wsws : Nouvelles et analyses : Europe
par Antoine Lerougetel
31 janvier 2006
Les organisations représentant les étudiants et les lycéens ont appelé à une semaine d'assemblées générales et de mobilisations partout France, commençant le 30 janvier, en vue d'une manifestation nationale le 7 février contre la proposition du Contrat première embauche (CPE). Le projet du premier ministre Dominique De Villepin, censé être une réponse aux émeutes des jeunes qui ont secoué le pays pendant trois semaines en octobre et novembre derniers, donnera aux employeurs le droit de licencier sans justification les jeunes salariés durant les deux premières années suivant l'embauche.
La date des débats au parlement sur le projet de loi du CPE a été avancée d'une quinzaine de jours pour prendre de vitesse le mouvement de masse des étudiants, lycéens et salariés, opposés au projet, et qui effraie le gouvernement. Le projet de loi sera présenté devant l'Assemblée nationale le 31 janvier. Les lycéens se disperseront du 4 février au 6 mars du fait des vacances scolaires de quinze jours organisées à différentes dates suivant les différentes régions. Le gouvernement espère profiter de cette situation pour expédier les débats et l'adoption de la loi d'ici la fin de la période de vacances.
La FIDL (fédération indépendante et démocratique des lycéens), l'un des deux principaux syndicats lycéens, s'exprima ainsi : « Les lycéens ont bien compris que le gouvernement comptait sur les vacances scolaires pour esquiver cette contestation. C'est pourquoi les lycéens se mobiliseront avant le 4 février. »
Le CPE, qui s'appliquerait aux demandeurs d'emploi de moins de 26 ans dans des entreprises de plus de 20 salariés, commence par une "période de consolidation" de deux ans, période pendant laquelle ce contrat peut être rompu sans justification et, de ce fait, sans appel ou réparation. Le contrat est à durée indéterminée, c'est-à-dire sans échéance, mais les employeurs, naturellement, auront tendance à vouloir éviter l'obligation de garder leurs salariés après les deux ans pour n'avoir pas à tomber sous les dispositions (déjà limitées) du code du travail existant.
Le gouvernement a été encouragé à attaquer à nouveau les droits du travail du fait de la passivité des syndicats face au projet de loi du Contrat nouvelle embauche (CNE), voté au parlement en août dernier et qui présente des dispositions similaires à celles du CPE, pour les salariés nouvellement embauchés dans des entreprises de moins de 20 salariés. Bernard Thibault de la CGT (confédération générale du travail, le plus grand syndicat de France) a reconnu : "Nous ne sommes pas parvenus à empêcher le CNE parce que nous n'avons pas su construire des prolongements à la journée d'action unitaire du 4 octobre 2005" (Le Monde, 17 janvier.) Beaucoup ont vu le CNE comme la porte ouverte à une révision complète du Code du travail, lequel limite l'exploitation sans entrave des salariés par leurs patrons et permet aux syndicats de maintenir une certaine paix dans les relations du travail.
À côté du CPE et du CNE, le gouvernement propose le contrat à court terme pour les Seniors, salariés de plus de 57 ans, et un projet permettant aux retraités de travailler pour de petits salaires sans perdre le bénéfice de leur retraite, propositions qui nient toutes deux la stabilité de l'emploi. Ces mesures vont de pair avec de nombreux avantages financiers pour les employeurs, dont des exemptions de cotisation de sécurité sociale, qui d'après calculs, représentent une aubaine de 20 milliards d'euros par an pour les employeurs.
En effet, le syndicat patronal MEDEF (mouvement des entreprises de France), l'organisation patronale des grandes entreprises, réclame que de tels contrats soient la règle générale et réclame d'une voix toujours plus insistante le contrat unique, qui éliminerait toute protection face à un licenciement abusif ou injustifié et laisserait les salariés dans une situation où il y aurait peu de mesures compensatoires en cas de licenciement. Laurence Parisot, présidente du MEDEF, a qualifié le Code du travail de"fatras".
Les personnes embauchées dans le cadre de ces nouvelles propositions de contrats seront à la merci des caprices de la direction et ne seront pas en mesure d'attendre plus que le minimum légal en matière de salaires et de conditions de travail. Il ne leur sera pas non plus possible de remettre en question les rythmes de travail, les conditions dangereuses voire même le non paiement des heures supplémentaires, tant leur position sera précaire.
Le syndicat des magistrats de gauche déclare que le CPE "n'est pas conforme aux principes fondamentaux affirmés par la convention n°158 de l'OIT (Organisation internationale du travail), tant au regard de l'exigence du délai raisonnable de la période d'essai que de celle de la motivation du licenciement... Le principe même du contrat à durée indéterminée et la logique de protection de l'emploi qui le sous-tend sont à l'évidence dans la ligne de mire du gouvernement." C'est la poursuite du démantèlement du cadre des conventions collectives qui a commencé avec le gouvernement précédent de gauche plurielle de Lionel Jospin (1997-2002) et la loi sur les 35 heures, et s'est accéléré avec le gouvernement gaulliste de Jean-Pierre Raffarin qui lui a succédé.
