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Plus de scepticisme que d'enthousiasme

De nombreux participants boudèrent les discours officiels à l'issue de la
deuxième manifestation de Strasbourg

Par nos correspondants
Le 15 février 2006

La directive Bolkestein est passée en première lecture au Parlement européen le 14 février à Strasbourg. 50.000 syndicalistes que la Confédération européenne des syndicats (CES) avaient fait venir en cars de presque tous les pays d'Europe manifestèrent au moment du vote devant le siège du Parlement européen.

Des délégations venues de nombreux pays étaient présentes à cette manifestation: elles venaient d'Andorre, le micro-Etat des Pyrénées, de Norvège, des Pays-Bas, du Danemark, de Belgique, de France, d'Allemagne, d'Irlande, d'Italie, d'Espagne, de Suède, de Suisse, d'Autriche et même de Chypre. Les pays d'Europe de l'Est eux aussi étaient représentés et c'est ainsi que l'on pouvait voir des banderoles provenant de la République tchèque, de Hongrie et de Pologne.

En tête de la manifestation se trouvaient les dirigeants syndicaux tels Michael Sommer de la Confédération des syndicats allemands (DGB), François Chérèque (CFDT) et Bernard Thibault (CGT). L'on pouvait même voir des politiciens influents, comme par exemple Laurent Fabius très occupé à donner des interviews et qui apparemment se trouvait déjà en pleine campagne électorale.

La manifestation était placée, comme l'indiquait la banderole officielle de la CES, sous le mot d'ordre de: « Il est temps de changer la directive [Bolkestein] ». John Monks, le secrétaire général de la CES lança à l'issue de la manifestation : « Nous avons gagné cette bataille.» Il estimait que si les eurodéputés acceptaient jeudi le dernier compromis en date, ce serait « une énorme victoire pour tous les travailleurs. »

En réalité, même après avoir subi quelques légères modifications, le compromis actuel ne diffère que de façon insignifiante du projet original. La directive qui, d'une certaine manière, constitue la pièce maîtresse des réformes communautaires, a essentiellement pour cible de dérèglementer l'ensemble du secteur des services européens en accélérant partout en Europe la destruction des acquis sociaux.

Alors que les syndicalistes manifestaient devant le Parlement européen, commençait mardi après-midi la discussion de 23 amendements à la directive sur les services. Evelyne Gebhardt, députée sociale-démocrate allemande, défendit en qualité de rapporteuse du projet de directive dans la Commission du Marché intérieur (IMCO) le compromis qui a été passé, en le qualifiant de bon « fondement pour une concurrence loyale en Europe. » Selon des communiqués de presse, Gebhardt dit : « Les services doivent pouvoir circuler en Europe aussi librement que l'argent. » Les deux plus importants groupes du Parlement européen, celui du Parti populaire européen conservateur (EVP) et celui du groupe du Parti socialiste européen (PSE) avaient soumis des amendements communs concernant les points controversés, notamment la question du « principe du pays d'origine » (article 16) et qui seront soumis au vote jeudi.

Dans cet amendement commun, la notion décriée du « principe du pays d'origine » fut simplement retirée. Mais on souligna en revanche la libre circulation des services. En ce qui concerne les « exigences spécifiques dont le respect est indispensable pour assurer le maintien de l'ordre public ou de la sécurité publique, ou la protection de la santé publique ou de l'environnement » les gouvernements seront soumis uniquement aux dispositions nationales. Autrement, se sont les règles du pays d'origine du prestataire qui sont applicables. Le fait que les sociaux-démocrates et les syndicalistes qualifient ces mesures protectionnistes nationales de victoires, ne résout pour autant aucun problème. Car même dans sa version modifiée, la directive sur les services entraînera des baisses de salaire et de niveau de vie ainsi que la destruction de tous les systèmes de sécurité sociale existants.

De ce fait, une grande partie des participants à la manifestation exprima au moyen de pancartes et de banderoles son désaccord vis-à-vis des discours officiels, des orateurs syndicaux et de l'ensemble de la directive Bolkestein et de la politique communautaire du dumping social en général. C'est ainsi qu'une banderole espagnole comparait Bolkestein à « Frankenstein » et que l'on pouvait lire sur une autre pancarte fabrication maison « salaire et dumping social : c'est le retour à l'esclavage ! »

Le texte d'une autre banderole disait : « Députés européens, votre heure de vérité est arrivée. Dites NON à la totalité de la directive Bolkestein !!! Ou bien voulez-vous quand même une Europe d'horreur faite d'entrepreneurs aristocrates, de salariés précaires et de morts vivants sociaux ? Pas de mauvais compromis ­ un rejet complet de B. »

Au moment où les fonctionnaires passaient, quelqu'un s'exclama : « Voilà les orateurs du dimanche ». Celui qui avait lancé cette phrase était un manifestant d'un certain âge venu de la région de la Sarre. Il s'était directement adressé au président du DGB, Michael Sommer, en l'interpellant : « Il nous faut un automne chaud, pas un été tiède ! » [Sommer en allemand = été]

Un jeune couple, Michael et Katja, de Sarrebruck qui travaillent tous deux à plein temps, dirent aux reporters du WSWS : « En tant que jeune famille avec des enfants, nous sommes les premiers touchés par les restrictions. Il faut enfin que tout le monde s'active et il ne faut pas attendre que d'autres le fassent à votre place. » A la question, quelle est leur opinion sur le syndicat, ils éclatèrent de rire : « C'est plutôt un tremplin pour fonctionnaires. Au lieu de défendre les intérêts des travailleurs, ces gens grimpent les échelons aux dépens des adhérents pour se retrouver en fin de compte à Berlin. »

Une manifestation internationale comme celle d'aujourd'hui devait selon eux servir à un échange d'idées et à discuter d'une perspective politique au lieu de faire du bruit et d'avoir à écouter des concerts de sifflets, remarquèrent-ils en emportant des tracts WSWS qu'ils distribueront dans le car.

Walter, un ouvrier de l'industrie chimique venu d'Autriche, était plutôt pessimiste quant à une amélioration de la directive : « Le principal c'est la solidarité entre les travailleurs, peu importe de quel pays ils viennent. Nous devons lutter en commun contre l'exploitation capitaliste. Depuis des dizaines d'années je suis délégué syndical mais aujourd'hui je suis impuissant face à la situation actuelle. »

Philipp, un imprimeur de Dresde, expliqua qu'il n'attendait rien de cette manifestation. Autrefois, il était peintre. Durant son chômage, il se recycla comme imprimeur sérigraphe et il est toujours au chômage. « Ils se sont toujours servis de nous à leurs propres fins », dit-il.