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Le Bloc québécois : le populisme et le nationalisme au service de la bourgeoisie québécoise

par Guy Charron
13 janvier 2006

Le Bloc québécois (BQ), le parti fédéral en faveur de l'indépendance du Québec, obtiendra, si les prédictions des sondages se réalisent, ses meilleurs résultats depuis sa fondation en 1993. Au déclenchement des élections, le BQ avait 54 députés au Parlement canadien alors que le Québec, l'unique province où le BQ présente des candidats, compte pour 75 des 308 sièges de la Chambre des communes.

Le BQ se décrit comme le parti qui représente «les intérêts des Québécois» et comme un parti progressiste. Il bénéficie de l'appui direct des dirigeants syndicaux. Certains lui donnent un appui officiel et libèrent des permanents syndicaux et des fonds pour les mettre au service du BQ. D'autres ne donnent d'appui officiel à aucun parti mais insistent qu'il faut battre les libéraux et les conservateurs, autrement dit, qu'il faut voter pour le Bloc québécois. Le BQ bénéficie aussi de l'appui du Parti québécois (PQ), le parti indépendantiste au niveau provincial qui a imposé de sauvages compressions dans les dépenses sociales lorsqu'il a formé le gouvernement de 1994 à 2003.

Loin d'être un parti progressiste qui défend les intérêts des Québécois, le BQ défend plutôt les intérêts de la grande entreprise et de la section de la bourgeoisie québécoise qui considère qu'elle bénéficiera d'un réaménagement des États-nations en Amérique du Nord. Né d'un regroupement de députés provenant du Parti conservateur (PC) et du Parti libéral du Canada (PLC) et avec l'appui de Robert Bourassa du Parti libéral du Québec (PLQ), le Bloc québécois affiche un profond mépris pour la classe ouvrière, quelle soit québécoise ou canadienne. Le BQ a appuyé le «déficit zéro», le nom donné au programme de compressions sauvages des dépenses sociales publiques du PQ, et, sans l'avouer publiquement, espère que les conservateurs, un parti de droite proche du Parti républicain américain, formeront le prochain gouvernement au Canada.

Le BQ était impatient d'avoir de nouvelles élections fédérales. Il considérait que le moment était propice pour augmenter le nombre de ses voix (chaque voix apporte une subvention de 1.75$ par année), les sondages lui donnant plus de 50 pour cent des voix au Québec. Une autre considération importante pour le BQ est l'affaiblissement des libéraux fédéraux qui, avec le Parti libéral du Québec, forment la principale force politique qui défend le fédéralisme au Québec.

L'augmentation du nombre des députés du BQ aux dépens des libéraux fédéraux est vue chez les indépendantistes comme la première étape du processus menant à un troisième référendum sur l'indépendance du Québec.

Dans cette optique, les bloquistes préféreraient voir les conservateurs former le gouvernement parce que ces derniers sont proches de la bourgeoisie de l'Ouest canadien qui milite, comme eux, pour une décentralisation des pouvoirs du fédéral vers les provinces. La décentralisation, en plus d'offrir une plus grande autonomie politique aux provinces de l'Ouest, est perçue comme un moyen d'affaiblir l'État-providence.

De plus, le BQ et le PQ espèrent pouvoir utiliser l'élection d'un gouvernement conservateur et les mesures impopulaires qu'il va inévitablement adopter pour argumenter que le Québec et le Canada sont différents. Les conservateurs étant basés depuis longtemps dans le Canada anglais, il est peu probable qu'ils réussissent à faire élire plus d'une poignée de députés au Québec, et peut-être même aucun.

Le BQ a étroitement collaboré avec le Parti conservateur (PC) de Stephen Harper pour que les libéraux tombent suite à une motion de défiance portant sur la corruption et pour tenter de faire de cette question le centre des élections. Leur coopération est si bien connue que le BQ et le PC doivent régulièrement la nier. En effet, le conservatisme social et le chauvinisme anglophone avec lesquels le PC est associé sont peu populaires au Québec et l'option indépendantiste du BQ soulève une haine viscérale dans une bonne section de la base du PC.

