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Cinq autres soldats américains accusés d’atrocité
en Irak
Par Kate Randall
11 juillet 2006
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Quatre soldats en service actif ont été
inculpés pour avoir participé «au viol d’une jeune Irakienne et à son
assassinat ainsi que trois membres de sa famille», a déclaré l’armée américaine
dans un communiqué de presse publié dimanche. Un cinquième soldat est accusé de
manquement au devoir pour n’avoir pas rapporté les crimes à ses supérieurs.
Les cinq sont inculpés de complicité avec
Steven D. Green, un ancien soldat de première classe, qui a été accusé le 3
juillet dans une cour civile américaine. Le viol et les meurtres ont eu lieu le
12 mars à Mahmoudiya, situé une
trentaine de kilomètres au sud de Bagdad. Green, qui a plaidé non coupable,
risque la peine de mort s’il est trouvé coupable.
Les soldats sont inculpés d’être entrés
dans le foyer de la famille, d’avoir violé la fille (dont on a rapporté un âge
allant de 15 à 20 ans selon la source), d’avoir fait feu sur elle et sa
famille, y compris un jeune enfant et ensuite, d’avoir brûlé le corps de la
victime du viol et tenté d’incendier la maison.
Cette atrocité, qui arrive après plusieurs
récentes révélations de crimes de guerre, prend rapidement dans l’esprit des
Irakiens, tout autant que dans celui de la population des États-Unis et
d’ailleurs dans le monde, une signification symbolique : comme Abou
Ghraïb, elle est vue comme une expression concentrée du cauchemar des tueries,
de la destruction et de la terreur qu’ont lâchées les États-Unis sur le peuple
de l’Irak. Elle est, de plus, une expression de l’abrutissement et de la
démoralisation des forces américaines qui cherchent à assujettir une population
déterminée à résister à une occupation étrangère.
Les soldats en service actif inculpés dans
cette affaire n’ont pas été identifiés. L’enquête sur les agissements des
soldats continue et ils doivent être entendus avant que la décision soit prise
sur leur comparution devant une cour martiale. Ils étaient tous des membres du
502e régiment d’infanterie, une unité de la 101e division aéroportée, basée à
Fort Campbell au Kentucky.
L’affaire de Mahmoudiya, la dernière d’une
série d’atrocités commises par des soldats américains contre des civils
irakiens, a choqué les Irakiens non seulement à cause de la brutalité du crime,
mais aussi parce que les forces américaines peuvent agir sans risque de
poursuite devant la justice irakienne.
En plus de la sauvagerie de l’acte, son
caractère prémédité est particulièrement choquant et dégoûtant dans cet
incident. On ne peut l’attribuer à une éruption de rage homicide suivant la
mort d’un camarade ou à une réponse violente disproportionnée avec une menace
réelle ou perçue. Les procureurs ont affirmé que les accusés, qui étaient
responsables d’un point de contrôle où la fille passait régulièrement,
l’avaient remarquée et avaient décidé de l’attaquer. Ils se sont changés avant
d’aller la violer chez elle, laissant leur tenue de combat.
La mère de la fille, Fakhriya Taha Muhsen,
était si inquiète d’une attaque possible par les soldats américains que des
proches lui avaient proposé de venir habiter dans une maison vide près de la
leur. Mais les soldats sont venus avant que le déménagement ait pu se faire.
Il y a plusieurs indications de
dissimulation délibérée de l’incident par les officiers américains. Pendant
plus de trois mois, l’armée américaine a officiellement attribué la
responsabilité des événements à «l’activité des insurgés» sunnites, une
assertion plus que douteuse étant donné que les victimes étaient sunnites
elles-mêmes.
Une enquête a été instituée seulement après
que des soldats de l’unité aient fait connaître l’affaire après la découverte
au début juin des corps mutilés de deux soldats de la même unité qui avaient
été capturés par des insurgés à un point de contrôle.
De plus, Green a été déchargé avec les
honneurs de la 101e division aéroportée après avoir servi seulement 11 mois en
conséquence de ce que les responsables militaires ont appelé des «troubles de
comportement» jugés «menaçants pour les civils». Il n’a pas été expliqué
pourquoi cela avait entraîné une décharge avec les honneurs plutôt qu’une
destitution pure et simple de l’armée.
Selon l’affidavit fédéral contre Green, lui
et au moins deux autres soldats avaient repéré la jeune victime, Abeer Qasim
Hamza, une semaine avant le jour des événements. Ce jour-là, ils ont bu de
l’alcool, ont changé leurs vêtements pour éviter d’être détectés et ont
abandonné le point de contrôle militaire. Un soldat a été laissé à l’arrière
pour s’occuper de la radio et deux autres se sont rendus avec Green à la
demeure de la victime située à environ 200 mètres de leur poste.
