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Les luttes ouvrières s’intensifient à la veille des élections mexicaines

Les principaux candidats n’offrent aucune solution à la crise sociale

Par Rafael Azul

La version originale de cet article a paru en anglais le 1er juillet 2006.


Dimanche le 2 juillet, les électeurs mexicains éliront un nouveau président et un nouveau Congrès. Les élections prennent place dans un contexte où les tensions de classe s’accentuent, et où des centaines de milliers de professeurs, de mineurs et d’autres travailleurs sont sortis dans la rue pour manifester. Aucun des principaux candidats aux élections présidentielles ne s’intéresse sérieusement aux besoins des masses pour des emplois et des salaires décents, un meilleur niveau de vie, et une expansion des programmes sociaux.

En février, dans l’État de Coahuila, la mort de 65 travailleurs d’une mine de charbon qui ont été enterrés vivants, a été suivie d’une explosion de luttes de la part des mineurs et des métallurgistes qui exigeaient des conditions de travail sécuritaires et des conditions de vie décentes. Malgré la répression policière, des grèves ainsi que d’autres actions se poursuivent. Le mois dernier, les professeurs de l’Oaxaca et du Chiapas ont manifesté massivement. Ces luttes menées par de puissantes couches de la classe ouvrière mexicaine montrent clairement que les confrontations de classe vont aller en augmentant, peu importe le gouvernement élu dimanche.

Ces élections décideront si les politiques pro américaines, pro privatisation de l’actuelle administration, dirigée par le président Vicente Fox du Parti d’action nationale (PAN) de droite, continueront sous le candidat du PAN, Felipe Calderon, ou seront modifiées sous un gouvernement dirigé par Andres Manuel Lopez Obrador, l’ex-maire de Mexico City et candidat du Parti de la révolution démocratique (PRD).

La loi mexicaine exige que toute activité de campagne cesse trois jours avant le vote. Lopez Obrador a terminé sa campagne populiste et nationaliste à un immense rassemblement sur la place centrale historique de Mexico City, le Zocalo, devant une foule de plus de 200.000 partisans. À Guadalajara, la troisième plus grande ville du Mexique, Calderon s’est adressé à une foule de dizaines de milliers de personnes. Le troisième principal candidat, Roberto Madrazo du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), lequel a gouverné le Mexique de 1929 à 2000, a terminé sa campagne par un rassemblement de dizaines de milliers de partisans dans la ville portuaire de Veracruz.

Au cours des dernières semaines, les sondages ont anticipé une chaude lutte entre Calderon et Lopez Obrador, ce dernier bénéficiant d’une légère avance. On prévoit que chacun de ces candidats obtiendra moins de 40 pour cent du vote, le reste allant en grande partie à Madrazo, loin derrière. Le fait que la compétition soit si serrée pourrait contribuer à de l’instabilité politique, particulièrement si le gouvernement, contrôlé par le PAN, déclarait son propre candidat gagnant malgré la prévision d’une victoire serrée du PRD.

La performance de Madrazo marque un plus grand déclin dans la position du PRI, dont le candidat avait été battu de peu par Fox en 2000. Le PRI contrôle encore la plupart des gouvernements des États et on prévoit qu’il conservera la plus grande partie des sièges du Congrès, soit plus du tiers, lui donnant ainsi un véritable droit de veto sur les politiques du prochain président, que ce soit Calderon ou Lopez Obrador.

Calderon, 43 ans, soit le plus jeune des trois candidats, est le fils d’un des fondateurs du PAN et il a été un militant du parti durant toute sa vie adulte. Conforme aux politiques de son parti, Calderon est socialement conservateur, catholique, et un défenseur du «libre marché» capitaliste. Il a étudié à l’Université de Harvard et s’est engagé à poursuivre les politiques du gouvernement actuel et à négocier un traité sur l’immigration avec les États-Unis.

