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« Réforme » constitutionnelle en Italie : Fossoyeur de la démocratie d'après-guerre

Par Marianne Arens et Marc Wells
Le 3 décembre 2005

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La réforme constitutionnelle de Silvio Berlusconi que le Sénat italien a adopté le 16 novembre a pour but de conférer au Premier ministre des pouvoirs présidentiels. Quelques semaines seulement auparavant, Berlusconi, entrepreneur le plus riche d'Italie avait déjà changé la législation électorale de façon arbitraire afin de s'assurer un avantage aux prochaines élections.

La réforme constitutionnelle, adoptée le 20 octobre par la Chambre des députés, a maintenant, avec le vote du Sénat, force de loi. Sa fonction principale consiste à renforcer massivement le pouvoir exécutif du gouvernement, élargissant grandement de ce fait sa juridiction sur le pouvoir législatif du Parlement ainsi que sur la fonction d'équilibre des pouvoirs que le Président de la république a depuis la promulgation de la constitution de 1948. Dorénavant, le Premier ministre sera directement élu par le peuple italien et n'aura plus besoin du vote de confiance du Parlement italien.

La réforme confère aussi au Premier ministre le pouvoir de nommer et de renvoyer des ministres et de dissoudre le Parlement. De plus, le Premier ministre pourra décider de la ligne politique générale du gouvernement et assurer que l'administration la suive.

Ce faisant, Berlusconi supprime un élément central de la constitution de 1948. Après l'expérience du fascisme sous Mussolini, l'Assemblée constituante italienne limita en toute conscience le pouvoir du Premier ministre. Le rôle de sa fonction au sein du gouvernement était conçu comme celui d'un primus inter pares (premier parmi les égaux), restant sous le contrôle du Président de l'Etat et dépendant de la confiance du Parlement.

Le Président de la République (president della Repubblica) perd maintenant des pouvoirs cruciaux dont celui de nommer le Premier ministre. Le Président de la République va aussi perdre le pouvoir de dissoudre le gouvernement et d'organiser des élections anticipées s'il n'en a pas la recommandation explicite du Premier ministre.

La composition du Parlement va aussi changer. La Chambre des députés est la seule assemblée qui retienne les pleins pouvoirs législatifs, tandis que la juridiction fédérale du Sénat est limitée aux questions de législation 'concurrente', c'est-à-dire à ces questions qui ne sont pas exclusivement du domaine de l'Etat central ou des régions. De Sénat national on va passer à une fédération de représentations régionales, un senato federale, qui sera élu en même temps que les instances régionales.

La fonction du Parlement va aussi changer : dans l'ancien système, une loi ne pouvait être adoptée que lorsque la Chambre des députés et le Sénat adoptaient tous deux le même texte, exemple d'un réel bicamérisme. Maintenant, si les deux Chambres ne peuvent pas se mettre entièrement d'accord sur un texte de loi, alors les présidents de chaque branche du Parlement devront nommer trente députés et trente sénateurs qui devront élaborer un nouveau texte que les deux Chambres devront adopter.

Combinée aux pouvoirs élargis du Premier ministre, dont celui de dissoudre le Parlement, cette nouvelle procédure permet au chef du gouvernement de faire passer en force des mesures au Parlement.

De plus, le Sénat perd le droit de faire voter une motion de censure contre le Premier ministre. Ce droit n'est plus que de la compétence de la Chambre des députés et requerra la majorité absolue de la Chambre. Mais, comme avec la nouvelle loi électorale le parti de coalition qui a le plus de succès aura automatiquement la majorité absolue à la Chambre, cette éventualité n'est au mieux qu'une hypothèse.

Autonomie régionale renforcée

Le deuxième élément de poids de la nouvelle constitution est la soi-disant Devoluzione (décentralisation). Des pouvoirs plus importants sont conférés aux vingt régions italiennes qui auront à présent le pouvoir législatif exclusif en matière de système de santé, d'éducation et de police régionale et locale. Cela représente une attaque massive contre les droits des travailleurs à l'éducation et à la santé.

C'est le résultat d'un marché conclu avec la Lega Nord (Ligue du nord) pour s'assurer de la poursuite de son soutien à Berlusconi. En 1994, la Ligue du nord se retira du premier gouvernement Berlusconi, provoquant sa chute. La décentralisation du pouvoir est l'exigence principale de la Lega Nord, ce qui reflète le désir de la bourgeoisie industrielle du nord d'éviter l'impôt national qui pourrait être utilisé pour le sud plus pauvre. La source de la richesse de cette couche est la classe ouvrière industrielle dont une grande partie est originaire du sud.

