes irréguliers. Ce recomptage limité à seulement deux
pour cent des bulletins a fait diminuer l’avance présumée de Calderón de
400.000 à 244.000 voix. López Obrador a demandé le recomptage de tous les
bulletins de vote, déclarant que cela lui donnera la victoire.
Évidence
de fraude
Parmi les autres irrégularités décrites par
le comité électoral de López Obrador ou rapportées dans les médias, on trouve
celles-ci:
* Deux millions et demi de bulletins de
vote de 11.000 boîtes de scrutin n’ont pas été inclus dans les résultats
préliminaires du 3 juillet à cause d’irrégularités dans les feuilles de
décompte, comme des cases laissées vierges, des données mal écrites et des
erreurs arithmétiques.
* Dix boîtes de scrutin ont été trouvées
dans un dépotoir de la ville de Mexico, provenant principalement d’endroits où
López Obrador a été donné gagnant. Des piles de bulletins ont aussi été trouvées
dans le même dépotoir. Des événements semblables s’étaient produits lors des
élections de 1988, largement considérées comme ayant été volées par le parti
alors au pouvoir, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI).
* Les feuilles de décompte envoyées au IEF
différaient parfois des feuilles attachées aux boîtes de scrutin.
Lorsque qu’un recomptage bulletin par
bulletin a été accordé par l’IEF dans un district électoral de l’État de Veracruz,
le total de López Obrador a augmenté de plusieurs milliers de voix.
* Un recomptage dans un district électoral
dans l’État d’où est originaire López Obrador, Tabasco, a résulté en 20.405
voix supplémentaires pour lui, selon le quotidien El Universal.
* Dans certains endroits, il y a des écarts
inhabituels entre le nombre d’électeurs ayant voté et le total des votes donné
pour la présidence ou le Congrès.
* Il y a eu nombre inhabituellement élevé
de bulletins annulés ou de votes en blanc, plus de 900.000, que les responsables
du décompte ont annulé avec l’explication que l’intention de l’électeur ne
pouvait pas être déterminée.
Des rapports de témoins oculaires publiés
dans la presse américaine offrent des exemples d’un biais pour Calderón dans la
façon dont l’élection a été menée. Un journaliste du New York Times a
visité Guadalajara, une ville sous contrôle du PAN : «Six boîtes de
scrutin ont été ouvertes pour un recomptage dans le district 8 parce qu’il y
avait eu des erreurs sur les feuilles de décompte. Dans chaque cas, le
recomptage préliminaire s’est avéré erroné. Dans un cas, les responsables du
décompte s’étaient tellement trompés qu’ils ont donné 100 voix de trop à un
tiers candidat, Roberto Madrazo du PRI et doublé les 235 voix allant à M. Calderón.»
Le Los Angeles Times a rapporté la
différence dans la conduite de responsables électoraux dans deux districts
électoraux de Mexico, un dans lequel le vote était en faveur de Calderón,
l’autre en faveur de López Obrador. Dans le quartier de San Miguel Chapultepec,
un quartier de la haute classe, le comité électoral du district a refusé six
appels du PRD de recompter les bulletins. Dans le district plus pauvre de
Tlalpan, le comité électoral a accepté de recompter sept boîtes de scrutin et
López Obrador a gagné 310 votes.
En vertu de la loi électorale mexicaine,
qui a été révisée après le vol évident des élections présidentielles de 1998,
personne ne gagnera officiellement les élections du 2 juillet avant que la cour
électorale n’émette son jugement le 6 septembre. Le nouveau président entrera
en fonction le premier décembre, remplaçant alors Vincente Fox.
En plus de l’appel au tribunal électoral,
López Obrador a dit qu’il chercherait à ce que toute l’élection soit annulée
par la Cour suprême, alléguant une intervention inappropriée du président Fox,
qui a ouvertement fait campagne pour Calderón en violation de la loi électorale
du Mexique. Les responsables du PRD ont aussi signalé le rôle du beau-frère de
Calderón, Diego Zaval, dont la société a fourni le logiciel utilisé pour
réviser la liste électorale de Mexico, qui est une banque de données
centralisée plutôt qu’administrée localement comme aux États-Unis.