Pour une courte durée, Calderon a été secrétaire à l’Énergie sous Fox et, même en promettant de ne pas privatiser la compagnie nationale de pétrole Pemex, a concentré ses efforts à attirer le capital américain dans ce secteur, en faisant entre autres l’octroi de concessions de pétrole dans le Golfe du Mexique. La semaine dernière, Calderon était appuyé par le Wall Street Journal et, inutile de le dire, était le favori de l’administration Bush.

Calderon a mis sur pied une campagne médiatique coûteuse – il aurait eu l’aide de conseillers du Parti républicain des États-Unis et de José Maria Aznar, l’ancien premier ministre de droite d’Espagne – diabolisant Lopez Obrador en le qualifiant de démagogue de gauche qui constituait une menace à l’économie et à la démocratie mexicaines. Il a tenté d’associer le candidat du PRD au président vénézuelien Hugo Chavez, et a insinué qu’une victoire de Lopez Obrador entraînerait une importante fuite de capitaux et une montée soudaine de l’émigration vers les États-Unis.

Un populiste pro patronal

Quant à Lopez Obrador, il s’est affiché en tant que populiste qui placera la lutte à la pauvreté en tête de liste de son programme, prenant comme slogan : «Pour le bien de tous, les pauvres d’abord». Au même moment, il a clairement indiqué à plusieurs reprises, aux entreprises et aux banques, que ces derniers pouvaient lui faire confiance pour protéger leurs intérêts.

Une récente analyse du journal mexicain Proceso décrivait Lopez Obrador comme deux candidats. Le premier est un populiste gauchiste qui s’est engagé à améliorer le sort des pauvres et à imiter l’ancien président américain Franklin Delano Roosevelt et ses politiques du New Deal – des transferts aux personnes âgées et aux pauvres ainsi qu’un programme de subventions pour bâtir un million de maisons pour les familles à faible revenu. L’autre Lopez Obrador est le candidat pro patronal qui promet à l’élite corporative mexicaine qu’elle «se portera très bien» sous sa présidence.

Les deux visages de ce candidat ont un lien intrinsèque, comme l’a fait remarquer un des hauts conseillers de Lopez Obrador, Manuel Camacho Solis, dans une entrevue publiée le 23 juin dans le Washington Post. «Roosevelt n’a pas réglé tous les problèmes des États-Unis, mais il a donné à la société américaine le sentiment qu’elle était sur la bonne voie», a affirmé Camacho Solis. «N’eut été de Roosevelt, les États-Unis auraient été marqués par de grands troubles sociaux. La même situation se répète ici.» 

Le 20 juin, lors d’un ralliement politique, Lopez Obrador a discuté des efforts de la grande entreprise mexicaine pour effrayer les électeurs. «De quoi ont-ils peur, a-t-il demandé. Ils craignent perdre leurs privilèges. Je leur dis : "calmez-vous, soyez sereins, il ne va rien arriver". La vengeance n’est pas mon fort. Je ne vais pas inventer des crimes. Nous n’allons prendre personne en chasse.»

Plus la date des élections approche, plus Lopez Obrador insiste sur son côté pro patronal. Lors de son ralliement de clôture à Mexico, il a fait comprendre qu’il n’y aurait pas de nouvelles dettes, que les impôts ne seraient pas augmentés pour les riches et qu’il respecterait l’indépendance de la Banque centrale. Il réalisera ses plans de développement en respectant un programme d’austérité fiscale et de gestion financière serrée et en obtenant un pacte social entre le patronat, les syndicats et d’autres secteurs de la population. En fait, aucune réforme ne sera implantée sans l’accord des banquiers nationaux et des investisseurs internationaux.

Les propositions à saveur populiste de Lopez Obrador, dans un contexte où l’économie est mondialisée, ne peuvent signifier rien d’autre que la subordination des emplois et du niveau de vie des travailleurs aux exigences de la bourgeoisie nationale et du monde financier international. La candidature de Lopez Obrador représente une variante de gauche pour la bourgeoisie mexicaine et pour les investisseurs internationaux. Avec l’impact de la mobilisation croissante de la classe ouvrière, sa candidature reflète le besoin pour la bourgeoisie d’adopter un cours plus à gauche pour mieux maintenir son contrôle politique et la stabilité économique.

