wsws : Nouvelles et analyses : Moyen Orient
Deuxième et dernière partie
Par Jean Shaoul
Le 19 janvier 2006
La première partie fut publiée le 18 janvier 2006
Aux yeux des forces religieuses et ultranationalistes vers lesquelles le Likoud se tournait de plus en plus après sa défaite électorale de 1992, l'accord signé avec l'OLP dans le cadre des accords d'Oslo de 1993 représentait une trahison. Il signifiait l'abandon d'une part de « Eretz Israël », la terre biblique d'Israël.
Ces forces croyaient que les Juifs « avait un droit éternel et inaliénable sur la Palestine biblique », non seulement la rive est du Jourdain, mais aussi les collines du Liban et les approches du Nil. Alors que le Likoud n'était pas formellement engagé à établir un contrôle sur les « terres d'Israël », il était engagé à l'égard d'un Grand Israël dont la superficie était, au minimum, considérablement plus vaste qu'elle ne l'était avant 1967.
Benjamin Netanyahu fut l'allié israélien de la faction républicaine néoconservatrice des Etats-Unis qui refusa la politique de Clinton visant à trouver un accord avec l'OLP. Il devint en 1993 dirigeant du Likoud.
Opposé à toute négociation avec l'OLP et à l'établissement d'un Etat palestinien, fut-il même tronqué, Netanyahu refusa d'accepter une re-division de la Cisjordanie. Lui et ses collègues du Likoud se tournèrent vers les forces ultranationalistes et religieuses pour terroriser et provoquer les Palestiniens et saboter les accords d'Oslo.
Ils comparaient régulièrement Rabin, Shimon Peres et le Parti travailliste au premier ministre britannique d'avant-guerre, Neville Chamberlain, et autres politiciens de l'époque désireux d'« apaiser » Hitler, comparant les accords d'Oslo aux accords de Munich avec les nazis en 1938. Ils jouèrent un rôle crucial en incitant à la révolte l'extrême droite et en créant l'environnement politique qui conduisit à l'assassinat du premier ministre Yitzhak Rabin par un fanatique religieux en novembre 1995.
L'assassinat révéla le monstre politique à la Frankenstein créé par l'élite israélienne avec sa politique expansionniste, tout spécialement après la guerre de 1967, et annonça un tournant à droite brutal tournant le dos à toute idée d'un accord avec les Palestiniens. Alors que l'élite dirigeante israélienne, en majorité, condamna cet assassinat et les forces droitières se cachant derrière, les tentatives pour un accord négocié se poursuivirent avant d'aboutir finalement à une impasse en 2000 ; l'assassinat provoqua une crise politique sérieuse.
En 1996, le Likoud revint au pouvoir sur une vague d'écoeurement et de peur en Israël quant au nombre d'attentats attribués à l'OLP. Sous l'influence de Netanyahu, les négociations avec les Palestiniens furent gelées mais, sous la pression de Washington, il fut forcé de participer aux discussions organisées par le président Bill Clinton en 1998 à Wye Plantation, dans le Maryland près de Washington. La même année, Netanyahu avança Sharon, dépeint à présent comme un vétéran de la politique, comme ministre des Affaires étrangères. C'est à Sharon que l'on confia la responsabilité de s'occuper des pourparlers à Wye.
Le Likoud refusa de reconnaître les accords d'Oslo mais accepta « la situation créée par les accords d'Oslo. » Israël ne regagnerait pas les villes contrôlées à présent par l'Autorité palestinienne. Mais, s'il devait y avoir une quelconque entité palestinienne, alors Sharon et Netanyahu feraient en sorte que le maximum de terres possible demeure sous contrôle israélien. Ils refusèrent catégoriquement des exigences palestiniennes-clé telles que la souveraineté sur Jérusalem-Est et le droit au retour des réfugiés palestiniens en Israël.
Selon l'accord de Wye Plantation, Israël accepta de transférer des territoires additionnels en Cisjordanie sous contrôle de l'Autorité palestinienne, de créer un passage de sécurité pour la libre circulation des Palestiniens entre Gaza et la Cisjordanie et de libérer quelques 3.000 de ses prisonniers palestiniens. En échange, l'Autorité palestinienne entreprit de tenir en bride les groupes anti-israéliens tels le Hamas, de mettre un frein à la possession d'armes et d'abroger les clauses de la charte palestinienne appelant à la destruction d'Israël. Arafat accepta même de travailler sous la direction directe de la CIA.