L'appui dont le BQ bénéficie est très circonstanciel et n'est pas le produit d'un engouement massif pour ce parti ou ses politiques. Après les élections fédérales 2000, les éditorialistes et les chroniqueurs ont beaucoup écrit sur la mort possible du BQ et sur le manque de leadership de son chef, Gilles Duceppe. La défaite du PQ dans les élections provinciales de 2003 est venue renforcer ce sentiment.

Dans les quotidiens, la montée de l'appui au BQ est expliquée par le scandale des commandites qui ont fait l'objet d'une enquête publique. Le gouvernement du Parti libéral du Canada (PLC) dirigé par Jean Chrétien (l'actuel premier ministre Paul Martin était alors ministre des Finances) a détourné une partie des 250 millions destinés à des commandites d'événements sportifs et culturels au profit d'amis et de la caisse du PLC.

Mais la véritable cause de la montée du BQ est la même que celle qui a présidé à son déclin à la fin des années 1990 : une profonde opposition aux coupes dans les services sociaux et publics et l'insatisfaction de la grande majorité à cause de la diminution de leur niveau de vie et de l'augmentation de l'insécurité économique. Alors que le PLC s'est fait élire en 2003 en dénonçant le PQ pour n'avoir aucune crédibilité pour défendre le système de santé, l'appui au gouvernement libéral provincial de Charest a fondu comme neige au soleil après qu'il a été clair qu'il voulait aller encore plus loin que le précédent gouvernement péquiste détesté avec les privatisations, la réduction des services sociaux publics et les diminutions d'impôts pour les riches.

Que le BQ et du PQ aient pu bénéfécier de l'opposition au gouvernement Charest et à sa réingénierie de l'État est loin d'être automatique ou inévitable. C'est largement parce que les dirigeants syndicaux ont tout fait pour redonner de la crédibilité PQ et au BQ en resserant les liens avec ces deux partis indépendantistes. Autre côté de la médaille du même processus, les dirigeants syndicaux ont tout fait pour supprimer l'opposition de la classe ouvrière au gouvernement libéral de Charest. En décembre 2003, les travailleurs descendaient en masse dans les rues contre le gouvernement Charest. Les dirigeants syndicaux ont réagi en fondant une faction organisée au sein du PQ, Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre.

En décembre 2003, les travailleurs en colère sont descendus dans les rues pour protester contre le gouvernement Charest fraîchement élu en avril précédent. Pour garder le contrôle de leurs membres, les dirigeants syndicaux ont été forcés de dire qu'ils organiseraient une grève générale d'un jour contre le gouvernement Charest, mais ils ont saboté toute action militante syndicale, insistant pour que les travailleurs limitent leurs actions à une campagne pour se débarrasser des libéraux lors des prochaines élections provinciales.

Parce qu'il ne formera jamais le gouvernement, le BQ a une grande latitude pour faire des promesses populistes comme l'augmentation du financement des universités du Québec, la construction de logements sociaux au Québec et la révision du programme de l'assurance-chômage pour qu'elle soit plus bénéfique pour les régions du Québec. À cela, il associe des demandes de la grande entreprise comme des subventions pour les grandes entreprises qui ont des filiales au Québec (l'industrie aéronautique (Bombardier, Oerlikon, Bell Helicopter), l'industrie pharmaceutique, l'industrie du tabac, etc.).

De plus, le BQ reprend à son compte des demandes traditionnelles de la droite comme le renforcement de la loi et de l'ordre et l'appui aux lois antidémocratiques soi-disant contre le terrorisme. Dans la plateforme électorale du BQ, un document de 200 pages, on peut arriver à trouver une mention de la guerre en Irak comme étant «illégale et illégitime», mais cela n'est rien de plus qu'un effet de rhétorique. En effet, le BQ insiste «que le Canada préserve son alliance et ses liens d'amitié avec les États-unis [sans] appuyer l'ensemble des initiatives de l'actuelle administration américaine».

