L’état de l’économie mondiale laisse perplexe la banque des banquiers
Dans un courriel envoyé récemment au WSWS, une lectrice a tracé un contraste entre ce qu’elle a qualifié de «situation explosive» en Chine, «économie non réglementée à l’intérieur d’une dictature», et les États-Unis, où l’économie est «réglementée, libre et gérée par les meilleurs cerveaux».
Même si ce n’est pas toujours affirmé aussi abruptement, le point de vue exprimé ici est assez répandu; à savoir que bien qu’il puisse y avoir des problèmes dans ce que l’on pourrait appeler les franges de l’économie mondiale, le coeur est essentiellement en santé et fonctionne sous l’oeil attentif des banquiers centraux et des régulateur financiers, prêts à intervenir si nécessaire.
Quiconque souscrit à un tel point de vue ferait bien d’examiner le rapport annuel de la Banque des règlements internationaux (BRI) publié cette semaine. Mise sur pied à la fin des années 20 pour organiser les paiements de réparation de l’Allemagne à la suite de la première Guerre mondiale, la BRI est unique dans le monde de la finance. N’étant rattachée à aucune autorité banquière nationale en particulier et fonctionnant comme une sorte de «banque des banquiers centraux», elle fournit souvent des analyses de l’économie mondiale que l’on ne peut retrouver nulle part ailleurs.
Les principaux commentaires de presse sur le rapport de la BRI de cette année ont mis l’accent sur les remarques du directeur général Malcolm Knight que les taux d’intérêts devront être resserrés davantage. «Il serait imprudent», a-t-il soutenu, «de compter sur une joyeuse combinaison de forte croissance et de faible inflation qui durerait indéfiniment. À un certain point, les banques centrales pourraient avoir à agir plus fermement sur les taux directeurs qu’elles ne l’ont fait ces dernières années.»
Un des principaux thèmes du rapport était que, même si la récente période de faible inflation résultant de la mondialisation a été bénéfique, le régime de faibles taux d’intérêt qui a suivi pourrait avoir créé d’autres problèmes comme l’inflation du prix des actifs et des déséquilibres commerciaux mondiaux.
Ces problèmes sont abordés de manière assez détaillée dans la conclusion du rapport. Et ce qui est clair est que, loin de fonctionner sous l’œil régulateur des «meilleurs cerveaux», les marchés financiers sont tourmentés par une série de contradictions que les banquiers centraux ne comprennent pas vraiment et savent encore moins contrôler.
Par exemple, le rapport note que la réduction de l’écart entre les taux d’intérêt sur les actifs sûrs et sur les actifs plus risqués «demeure un casse-tête», que la montée soudaine des prix des actions et des maisons à l’échelle mondiale «semble difficile à concilier avec les grandes différences dans les perspectives de croissance interne», et que «l’explosion de fusions et d’acquisitions, particulièrement en Europe, semble aussi difficile à comprendre».
Comme beaucoup d’autres institutions financières, la BRI insiste que les déséquilibres mondiaux actuels, par dessus tout le déficit croissant du compte courant des États-Unis et l’accumulation prolongée de devises étrangères par la Chine et les économies de l’Asie de l’Est, ne peuvent être maintenus à long terme. Toutefois, «étant donné la complexité de la situation et les connaissances limitées que nous an avons, il est extrêmement difficile de prédire ce qui pourrait arriver».
Un scénario possible est celui d’un «boum» de turbulence sur les marchés. Un autre serait celui d’un «gémissement» sur une longue période de faible croissance.
Il y a un certain nombre de possibilités qui pourraient déclencher un « bang » sur le marché, y compris le resserrement des taux d’intérêt, une loi protectionniste ayant trait à la Chine ou aux exportateurs de pétrole du Moyen-Orient ou l’effondrement soudain d’une grande firme avec d’importants intérêts financiers. Mais ce pourrait être quelque chose qui serait entièrement différent puisque, comme le rapport le souligne, «les éléments déclencheurs de la plupart des crises financières que nous avons connues dans les dernières dizaines d’années ont presque toujours été inattendues».