Mais Netanyahu ne fut pas en mesure de faire accepter le marché à ses partenaires de la coalition, et le gela après un seul retrait de troupes en décembre 1998 prétendant que les Palestiniens avaient rompu l'accord. L'on assume de toutes parts que Sharon profita de sa position dans l'opinion publique pour s'enrichir lui-même ainsi que sa famille et ses amis. Ce que révéla ultérieurement le procès pour corruption de son ancien partenaire, David Appel.
La majorité des Israéliens tenaient encore beaucoup à une résolution du conflit et à la fin de l'occupation du Sud-Liban. La coalition de Netanyahu éclata et le Likoud vola en éclats. Il subit une déroute lors des élections de 1999 quand les Israéliens votèrent pour un nouveau gouvernement de coalition du Parti travailliste sous Ehoud Barak qui promit de reprendre les pourparlers bloqués avec les Palestiniens.
Ce n'est qu'après la défaite désastreuse du Likoud aux élections que Sharon remporta la présidence du parti, avec, paraît-il, l'aide de financements illégaux de la campagne électorale pour lesquels son fils est à présent reconnu coupable en qualité de directeur de campagne. Sharon, alors âgé de 71 ans, était alors considéré comme un homme du passé et rien de plus qu'un dirigeant intérimaire du Likoud. Il demeura en grande partie au second plan en tant que dirigeant du parti jusqu'en juillet 2000, date du sommet de Camp David.
Les pourparlers de Camp David, tout comme le gouvernement travailliste, étaient tous deux voués à l'échec étant donné que les accords d'Oslo n'avaient pas réussi à apporter le moindre soulagement à l'oppression physique, sociale et économique des Palestiniens. La mise en place de l'Autorité palestinienne n'avait pas profité aux masses palestiniennes mais seulement à une petite élite gravitant autour d'Arafat. Deux semaines de négociations intenses entre Barak et Arafat tenues en présence de Clinton comme intermédiaire, ne réussirent pas à déboucher sur un accord.
Malgré la volonté d'Arafat de faire des concessions majeures, à savoir l'annexion par Israël de la plupart des colonies, le refus d'autoriser plus de 100.000 Palestiniens sur les 3, 6 millions vivant hors d'Israël à retourner dans les foyers qu'ils avaient fuit en 1948 et en 1967, un Etat palestinien extrêmement tronqué, il ne pouvait pas accepter les propositions de Barak quant au destin de Jérusalem. Les Palestiniens désiraient que Jérusalem-Est, confisqué par Israël à la Jordanie durant la guerre de 1967, leur soit retourné et devienne la capitale de leur futur Etat.
Barak proposa qu'Israël garde une « souveraineté résiduelle » sur l'ensemble des lieux saints de la vieille ville de Jérusalem, en accordant aux Palestiniens une souveraineté partagée sur quelques sites religieux et des districts plus éloignés de Jérusalem-Est, mais la souveraineté totale reviendrait à Israël. Ceci fut quelque chose qu'Arafat ne pouvait en aucun cas accepter. Les pourparlers de paix et donc l'ensemble du soi-disant processus de paix, échouèrent à Camp David car il ne fut plus possible de reporter ou de dissimuler plus longtemps les concessions substantielles accordées à Israël et qui avaient toujours été implicites au processus de paix.
Après l'échec des pourparlers de Camp David, il fut très facile à Sharon de torpiller à la fois les accords d'Oslo et le gouvernement travailliste. Il dénonça les maigres concessions faites par les travaillistes aux Palestiniens à Camp David et retira son soutien à Barak.
Deux mois plus tard, Barak donna l'autorisation à Sharon de pénétrer au Mont du Temple encadré par une importante escorte de soldats armés. Barak, dont la coalition chancelante reposait sur le parti Shas de droite, ne souhaitait pas s'aliéner les forces ultranationalistes et religieuses. Il prit une décision calculée, assurément avec la bénédiction de Washington, de soutenir l'action incendiaire de Sharon dans le but de punir Arafat et les Palestiniens et de changer de politique pour s'orienter davantage vers une politique de confrontation.