Ricardo Monreal, un haut responsable du
comité électoral de López Obrador a dit que Fox « est le premier
responsable pour la création de cette «élection d’État»», le nom couramment
donné au Mexique au type de fraude électorale pour laquelle le PRI était connu.
Jeu
d’équilibriste
Tout en utilisant son droit de contester
légalement les résultats électoraux, López Obrador agit avec une très grande
prudence pour ne pas trop soulever la colère populaire devant la preuve de
fraude électorale et les questions économiques et sociales plus profondes qui
sous-tendent la polarisation électorale.
Cela était évident lors du ralliement de
samedi dernier au Zocalo, où le candidat du PRD a utilisé des termes très durs
envers Fox et les autorités électorales, mais a appelé ses partisans à se
limiter à une opposition consistant en manifestations pacifiques pour faire
pression politiquement et moralement sur le tribunal judiciaire.
L’énorme foule provenait principalement de
la classe ouvrière et plusieurs jeunes et étudiants criaient : «Non à la
fraude, non à la fraude!», empêchant les orateurs de parler pendant des minutes
par l’intensité de leurs cris. Un slogan qui montre le sentiment régnant dans
la foule était «S’il n’y a pas de solution, il y aura une révolution!»
Plusieurs manifestants portaient des pancartes et des bannières faites main
dénonçant Calderón et le président Fox.
López Obrador a dénoncé le président Fox en
le qualifiant de «traître à la démocratie» pour avoir injustement utilisé son
poste et les institutions du gouvernement pour favoriser Calderón. Il a appelé
ses partisans à ne pas laisser le pays se tourner vers le passé.
Le Mexique a une longue histoire de
manipulation du vote. L’exemple le plus notoire de fraude à une élection
présidentielle a eu lieu en 1988, lorsque la machine du Parti révolutionnaire
institutionnel (PRI) a fait disparaître des bulletins de vote et trafiqué des
ordinateurs pour barrer la voie au candidat de l’opposition, Cuauhtemoc Cardenas, et déclarer Carlos Salinas vainqueur.
Lors du rassemblement de samedi, López
Obrador a lancé un appel à une journée nationale de manifestations ce mercredi,
12 juillet, qui serait suivie d’un autre rassemblement de masse à Mexico le 16
juillet, soit deux semaines après le vote présidentiel. Mais il s’est attiré
les grognements de la foule en disant de ne pas bloquer les autoroutes ni de recourir
à d’autres actes de désobéissance civile, comme ceux employés par le PRD et López
Obrador lui-même lors de protestations organisées en 1994 contre une élection
régionale volée à Tabasco.
L’aspect le plus significatif de son
discours a été un appel lancé à l’armée mexicaine en tant qu’ «institution représentant
le fondement et la garantie de notre souveraineté» pour qu’elle protège les
bulletins de vote entreposés. L’armée garantit en réalité les intérêts de l’élite
fortunée du Mexique et de ses supporters impérialistes et elle représente la
principale source d’abus et de répression contre les travailleurs et paysans
mexicains.
C’était un appel délibéré pour faire savoir
à la classe dirigeante mexicaine et à Washington que López Obrador n’hésiterait
pas au besoin, tout comme Fox, à utiliser les troupes contre les mineurs, les
enseignants et d’autres sections du monde du travail. Quelles que soient les
différences qui existent entre Calderón et López Obrador, entre le PAN et le
PRD, ce sont tous deux des partis bourgeois qui défendent les intérêts
fondamentaux de la grande entreprise au Mexique.
Le
rôle des États-Unis
Malgré ces garanties, López Obrador subit
les dénonciations de Calderón et de la presse conservatrice du Mexique et d’Amérique
latine pour «ne pas avoir joué selon les règles» de la démocratie, une attaque
manifestement anti-démocratique contre une demande légitime de recomptage des
voix suite à un résultat électoral aussi serré.