Un des principaux problèmes posés à ceux qui aimeraient plus de régulation est l’expansion exponentielle des marchés financiers au cours des dernières années, particulièrement parce que les opérations des fonds spéculatifs (Hedge Funds) et l’utilisation encore plus courante des produits dérivés. Ce sont des contrats qui par leur nature impliquent la spéculation sur le mouvement des taux d’intérêt, des taux de change, du prix des actions et les cotes de crédit entre autres indices. Il s’en suit qu’il y a «plusieurs raisons» d’inquiétude quant au marché. «Dans les pays les plus industrialisés, il y a plusieurs nouveaux participants sur les marchés financiers et plusieurs nouveaux produits financiers, de plus en plus complexes et opaques. La liquidité du marché dans ce nouvel environnement n’a toujours pas été testée.»
En d’autres mots, alors que l’utilisation de produits dérivés complexes est supposée amoindrir les perturbations financières en répartissant le risque, personne ne sait vraiment si tel est le cas. En fait, des liens financiers complexes et mondiaux signifient que les problèmes dans un secteur peuvent s’amplifier, plutôt que diminuer, alors que les échanges se développent à travers le monde. Aussi, «il existe une probabilité raisonnable que si un marché devait être particulièrement éprouvé, alors les problèmes se répandent aux autres».
Se tournant spécifiquement vers la Chine, la BRI note que «la principale inquiétude est que du capital mal alloué doive à la longue se manifester par une diminution des profits et que ceci ait un impact sur le système bancaire, les autorités fiscales et les perspectives de croissance de façon plus générale. Après une longue période d’expansion alimentée par le crédit, ce serait là un dénouement classique.»
Un tel résultat, continue la BRI, «pourrait avoir des effets encore plus importants sur les pays industrialisés qu’il est présentement admis» et pourrait présenter «un grand défi tant pour le secteur public que le secteur privé».
La BRI conclut que l’économie mondiale ne fait pas seulement face à des «incertitudes normales» associées à la réponse aux pressions inflationistes, mais aussi à des problèmes hérités des circonstances de la dernière décennie. La hausse de l’offre mondiale (une production élargie en Chine et l’intégration des anciennes «économies fermées» au marché mondial), associée à une demande traînant de la patte dans toutes les grandes économies, sauf aux États-Unis, ont mené à une dépendance excessive sur une politique d’assouplissement monétaire pour chercher à combler cet écart.
De plus, toute menace planant sur les taux de croissance mondiale durant cette période a été contrée par une baisse des taux d’intérêt. Ceci a mené à une accumulation progressive de la dette au niveau de l’entreprise et des ménages, ce qui signifie qu’un resserrement des taux d’intérêt est maintenant plus risqué, tandis que tout assouplissement a moins de chance de faire effet.
La BRI préconise un «plus grand esprit de coopération» entre les gros joueurs de l’économie mondiale, ce qui, «avec un peu de chance, pourrait suffire à nous faire éviter les écueils qui sont toujours en avant de nous».
Bien que l’on reconnaisse le besoin d’une coopération accrue, c’est toutefois une autre histoire de la mettre en place. Les problèmes peuvent être de nature globale, mais les intérêts nationaux conflictuels des grandes puissances capitalistes demeurent décisifs.
«Les lois nationales qui gênent le partage international d’informations critiques dans le temps demeurent un important obstacle à la gestion de crise. Et, fait peut-être plus important, il n’y a aucun accord sur un partage international du fardeau en cas de problème. Que ce soit la garantie sur les dépôts, les mécanismes d’urgence pour accroître les liquidités, ou la restructuration d’un banque active à l’échelle internationale, les coûts résultants seraient substantiels. Sans un accord préalable sur la répartition de tels coûts, une gestion de crise efficace pourrait être facilement gênée par des autorités nationales agissant conformément à ce qu’elles considèrent comme leurs propres intérêts nationaux.»
Autrement dit, loin de voir les «meilleurs cerveaux» travailler ensemble pour diriger l’économie mondiale vers des eaux plus calmes, une crise économique mondiale pourrait mener à un effondrement de toute collaboration et à un conflit de chacun contre tous.
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