La visite de Sharon au mont du Temple fut une provocation délibérée destinée à saborder la moindre chance de sauver les accords d'Oslo et, ce faisant, de poursuivre l'expansion des colonies en Cisjordanie. Elle produisit la seconde Intifada, une éruption de protestations militantes des Palestiniens et qui fut le prétexte à une réaction massive et sanglante de la part d'Israël.
Après un bref et éphémère changement de style pour apparaître en « parti de la paix », le Parti travailliste organisa des élections générales anticipées en février 2001 qui ouvrirent la voie à Sharon.
Sharon premier ministre
Près de vingt après qu'il ait été jugé inapte à occuper le poste de ministre de la Défense, Sharon assuma les fonctions de premier ministre. La raison n'était pas que la majorité des Israéliens appuyaient sa politique. En effet, seuls 37 pour cent des électeurs inscrits votèrent pour lui et des sondages d'opinion montraient de façon constante que la majorité des Israéliens souhaitaient la fin du conflit avec les Palestiniens. Il dut plutôt sa victoire au vide politique existant à gauche, le Parti travailliste n'étant ni disposé ni capable d'avancer une authentique politique de paix et vu qu'il n'existait aucun parti significatif luttant contre les bases fondamentalement réactionnaires du régime sioniste et présentant une alternative socialiste authentique contre les différentes formes de politique nationaliste.
En effet, les travaillistes démontrèrent leur accord sur le fond avec Sharon en rejoignant le Likoud dans une coalition gouvernementale.
La politique de Sharon représentant les intérêts de ses partisans, au sein de l'élite dirigeante à Washington et en Israël, lui valut le soutien des colons et des partis religieux. Un nouveau consensus en faveur de la guerre avait émergé au sein de l'élite dirigeante israélienne, y compris la direction du Parti travailliste.
Durant son mandat de premier ministre, Sharon appliqua à nouveau la politique qui avait déjà fait ses preuves, à savoir « créer des faits accomplis sur le terrain ». Les accords d'Oslo étaient enterrés et il déterminerait à présent unilatéralement la forme et la superficie de tout Etat palestinien futur de façon à accroître au maximum les bénéfices revenant à Israël.
A cette fin, Sharon mena une campagne de répression militaire criminelle soutenue contre une population en grande partie sans défense et visant en même temps à évincer Arafat de la direction des Palestiniens. Cette campagne inclut des invasions et bombardements aériens des territoires occupés, des démolitions de maisons, des centaines de barrages routiers, des couvre-feux, des meurtres politiques, des emprisonnements sans jugement et la torture. La construction de colonies se multiplia et la confiscation des terres se poursuivit.
En mars 2002, en vue d'une initiative de paix informelle à Genève et un projet soumis par les Etats arabes, Sharon envoya l'armée pour réoccuper les villes de la Cisjordanie se trouvant sous le contrôle de l'Autorité palestinienne (AP) et pour détruire l'infrastructure politique de l'AP. On dénombra de nombreuses victimes civiles.
L'enceinte d'où Arafat dirigeait l'AP fut réduite en cendres. Littéralement fait prisonnier, Arafat ne pouvait voyager ou recevoir de visiteurs ; on lui refusa même l'accès aux soins médicaux jusqu'à ce que la pression internationale ait forcé Israël à lui permettre de rejoindre un hôpital parisien alors même qu'il se trouvait à deux doigts de la mort.
Mais, la crise croissante provoquée par l'Intifada, la répression militaire des Palestiniens et la récession provoqua une opposition amère au sein de la classe ouvrière conduisant à une crise politique dans la coalition Likoud Parti travailliste de Sharon. Les travaillistes quittèrent le gouvernement en octobre 2002 sur la question du financement des colonies à une période de difficultés économiques et sociales grandissantes pour les travailleurs israéliens. Incapable de rafistoler une autre coalition, Sharon fut contraint d'organiser une élection générale anticipée en février 2003.
Il ne réussit à remporter une fois de plus les élections que qu'il n'y avait en face aucune véritable perspective alternative. Seul un sixième des électeurs votèrent pour le Likoud alors que le taux de participation était le plus faible jamais enregistré dans une élection générale en Israël.
