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Le New York Times et le Los Angeles Times
réagissent à la chasse aux sorcières du gouvernement: une lâche dérobade devant
les principes démocratiques
Par Patrick Martin et Barry Grey
Le 5 juillet 2006
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Le 1er juillet, une déclaration conjointe
de Dean Baquet, rédacteur au Los Angeles Times, et Bill Keller,
rédacteur en chef du New York Times, était publiée par ces deux
quotidiens en réaction à l’attaque de style maccartiste dirigée contre les
journaux. La vendetta avait été lancée par l’administration Bush et les
républicains du Congrès à propos des reportages des journaux du 23 juin qui
dévoilaient un important programme secret de la CIA et du département du
Trésor. Ce programme surveille et examine les transactions bancaires
internationales.
Des reportages similaires avaient aussi été
publiés par le Washington Post et le Wall Street Journal.
Ces articles traitaient du Programme de
traque du financement du terrorisme, qui avait été ordonné par le président
Bush dix jours après le 11 septembre. Sous ce programme, le département du
Trésor, sans la surveillance du Congrès, a amassé des données sur le plus grand
réseau de communications financières du monde: la Société internationale de
télécommunications financières interbanques (SWIFT), basée en Belgique.
L’administration Bush a obtenu les données grâce au pouvoir peu connu d’une loi
de 1977, la Loi des pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale
(IEEPA).
Bush, le vice-président Dick Cheney, le
secrétaire du Trésor John Snow et le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld
ont tous publiquement dénoncé le New York Times en particulier, et l’ont
accusé de mettre en danger la sécurité des États-Unis. D’importants
républicains du Congrès se sont mis de la partie, certains allant jusqu’à
accuser le journal de trahison et exigeant des sanctions criminelles.
Le sénateur Pat Roberts, président républicain
du Comité sur les questions du renseignement du Sénat, a annoncé que son comité
débuterait une enquête officielle sur les journaux, et le 29 juin, dans une
attaque sans précédent sur la liberté de presse, la Chambre des représentants a
adopté une résolution condamnant les reportages et, en réalité, exigeant que
les médias américains se subordonnent totalement aux ordres de l’administration
Bush.
La résolution, adoptée par un vote suivant
presque parfaitement la ligne de parti, 227 à 183, déclarait que la Chambre
«s’attend à la coopération de toutes les organisations médiatiques pour
protéger les vies des Américains et la capacité du gouvernement à identifier,
démanteler et capturer les terroristes en ne divulguant pas les programmes de
renseignement secrets».
Le vote suivant la ligne de parti n’est pas
le reflet d’une défense de principe de la liberté de presse par les démocrates de
la Chambre. Ils auraient été heureux d’accepter une résolution qui se serait
contentée de condamner la fuite et sa publication. Elle aurait ainsi bénéficié
d’un appui bipartisan presque unanime. En formulant la résolution pour qu’elle
donne un appui politique à la performance de l’administration Bush et une
approbation tacite à tous les aspects du programme de surveillance bancaire,
les tactiques du leadership républicain ont empêché les démocrates de joindre
le mouvement.
Le commentaire du premier juillet écrit par
Baquet et Keller est un parfait exemple de lâcheté et d’ambiguïté. En défendant
leur décision dans ce cas de rejeter les pressions du gouvernement et de
publier les reportages sur le programme secret d’espionnage, les rédacteurs
citent en exemple leur collaboration continuelle avec le gouvernement dans la
non-divulgation de certaines informations au public. Ils mettent ainsi à nu le
rôle de la «presse libre» américaine comme adjointe de l’État et de ses agences
de renseignement.
«La semaine dernière», écrivent-ils, «nos
journaux ont divulgué un programme secret de l’administration Bush dont le but
est de surveiller les transactions bancaires internationales. Nous l’avons fait
après que de hauts représentants de l’administration nous aient demandé de ne
pas rendre le dossier public.»
Comme pour mettre en évidence le fait que
cette décision était l’exception plutôt que la règle, Baquet et Keller
déclarent: «Aucun article sur un programme secret ne sera publié tant que les
fonctionnaires responsables n’auront eu la chance de s’expliquer. Et s’ils soutiennent
que la publication représenterait un danger pour la sécurité nationale, nous
mettons le processus en attente et nous leurs accordons une audience
respectueuse. Souvent, nous acceptons de participer à des discussions
confidentielles avec les représentants afin qu’ils puissent présenter leurs
arguments sans crainte de voir davantage de secrets se retrouver à la une de
nos journaux.»