Dans son attitude par rapport à la guerre en Irak, le BQ adopte la position traditionnelle de la bourgeoisie canadienne qui considère que ses intérêts sont mieux servis lorsqu'elle peut balancer entre les intérêts européens et américains. Entre autres, le BQ aurait appuyé la guerre en Irak si elle avait été entérinée par l'ONU et appuie que le Conseil de sécurité de l'ONU puisse mener des guerres préventives.

Le BQ et le PQ cultivent une ambiguïté calculée sur leur programme d'indépendance du Québec. Pour tenter de gagner le maximum d'appuis et pour mieux défendre les intérêts de la bourgeoisie, ils laissent dans le flou comment ils envisagent les liens politiques et économiques entre un Québec souverain et le Canada. L'indépendance est présenté un peu comme le retour au Jardin d'Eden pour les travailleurs mais les lois et politiques d'un Québec indépendant seront taillées sur mesure pour défendre les intérêts des grandes entreprises installées au Québec, autant les indigènes que les étrangères. Le BQ, comme le PQ, appelle pour qu'un Québec indépendant participe à tous les grandes ententes dont fait partie le Canada présentement, tels l'OTAN et le traité de libre-échange d'Amérique du Nord.

Quant aux questions sociales, la véritable attitude du Bloc québécois est montrée par son appui au Parti québécois, le parti indépendantiste au niveau provincial. Il n'existe pas en politique canadienne deux partis aussi proches que le sont le BQ et le PQ. Non seulement les deux partis ont le même point de vue sur l'indépendance du Québec, mais ils coordonnent leurs activités politiques en général et lors des élections en particulier.

Le PQ, aujourd'hui dans l'opposition, a formé le gouvernement provincial de septembre 1994 à avril 2003. Il a formé un des gouvernements les plus à droite en Amérique du Nord, imposant à partir de 1996 des compressions sauvages des dépenses sociales et éliminant des dizaines de milliers d'emplois dans le secteur public pour permettre à Lucien Bouchard de réaliser la promesse qu'il a fait à Wall Street de diminuer la masse salariale du secteur public de 6 pour cent. L'ensemble de ces mesures a été salué par le Bloc québécois comme l'ont été les lois anti-syndicales votées par le PQ.

Aujourd'hui, le BQ est prêt à jouer le même rôle dans la nouvelle série d'attaques contre la clases ouvrière que demande les grandes entreprises.

Duceppe travaille main dans la main avec André Boisclair, le nouveau chef du PQ, représentant de la droite du PQ. Boisclair a annoncé que si jamais le PQ formait le gouvernement lors de la prochaine élection (qui aura lieu au plus tard en avril 2008), il ne modifierait pas les conventions collectives des 500.000 travailleurs du secteur public que vient d'imposer le gouvernement libéral de Charest au moyen d'une loi spéciale. La loi a fixé que le contrat avait une durée de 6 ans et neuf mois et que les augmentations salariales ne seraient que de 8 pour cent pour toute cette période. La loi spéciale prévoit aussi des amendes très sévères pour toute action syndicale alors que le gouvernement va de l'avant avec ses plans de privatisation, de sous-traitance et de réduction des emplois dans le secteur public.

Duceppe a déclaré que le manifeste lucide de Lucien Bouchard, ancien chef du BQ et ancien premier ministre péquiste du Québec, constituait une contribution valable. Ce manifeste, endossé par une brochette de personnalités indépendantistes et fédéralistes, appelle à toute une série de prescriptions radicales de droite, comme réduire les impôts sur le revenu et augmenter les taxes à la consommation, étendre les privatisations et les partenariats public privé, augmenter de façon importante les tarifs d'électricité résidentiels et alléger la réglementation du travail en faveur des entreprises.

La campagne du BQ, ses liens étroits avec le PQ, sa défense de la grande entreprise et son nationalisme constituent un avertissement clair pour les travailleurs : ce parti est un piège pour la classe ouvrière.




 

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