La réélection de Sharon signifia moins un tournant à droite qu'une profonde aliénation de la politique officielle. Au cours de la campagne, le Parti travailliste ne fit pas le moindre effort pour soulever la question de l'économie, question qui était pourtant à l'origine de l'élection anticipée.
Le fait que Sharon fut en mesure de prendre l'initiative était dû au fait que la politique raciste et anti-arabe du Likoud exprimait le plus conséquemment et le plus impitoyablement la logique et les besoins du régime sioniste. Il établit un nouveau gouvernement, le plus droitier de l'histoire d'Israël, en partenariat avec les partis ultranationalistes et religieux.
Sharon poursuivit la construction du « mur de sécurité », décrété illégal par la Cour de Justice internationale, et qui annexe à Israël la moitié de la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est et qui force les Palestiniens à vivre une existence humiliante dans un ghetto sordide.
Dans la mesure où Sharon fut contraint de se faire à l'idée d'une solution prévoyant en quelque sorte deux Etats, il s'agissait d'une solution dans laquelle Israël définissait unilatéralement ses frontières et reléguait le petit Etat palestinien à une position de subordination et de prostration absolues. A cette fin, Arafat fut déclaré persona non grata tandis que Sharon de même que le gouvernement Bush aux Etats-Unis disaient avec insistance qu'Israël n'avait pas de « partenaire pour la paix. »
Toute négociation à venir ne pourrait reprendre qu'avec une direction palestinienne acceptable pour Israël et Washington et à la pointe du fusil, ce que confirma l'arrivée au pouvoir de Mahmoud Abbas après la mort d'Arafat en novembre 2004.
Au Liban, à plusieurs reprises Sharon fit monter les enchères en matière de provocations et en bombardements dans le but de créer le prétexte à une intervention militaire de grande envergure. Il accusa la Syrie de fournir aux militants du Hezbollah dans le sud Liban, des milliers de missiles sol-air capables de frapper des villes au nord d'Israël ; il exigea que la Syrie passe la bride aux groupes islamistes intégristes. Il menaça l'Iran de bombarder ses installations nucléaires. Toutes ces provocations avaient pour but d'étendre la « guerre contre le terrorisme » américaine de façon à y inclure les ennemis d'Israël dans la région, mais Washington s'est retenu jusque-là de lui donner le feu vert pour aller plus loin.
Sharon, cependant, réussit à s'assurer en grande partie le soutien des Etats-Unis pour sa politique expansionniste. La signification de la « feuille de route » du président Bush était que, tout en appelant à des négociations sur un mini-Etat palestinien, elle rende ces négociations tributaires, dans l'intérêt sécuritaire israélien, d'un arrêt immédiat de l'Intifada palestinienne. Sharon régla rapidement la question des négociations en organisant toute une série d'attaques provocatrices.
Il réussit également à s'assurer l'accord tacite américain pour l'expansion des colonies existantes et l'annexion de Jérusalem-Est. Sharon avait promu son objectif du Grand Israël qui, tout en n'étant pas aussi grand qu'il l'aurait souhaité, disposait de frontières bien plus étendues que ne furent celles d'Israël avant 1967. Essentiellement, en ce qui concernait Sharon et ses conseillers, avec de telles frontières Israël serait militairement défendable et politiquement et culturellement plus homogène puisqu'il n'inclurait pas des régions à forte population palestinienne.
La politique expansionniste militaire de Sharon entraîna des frais exorbitants pour la classe ouvrière israélienne. Sharon nomma Stanley Fischer, ancien fonctionnaire du Fonds monétaire international, à la tête de la banque centrale israélienne, et son rival de toujours, Netanyahu, ministre des Finances. Ce triumvirat introduisit un nombre incroyable de réformes du marché, privatisations, réduction des dépenses sociales, cadeaux fiscaux pour les riches, qui jetèrent un nombre croissant de travailleurs israéliens et leurs familles dans la misère, le chômage et la pauvreté.
En échange du soutien permanent de Washington, le seul prix à payer fut pour Sharon de faire quelques concessions mineures aux Palestiniens. Et c'est ce qui explique son «désengagement » unilatéral de Gaza, malgré une opposition désespérée de la part des forces ultra-nationales et religieuses et qui fera que les médias internationaux transformeront le « boucher de Beyrouth » en « artisan de la paix. »
La grande majorité des commentateurs politiques donnèrent à comprendre que Sharon avait connu une sorte de conversion comme Paul sur le chemin de Damas, qu'il avait reconnu être dans l'erreur et qu'il était à présent prêt à conclure une sorte d'arrangement avec les Palestiniens. C'était là une déformation grossière de la réalité.