Plus loin, ils écrivent: «Lorsque nous
décidons de publier, évidemment, tout le monde en entend parler. Peu de gens
sont au courant lorsque nous décidons de retenir un article. Mais chacun de
nous, au cours des dernières années, a eu l’expérience de retenir ou retarder
des articles lorsque l’administration nous a convaincus que le risque causé par
la publication dépassait les avantages. Probablement que le cas le plus discuté
fut celui de la décision du New York Times de ne pas publier son article
sur l’espionnage des lignes téléphoniques pour plus d’une année, jusqu’à ce que
les éditeurs sentent que d’autres reportages eurent affaibli la cause de
l’administration qui demandait le secret.
«Mais il y a d’autres exemples. Le New
York Times n’a pas publié d’articles qui, s’ils l’avaient été, auraient pu
mettre en danger des efforts pour protéger des réserves d’armements nucléaires
vulnérables ou d’articles portant sur des initiatives très confidentielles de
contre-terrorisme toujours en développement. Le Los Angeles Times s’est abstenu
de publier des informations sur l’espionnage américain et des activités de
surveillances en Afghanistan qu’il avait découvertes sur des disques durs
achetés par des journalistes dans un bazar afghan…
«Le Washington Post, à la demande de
l’administration, a accepté de ne pas nommer les pays qui hébergent des prisons
secrètes de la CIA, caractérisant ses informations comme non essentielles pour
les lecteurs américains. Le New York Times, dans son article sur
l’espionnage de l’Agence de sécurité nationale, n’a pas mentionné certains
détails techniques.»
En d’autres termes, sur des questions comme
le maintien des prisons secrètes où des individus, enlevés par les États-Unis,
sont incarcérés sans droits légaux et soumis à des méthodes d’interrogation que
la loi internationale définit comme étant de la torture, les «journaux de
référence» américains ont agi de connivence avec le gouvernement pour cacher
des informations au public. Et voilà pour le «droit du peuple à savoir».
À part de telles indications de complicité
de routine de la presse dans les actions prédatrices de l’impérialisme
américain à travers le monde, la déclaration est remarquable par le fait
qu’elle accepte sans critiques tout le cadre de propagande de l’administration
Bush pour justifier la guerre en Irak et sa guerre contre les droits
démocratiques aux États-Unis, la soi-disant «guerre à la terreur».
Les éditeurs se plaignent que depuis les
événements du 11 septembre 2001, «les éditeurs des journaux font face à des
choix déchirants dans la couverture des efforts du gouvernement pour protéger
le pays contre des agents terroristes». Plus loin, ils écrivent: « Notre
travail, surtout dans des temps comme ceux-ci, est d’offrir à nos lecteurs
l’information qui leur permettra de juger de la façon dont leurs dirigeants
élus luttent en leur nom, et à quel prix».
Ils ne veulent pas ou ne peuvent pas dire
la vérité essentielle: sur l’échelle des dangers posés aux droits démocratiques
du peuple américain, l’administration Bush représente une menace bien plus sérieuse
qu’une poignée de terroristes. Al-Qaida, peu importe ses intentions
réactionnaires et criminelles, ne peut pas renverser la Constitution et établir
un État policier en Amérique.
L’administration Bush a déjà fait plusieurs
pas dans cette direction. C’est pour cette raison qu’elle réagit si violemment
contre un reportage qui révèle ce que tout observateur intelligent de la scène
politique américaine suppose depuis longtemps: le gouvernement américain
surveille sur une base régulière toutes les transactions financières
internationales.
Il n’y a pas trace de cette réalité dans
les commentaires de Baquet et Keller. Ils prennent entièrement pour acquis que
l’administration Bush agit de bonne foi. Peu importe les entailles faites dans
les droits démocratiques, ils sont prêts à les attribuer à une défense trop
zélée du pays contre le terrorisme.
Voilà la véritable relation entre les
médias «libéraux» et l’État capitaliste. L’administration Bush mène une guerre
d’agression en Irak tout en établissant l’infrastructure pour une répression de
masse contre le peuple américain. Les médias de masse contrôlés par la grande
entreprise, loin de se comporter comme un chien de garde, encore bien moins
comme un opposant au militarisme et aux attaques contre les droits
démocratiques, cherchent seulement à jouer le rôle d’un conseiller et d’un
partenaire pour défendre les intérêts de l’élite dirigeante américaine.
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