Un gouvernement Lopez Obrador suivra un cours semblable à celui qu’a pris Luis Inacio «Lula» da Silva au Brésil, qui a garanti la sécurité des investissements et des profits des banques internationales et de la grande entreprise. De plus, la Banque centrale indépendante, en tant que représentant direct des financiers internationaux et un Congrès dans lequel le PRD ne contrôlera qu’une minorité de sièges, garantissent qu’un gouvernement Lopez Obrador n’entreprendra aucune mesure radicale.

Dans un contexte où le libéralisme de «libre marché» de l’administration du PAN de Vincente Fox a été associé à l’augmentation du chômage, l’accélération de l’émigration, la détérioration du niveau de vie, en particulier dans la moitié sud du pays, l’accroissement de la polarisation sociale et la répression violente des mineurs et des enseignants, les couches les plus clairvoyantes de la bourgeoisie internationale et mexicaine considèrent que la candidature de Lopez Obrador est d’une grande valeur.

Confronté à la défaite certaine de son candidat, Madrazo, qui représente seulement une de ses multiples factions, l’ancien parti au pouvoir, le PRI, est profondément divisé entre une aile droite qui appuie Calderon et une aile «gauche» derrière Lopez Obrador. Le sénateur PRI Manuel Bartlett encourage ouvertement ses partisans à voter pour Lopez Obrador, et le CROC, la principale fédération ouvrière mexicaine qui a une longue histoire de collaboration avec le PRI, l’a aussi endossé.

La crise sociale au Mexique

Le Mexique est dans une impasse économique et sociale. Les salaires réels des travailleurs non spécialisés ont diminué depuis l’effondrement de l’économie mexicaine dans les années 1980, mais à $1,45 l’heure, il est beaucoup plus élevé que le salaire horaire chinois de $0,59. En conséquence, plusieurs sociétés du textile et de l’électronique transfèrent leur production du Mexique vers la Chine, une tendance qui ne pourra être stoppée que par une dévaluation importante du peso. La promesse de l’Accord du libre-échange nord-américain que l’écart entre les salaires américain et mexicain se rétrécirait à mesure que le capital industriel serait transféré au Mexique non seulement ne s’est pas matérialisée, mais en plus, dans le cas des travailleurs non spécialisés ou semi-spécialisés, l’écart s’est en fait accru.

Au même moment, l’économie mexicaine a connu une profonde transformation depuis les années 1980, passant d’une économie basée sur les exportations de pétrole et de biens de consommation à une économie industrielle productrice de biens intermédiaires pour l’industrie américaine et des biens de consommation durables comme les automobiles et l’électronique. Au centre de cette transformation, on trouve les usines des maquiladoras, des sous-traitants de l’industries américaine, qui comptent pour plus de la moitié des exportations du Mexique vers les États-Unis.

Près de 90 pour cent des exportations du Mexique sont destinées aux États-Unis, qui représentent aussi la source de 75 pour cent de ses importations. Il reçoit aussi des milliards en investissement direct. En même temps que l’accroissement de l’industrialisation, il y a eu la montée d’une nouvelle couche de travailleurs, alimentée par la migration intérieure du sud agricole et de l’Amérique centrale vers les centres industrialisés et les usines le long de la frontière avec les États-Unis.

La société Ford Motor a récemment annoncé qu’elle augmenterait sa production d’automobiles au Mexique alors qu’elle ferme des usines aux États-Unis, ce qui est en ligne avec la stratégie suivie par l’industrie de l’automobile et les autres industries qui peuvent bénéficier des frais de transport et des coûts d’inventaires moins élevés au Mexique. L’augmentation de l’investissement direct au Mexique est le reflet de la confiance montante des firmes internationales dans la stabilité du Mexique qui repose en partie sur l’existence d’une Banque centrale qui n’est pas sous le contrôle direct des électeurs.