Dans l’affidavit, on cite des soldats ayant
déclaré aux enquêteurs fédéraux que Green a fait feu sur les parents de la
jeune femme, y compris sa mère, son père et un enfant d’environ cinq ans; qu’il
a violé la jeune femme et qu’il a ensuite tiré sur elle, la blessant
mortellement. Un deuxième soldat aurait également pris part au viol.
Selon les témoignages des soldats cités
dans l’affidavit, Green et ses complices ont ensuite mis le feu à la maison
familiale, lancé le fusil AK-47 utilisé comme arme du crime dans un canal et
brûlé leurs propres vêtements tachés de sang. Ils ont ensuite remis leur
uniformes et repris leur faction au point de contrôle.
Abu Firas Janabi, un cousin de la mère de
la victime du viol, a été interviewé par un enquêteur américain et a également
parlé de l’atrocité dans un entretien accordé au Los Angeles Times.
Sa femme et lui étaient les premiers arrivés
sur la scène où ils ont découvert les corps des membres de sa famille. La
petite maison était encore en feu et il a dû éteindre quelques flammes avant de
pouvoir pénétrer sur les lieux.
Il a dit être entré dans la maison
carbonisée pour découvrir le corps du mari de sa cousine, Kasim Hamza Rasheed,
«dans un coin de la pièce, la tête en morceaux». Il a pu voir que les bras de
sa cousine Fakhriya étaient cassés. Le corps de leur fille de cinq ans, Hadel,
reposait près du père.
Il a trouvé le corps de la jeune victime du
viol, Abeer, dans une autre pièce, nue et brûlée, la tête écrasée «par un bloc
de béton ou un morceau de fer», a-t-il dit au Times. «Il y avait des
brûlures depuis le bas du ventre jusqu’à l’extrémité du corps, sauf les pieds»,
a-t-il dit.
«Je n’en croyais pas mes yeux. J’ai cherché
à me berner moi-même et croire que j’étais dans un rêve. Mais le problème c’est
que nous ne rêvions pas. Nous avons recouvert son corps. Puis j’ai laissé la
maison en compagnie de ma femme.»
Janabi a dit que les parents de Abeer lui
avaient dit qu’ils pensaient que la «fille était devenue une cible» des Américains.
Il a dit au Times que trois jours avant la tuerie, la famille Rasheed
s’étaient rendue chez lui et la mère de la fille s’était plainte du fait que
les soldats américains du point de contrôle avoisinant fouillaient constamment
la maison familiale. Ses pires craintes se sont concrétisées seulement quelques
jours plus tard.
Après l’incident, Green a servi deux autres
mois au sein de la 101e division aéroportée. Selon des officiers
militaires et des documents légaux, il a été déchargé pour «trouble de
personnalité et comportement anti-social», et a quitté l’armée à la mi-mai.
Les officiers militaires se sont montrés
peu bavards sur la façon précise dont s’est manifesté le comportement
«anti-social» de Green, mais à la lumière des révélations sur l’incident de
Mahmoudiya, il semble probable que sa participation dans l’atrocité était
connue à un certain niveau du commandement militaire, et que sa décharge avec
honneurs était une tentative de camouflage.
Le viol et les meurtres à Mahmoudiya font
partie de cinq causes criminelles qui sont actuellement sous investigation en
Irak, y compris un incident en novembre dernier à Haditha au cours duquel 24
civils, dont 15 femmes et enfants, ont été tués. Ces révélations de plus en
plus fréquentes de brutalité gratuite de la part des troupes américaines sont
devenues embarrassantes pour le régime américain à Bagdad, lequel n’a aucune
autorité pour juger les membres des forces américaines pour actes criminels.
Le premier ministre irakien Nuri al-Maliki
a demandé une enquête indépendante sur le viol et les meurtres à Mahmoudiya et
une révision du règlement qui empêche tout membre des forces américaines d’être
traduit en justice devant un tribunal irakien. Ses maîtres américains n’ont
toutefois pas la moindre intention de lever l’immunité dont jouissent
actuellement les troupes américaines.
L’interdiction faite aux tribunaux irakiens
de juger des soldats américains fut imposée par l’Autorité provisoire de la
coalition sous égide américaine qui a gouverné l’Irak après l’invasion de 2003
et elle a été conservée, à la demande expresse de Washington, dans
l’arrangement constitutionnel et politique mis en place depuis par les
États-Unis.
Le fait que les tribunaux irakiens n’aient
aucun pouvoir de juger des soldats américains qui commettent des crimes ainsi
que des atrocités contre des civils irakiens démasque complètement la fraude
d’un Irak qui serait «souverain» même sous occupation militaire américaine.
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