Le mouvement de protestation contre le CPE émerge au moment où d'autres mobilisations de salariés s'organisent séparément contre une élite dirigeante résolument décidée à attaquer le niveau de vie de la classe ouvrière. Une manifestation programmée le 31 janvier devant l'Assemblée nationale à l'appel de la CGT contre la politique sociale du gouvernement sera rejointe par les lycéens. Leur campagne contre le CPE a été appuyée par la CGT de Thibault, qui a pris la parole au congrès de l'UNL (Union nationale des lycéens) samedi dernier sous des applaudissements enthousiastes.
Quelques 60 pour cent d'enseignants et de personnels de l'éducation dans le département de la Seine-Saint-Denis, l'un des plus touchés par les émeutes des jeunes de l'automne dernier, ont fait grève jeudi dernier contre la proposition de Villepin de retirer de l'enseignement à plein temps les élèves en échec scolaire pour les mettre en apprentissage, et contre la perte planifiée de moyens pour de nombreux établissements avec la redéfinition des zones d'éducation prioritaires (ZEP). Les grévistes réclamaient des moyens supplémentaires pour pouvoir faire face aux problèmes croissants de violence scolaire.
Les fonctionnaires organisent une grève d'un jour et une manifestation le 2 février contre l'érosion du pouvoir d'achat de leurs salaires et les suppressions d'emplois, et pour la défense des services publics.
Le refus des syndicats de mobiliser les salariés dans une lutte politique contre le programme pro capitaliste de l'élite politique française, et leur insistance à limiter l'action à une journée et à saucissonner les protestations conçues pour faire pression sur le gouvernement, est en conformité avec "un syndicalisme responsable" qui a permis à des gouvernements de gauche comme de droite de faire avancer résolument des mesures libérales favorables aux grandes entreprises.
Des exemples récents de cet état de fait sont l'étouffement par la CGT et la FSU (Fédération des syndicats unitaires, principale fédération des personnels d'éducation) du mouvement massif de grèves et de manifestations pour la défense des retraites en 2003, et l'abandon par la CGT de la grève des ouvriers du ferry de la SNCM (Société nationale Corse-Méditerrannée) à Marseille contre les licenciements et la privatisation, en limitant la grève nationale massive du 4 octobre, en plein cur de la lutte, à une protestation d'une journée.
Le CPE et le CNE sont tous deux soi-disant conçus pour aider à diminuer le taux de chômage chronique en France qui s'élève à 10 pour cent pour l'ensemble de la population et à plus de 23 pour cent pour les moins de 26 ans. Les entreprises, à en croire le gouvernement et ses partisans des grandes entreprises, seront plus disposées à embaucher des salariés si elles ont la possibilité de les licencier à leur guise. Le gouvernement prétend que puisque le CPE est "un contrat à durée indéterminée" (CDI) il constitue une avancée par rapport à la ribambelle de contrats à durée déterminée (CDD) dont la plupart des jeunes doivent s'accommoder. En fait, en vertu de la loi actuelle, pendant la durée du contrat, le salarié est protégé par le Code du travail et jouit d'une stabilité à court terme, tandis que le salarié du CPE et du CNE peut être licencié sans justification avec un préavis de deux semaines.
Le magazine l'Expansion, qualifiant les salariés de moins de 30 ans de jeunes travailleurs, affirme que cette catégorie a un taux de chômage de 18.1 pour cent et qu'il est en augmentation. Un jeune sur cinq parmi ceux qui ont un travail n'avait pu trouver qu'un emploi temporaire. En 2003, seuls 58 pour cent des jeunes avaient des contrats de travail à durée indéterminée sur la période des quatre derniers trimestres, contre 77 pour cent pour l'ensemble de la population. Durant la même période, 28 pour cent de ces jeunes ayant du travail avaient connu une période sans emploi contre 17 pour cent pour l'ensemble de la population. Les salariés de plus de 50 ans ont également un taux de chômage très élevé.
Pour ce qui est des jeunes salariés sans qualification, 20 pour cent n'avaient jamais travaillé et 25 pour cent avaient alterné travail et chômage au cours de l'année précédente. Quarante pour cent des jeunes salariés au chômage en 2003 étaient toujours au chômage un an après.
Tandis que 21 pour cent de tous les diplômés ayant des formations à bac+ 4, impliquant quatre ans d'études après le baccalauréat, sont toujours à la recherche d'un emploi neuf mois après avoir fini leurs études, cela prend en moyenne de 8 à 11 ans pour qu'un jeune salarié trouve un CDI, qui lui permette d'avoir accès au crédit et de faire des projets pour fonder une famille avec un minimum de sécurité. Soixante-dix pour cent des jeunes débutent avec un emploi en CDD ou un emploi temporaire.
Les propositions de CPE et de CNE ne sont que les dernières d'une série d'attaques contre le Code du travail et les droits des salariés, dont de nombreux programmes d'emplois jeunes sous payés et de contrats temporaires mis en place par des gouvernements de gauche comme de droite ces deux dernières décennies. Déjà, des coupes sombres ont été faites dans les allocations de chômage, et des pourparlers récents entre syndicats et employeurs ("les partenaires sociaux") envisagent l'appauvrissement accru des chômeurs.
Le but de ces mesures est d'enlever tous les obstacles à la réduction du coût du travail en faisant des incursions toujours plus importantes dans les droits et les protections des salariés afin d'augmenter la rentabilité et la compétitivité des grandes entreprises et rendre la France plus attrayante pour les investisseurs.