Bien que selon la loi mexicaine Calderón ne
soit pas le vainqueur officiel, et ne le sera pas au moins jusqu’en septembre,
le président américain Bush n’a pas perdu un instant pour l’appeler et le
féliciter de sa victoire sur López Obrador. Il ne fait aucun doute que l’administration
Bush préfère Calderón et le PAN. Vicente Fox est devenu un allié de Bush dans
sa politique sur l’énergie et la sécurité frontalière. Sous son gouvernement,
les liens entre le corps officier mexicain et l’armée américaine se sont
renforcés.
Lors d’une réunion au sommet en juin 2005 à
Waco, au Texas, Fox a donné son approbation à une politique dite du «Mexique en
sécurité», qui fait un amalgame entre la guerre à la drogue, la guerre à la
terreur et les immigrants traversant la frontière américano-mexicaine. L’accord,
qui n’avait pas à être ratifié par le parlement mexicain, comprend aussi des
mesures visant à subordonner davantage l’industrie énergétique mexicaine aux
sociétés transnationales américaines.
Fox a défendu la décision de Bush d’envoyer
la garde nationale américaine à la frontière mexicaine contre les travailleurs
immigrants. Il a publiquement nié que ceci représentait une militarisation de
la frontière. Fox et Calderón se sont également prononcés en faveur d’une mise en
œuvre pleine et entière de l’Accord de libre-échange nord-américain, y compris
l’entrée sans restrictions au Mexique du maïs et des fèves américains, subventionnés
et bon marché, ce qui acculera à la faillite beaucoup de petits fermiers
mexicains.
La presse américaine a été largement hostile
à López Obrador, traitant ses timides critiques «de gauche» dirigées contre la
grande entreprise et le gouvernement par les riches comme si c’étaient des
appels à la révolution sociale. Le Washington Post, par exemple, a
dénoncé dans un éditorial du 8 juillet «les promesses extravagantes (et
fantaisistes) de M. Lopex Obrador qu’il allait remodeler la société mexicaine».
Il a averti le chef du PRD de «ne pas utiliser la force de son éloquence, ou l’adulation
de ses disciples, pour faire balancer le pays dans les conflits de classe…».
Au même moment, il y a eu des suggestions
qu’à l’âge de 52 ans, López Obrador a encore un avenir politique devant lui s’il
se montre prêt à se plier aux diktats de Washington. Il y aura une autre
élection en 2012, et Calderón ne pourra bas briguer un second mandat. De plus,
la crise montante du capitalisme mexicain et mondial pourrait bien demander les
services d’un démagogue aussi talentueux que López Obrador longtemps avant que
le calendrier électoral ne semblerait le permettre.
Un observateur impérialiste plus
perspicace, la revue britannique Economist, a suggéré juste avant l’élection
que ce serait peut-être maintenant l’heure de López Obrador. On pouvait y lire :
«Il y a plusieurs raisons pour lesquelles un tournant à gauche serait bon pour
le Mexique. M. Fox et ses prédécesseurs ont faussement présumé que ce qui
est bon pour certains capitalistes particuliers est bon pour le capitalisme. Il
est difficile de désapprouver M. Lopex Obrador quand celui-ci s’emporte contre
de tels privilèges, ou contre le caractère inéquitable de l’ALENA qui oblige le
Mexique à accepter l’entrée sans tarif douanier du maïs américain fortement
subventionné…
«Le plus inquiétant, donc, ce n’est pas que
le successeur de M. Fox s’écarte trop rapidement de la voie pré-établie. C’est
qu’il ne le fasse pas. Un remaniement du parlement, du système fédéral et de la
police, pour commencer, et une réforme de la politique sur la concurrence, l’énergie,
le marché du travail et l’impôt, aideraient à enraciner la démocratie et à
donner un élan à l’économie. De ce point de vue, le Mexique a besoin d’un
président radical.»
Le danger pour López Obrador, pour le PRD,
le PAN et les élites capitalistes mexicaines et américaines, c’est que les
forces de classes mises en branle dans ces élections, et visibles lors du
rassemblement de samedi au Zocalo, ne sont pas aisément démobilisables. Ces six
dernières années, la montée des inégalités et la chute du niveau de vie ont rapproché
le Mexique des soulèvements de classe et de la guerre civile. La crise
électorale pourrait bien devenir l’étincelle d’une telle conflagration sociale.
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