Sharon lui-même admit à ses partisans en Israël que le retrait tactique des 8.000 colons de Gaza n'avait rien à voir avec un quelconque accord de paix et était au contraire destiné à s'assurer le soutien des Etats-Unis pour une annexion permanente de la part d'Israël de terres palestiniennes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Un Israël élargi sans Gaza aurait l'avantage supplémentaire d'exclure 1,4 millions de personnes d'une population palestinienne qui dans vingt ans dépasserait celle des Juifs israéliens.
En incluant le dirigeant travailliste et prix Nobel de la paix, Shimon Peres, dans sa coalition, Sharon fut en mesure de promouvoir le mythe préconisé par le gouvernement Bush selon lequel le désengagement de Gaza était une concession israélienne majeure et représentait un pas vers un accord négocié avec les Palestiniens.
Même s'il y eut retrait de la part d'Israël de ses installations militaires et des colons de Gaza, ceci ne consacre nullement Gaza comme entité authentiquement souveraine. Tant qu'Israël ne donne pas aux Palestiniens les eaux territoriales de Gaza, l'espace aérien et l'approvisionnement en eau, et tant qu'il ne garantit pas un passage sûr entre Gaza et la Cisjordanie, conformément à la loi internationale, Israël demeure une puissance d'occupation.
Le désengagement laisse à Israël le contrôle militaire et peut être révoqué à tout moment, comme le démontrèrent les récents bombardements, les meurtres ciblés, les zones tampon et les survols d'avions supersoniques sur Gaza. En effet, le retrait des colons juifs a rendu la tâche de répression et d'intimidation des Palestiniens plus facile et moins coûteuse.
Néanmoins, le retrait de Gaza fut favorablement accueilli par la majorité de la population israélienne qui souhaitait la fin de ce conflit de longue date et qui n'appréciait pas le coût que représentaient les colonies. Nombreux furent ceux pour qui l'unilatéralisme de Sharon offrait un moyen de progresser après des années de blocage.
Mais, aux yeux de l'aile d'extrême droite et semi fasciste du Likoud et des petits partis religieux et nationalistes, ces forces mêmes que Sharon avait pris tant de peine à promouvoir, c'était là un crime impardonnable. Netanyahu se servit de ces couches dans sa lutte pour le pouvoir avec Sharon, rendant impossible à Sharon de contrôler sa coalition récalcitrante. Sharon ne put se maintenir au pouvoir que grâce au Parti travailliste qui rejoignit en décembre 2004 sa coalition instable.
Cette alliance à son tour se révéla impraticable vu que le Parti travailliste était forcé de soutenir un gouvernement qui faisait la guerre économique à sa classe ouvrière dans le but de poursuivre sa guerre militaire contre les Palestiniens. Sharon décida de se séparer du Likoud pour former son propre parti Kadima quand Amir Peretz, qui a un discours de gauche, remporta la direction du Parti travailliste et retira en novembre dernier ses ministres de la coalition.
Sharon rassembla autour de lui la plupart des personnalités clé du gouvernement dans un parti qui n'était rien de plus, en essence, qu'un Likoud bis mais qui n'était plus sous la coupe des partis des colons et des religieux. Le nouveau parti de Sharon pourrait, tel était son espoir, arriver à de nouveaux arrangements en vue d'une coalition avec le Parti travailliste sur la base d'une fausse promesse d'un accord avec les Palestiniens imposé unilatéralement. Ceci eut inévitablement pour conséquence une élection anticipée, fixée à présent au 28 mars.
Qu'est-ce qui explique l'accession au pouvoir de Sharon ?
Qu'Israël ait été gouvernée par un criminel de guerre septuagénaire, embourbé dans la corruption et à la succession incertaine, témoigne du caractère sclérotique et malade de l'Etat sioniste. Loin de léguer la paix, il laisse derrière lui un bouleversement politique qui peut conduire à une guerre civile.