La loi sur la Banque centrale votée en 1994 a établi la Banque centrale mexicaine en prenant pour exemple la Réserve fédérale américaine. Ses responsables sont nommés par le président, mais une fois en poste, ils ne peuvent pas facilement être remplacés. Les nominations sont organisées pour ne pas coïncider avec les élections présidentielles et sont échelonnées dans le but de diluer encore plus l’influence populaire sur les décisions monétaires. Cette «indépendance» de la Banque centrale donne des pouvoirs extraordinaires à des responsables non élus.

Les règles actuelles exigent que la Banque centrale soit principalement responsable de la valeur du peso mexicain, c’est-à-dire de protéger les profits une fois convertis en dollars, et de maintenir un faible taux d’inflation. Ces mesures ont été élaborées pour assurer que la Banque centrale soit indépendante de la volonté populaire et isolée de l’autorité de la majorité. Ainsi, la Banque centrale est subordonnée aux dictats du Fonds monétaire international et du Conseil de la Réserve fédérale américaine.

La soi-disant indépendance de la Banque centrale prive les gouvernements élus des outils monétaires qui leur permettraient de diminuer le chômage. Sous cet angle aussi, un gouvernement dirigé par Lopez Obrador ressemblerait à celui de Lula au Brésil, qui, après avoir été élu, a cédé le contrôle de la monnaie à Henrique Meirelles, le candidat désigné par le Fonds monétaire international.

Les relations américano-mexicaines

En ce qui a trait à l’émigration, l’administration Fox n’a pas fait grand-chose pour s’attaquer à la question durant ses six années de pouvoir, poussant des dizaines de milliers vers le nord, vers les maquiladoras des zones frontalières et vers les États-Unis.

Les transferts de fonds des immigrants mexicains vivant aux États-Unis – environ $18 milliards par année – constituent la deuxième plus importante source de devises étrangères pour le Mexique. Ce fait est reconnu par les deux principaux candidats. Calderon propose de négocier avec le gouvernement américain un traité qui protégerait les droits des immigrants mexicains aux États-Unis, ce que Fox a été incapable de faire.

La proposition de Lopez Obrador est tout aussi vague : d’ordonner aux consulats mexicains d’agir en tant que représentants et défenseurs des immigrants.

Les déclarations vagues et propositions mesquines des deux candidats sur cette question soulignent leur mollesse face au caractère de plus en plus chauvin et anti-immigrants de la politique suivie par Washington. Une défense agressive des immigrants mettrait rapidement le Mexique en conflit avec les États-Unis.

Des deux candidats, Lopez Obrador a pris la posture la plus nationaliste, se faisant régulièrement ovationner à des rassemblements de campagne pour ses promesses de «renégocier» des sections de l’Accord de libre-échange nord-américain afin de geler la levée prévue en 2008 des tarifs douaniers sur le maïs et les fèves importés des États-Unis. «Nous allons protéger nos producteurs locaux», soutient-il.

Même si l’administration Bush et l’extrême droite américaine sont hostiles à Lopez Obrador, voyant en lui un autre membre de la série des dirigeants «de gauche» qui sont venus au pouvoir partout en Amérique latine au cours des cinq dernières années, il ne poserait aucune menace sérieuse aux intérêts des entreprises américaines.

Le New York Times a noté dans un récent éditorial : «La performance de M. Lopez Obrador en tant que maire ne laisse pas croire qu’il aurait un esprit révolutionnaire blotti quelque part dans son âme. Il est vrai que la dette de la ville a augmenté d’un tiers sous sa direction, mais il a aussi sensiblement amélioré la collecte de l’impôt, d’environ 44 pour cent. Il a coupé plus de 500 emplois dans la bureaucratie, éliminé les bonus accordés aux fonctionnaires et réduit les salaires. Au bout du compte, il a équilibré le budget, augmentant tant les dépenses que les revenus d’environ 60 pour cent.»




 

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