En dernière analyse, la décentralisation est la première étape d'une stratégie visant à privatiser des secteurs entiers comme l'éducation, la santé qui après la Seconde guerre mondiale étaient garantis pour tous. C'est une attaque directe contre les acquis gagnés après des décennies de luttes sociales par la classe ouvrière italienne.

Un gouvernement divisé

La réforme constitutionnelle de Berlusconi qui lui confère de fait des pouvoirs autoritaires est une démarche pragmatique et entièrement transparente pour garder sa mainmise sur le gouvernement. Mais certains aspects de la décentralisation approfondissent des divisions au sein de sa propre majorité gouvernementale, la Casa delle Libertà (la maison des libertés).

L'exemple le plus évident est la position du néo-fasciste Allenza Nazionale (AN- Alliance nationale) de Gianfranco Fini, actuellement au gouvernement. Elle soutient la concentration de pouvoir entre les mains du Premier ministre mais elle critique violemment la décentralisation craignant de perdre sa base politique dans le sud appauvri. Fini et d'autres politiciens de l'AN avaient quitté provisoirement le gouvernement, il y a six mois, en signe de protestation. Domenico Fisichella, vice-président du Sénat et membre fondateur de l'AN a annoncé son retrait du parti pour signaler clairement son opposition à la mesure fédéraliste de décentralisation.

Comme l'AN n'a pas réussi à empêcher de façon directe la devoluzione, elle a introduit une clause d'"intérêts nationaux" dans la nouvelle loi stipulant que le gouvernement peut bloquer une loi régionale si elle est « contraire aux intérêts nationaux du pays.»

Une opposition molle

Romano Prodi, dirigeant de l'opposition et ancien président de la commission de l'UE, s'est plaint que " la Maison des libertés avance à grands pas vers une dictature dangereuse du Premier ministre" exercée sur le Parlement. Mais l'opposition qui comprend non seulement le parti catholique Margherita, les Verts et les démocrates de gauche mais aussi Rifondazione Comunista (Refondation communiste) reste typiquement passive. Bien qu'elle ait appelé à un référendum, elle n'a pas lancé une réelle campagne politique contre Berlusconi.

Un référendum requerra les signatures d'un cinquième des membres de chacune des Chambres ou bien de 500.000 électeurs. L'opposition disposera de trois mois pour les obtenir.Vu les délais prescrits - 30 jours pour la légalisation des signatures par les autorités responsables et 60 jours pour l'annonce officielle du référendum par le président ­ ceci signifie en réalité qu'un vote sur le référendum ne se tiendra pas avant les prochaines élections parlementaires d'avril.

Aucun politicien de l'opposition n'a pourtant expliqué pourquoi il n'est pas possible de mobiliser la classe ouvrière dans une lutte politique. Et pourtant, la classe ouvrière italienne se radicalise de plus en plus. Cela s'est vu par toute une série de grèves, et de protestations de masse contre les coupes budgétaires dans le domaine social et pour le retrait des troupes italiennes d'Iraq. Ainsi le vendredi 25 novembre a eu lieu dans toute l'Italie la sixième grève générale contre la politique économique de Berlusconi.

Il y a six mois, la coalition de l'Olivier, de Romano Prodi, a gagné, aux élections régionales, onze des treize régions. Aujourd'hui, tous les sondages électoraux prédisent la défaite de Berlusconi aux élections parlementaires d'avril prochain.

Cependant, l'opposition craint autant que le gouvernement une mobilisation des travailleurs italiens. La politique de Romano Prodi est dictée par les mêmes intérêts des grandes entreprises et des banques que celle de Berlusconi. Ses différences avec Berlusconi sont de nature purement tactique et non basée sur des principes. Le programme économique néolibéral de Romano Prodi ressemble à celui d'Angela Merkel en Allemagne ou de Tony Blair en Grande-Bretagne.

Lorsque Prodi était à la tête d'un gouvernement de centre-gauche il y a dix ans, il avait lui-même introduit des éléments de décentralisation dans la constitution et réclamé plus de pouvoir pour le Premier ministre. C'était précisément Prodi qui avait initié, au milieu des années 1990, le démantèlement du secteur public en commençant par la privatisation de IRI (Institut pour la reconstruction industrielle).

L'abîme qui sépare les manoeuvres tactiques de la soi-disant "opposition" et la lutte authentique des travailleurs montre à nouveau la nécessité de construire un nouveau parti de la classe ouvrière qui se base sur l'internationalisme socialiste. Seuls le Comité international de la quatrième internationale et le World Socialist Web Site offrent une telle perspective.




 

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