Selon les commentaires des médias internationaux, Sharon est une grande personnalité charismatique, un géant politique dont la présence est cruciale pour une résolution pacifique de la longue histoire du conflit israélo-palestinien.
Si, pour les puissances impérialistes et leurs journalistes et chroniqueurs serviles et faiseurs d'opinion, la politique et les méthodes appliquées par Sharon signifient « établir la paix », alors il y a là des implications sérieuses.
Les assassinats par Israël de dirigeants politiques, ses machinations pour des changements de régime délibérés et ses confiscations de terres au nom de la sécurité ne sont pas seulement approuvés par Washington, mais sont plutôt un parallèle à la politique étrangère même des Etats-Unis au Moyen Orient et ailleurs.
Comme l'Irak l'a prouvé, une nouvelle ère de militarisme, d'aventures coloniales et d'oppression à l'étranger, d'attaques féroces contre les droits démocratiques de la classe ouvrière à l'intérieur, a commencé. C'est ce tournant vers une politique de militarisme et de colonialisme de la part des Etats-Unis et des autres puissances impérialistes- avec en même temps un tournant vers la criminalité au sein de leurs propres élites dirigeantes- qui compte pour une grande partie dans les efforts continus entrepris par les médias pour réhabiliter Sharon.
Sharon, dirigeant d'un régime fonctionnant au Moyen Orient comme un Etat-garnison et comme substitut, pion et provocateur pour le compte de Washington, est assurément un « homme de paix » au même titre que George W. Bush.
Il existe cependant un deuxième élément qui a permis aux médias du monde entier d'appliquer un vernis de respectabilité à Ariel Sharon. Pas un seul des anciens promoteurs de la « paix » et de la « solution des deux Etats », y compris les architectes des accords d'Oslo, Shimon Peres et Yossi Beilin ainsi que de « La Paix maintenant » n'ont dénoncé cette peinture de Sharon comme une imposture.
L'accession au pouvoir de Sharon et son soutien populaire, en dépit de son bilan parfaitement connu, fut facilitée par deux processus intimement liés. Tout d'abord, la faillite de ces mêmes travaillistes israéliens de gauche, qui s'enracine dans l'acceptation du cadre sioniste et capitaliste, les rendit incapables de défier la perspective sioniste encore plus agressive qui devint dominante sous la direction de Sharon. A la base, les deux tendances sionistes reconnurent que la perspective de Palestiniens devenant majoritaires dans un Etat où la citoyenneté est basée sur l'identité religieuse constituait une menace à l'existence même de l'Etat.
Ensuite, sous la tutelle politique du sionisme, l'héritage amer de centaines d'années d'oppression du peuple juif, notamment la terrible expérience de l'holocauste, fut réfracté et interprété de la manière la plus réactionnaire. Le sionisme chercha à inculquer une mentalité de siège disant, « plus jamais les Juifs ne seront des victimes. » Sharon, le « bulldozer », exploita ces sentiments pour jouer le rôle de l'homme fort dont les méthodes impitoyables étaient nécessaires pour affronter l'océan d'ennemis entourant Israël.
C'est une ironie tragique de l'histoire que des sections du peuple juif qui furent longtemps associées à des mouvements progressistes et qui furent les victimes du pire crime de l'histoire, adoptent à leur tour la perspective de leurs persécuteurs et acceptent l'assujettissement militaire, la ghettoïsation et la paupérisation du peuple palestinien. Mais, cette perspective réactionnaire n'est en aucune façon acceptée universellement : A maintes reprises la classe ouvrière israélienne chercha une issue à ce terrible conflit et une voie vers la paix avec les Palestiniens.
En dépit des problèmes que connaît l'évolution
politique de la classe ouvrière israélienne, il
existe une vaste opposition au programme de l'élite dirigeante.
Toutefois, il n'y a pas d'appareil politique et de programme permettant
à cette opposition de s'exprimer. Il est impossible de
trouver une issue à cette impasse sans rompre avec le programme
nationaliste et communautariste du sionisme. C'est la raison pour
laquelle il est absolument essentiel de renouveler la culture
socialiste et internationaliste dans laquelle les travailleurs
et les intellectuels juifs jouèrent un rôle tellement
déterminant à une époque antérieure.
C'est la seule façon de surmonter l'héritage amer
d'Ariel Sharon.