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Des centaines de milliers de manifestants protestent contre le CPE

Par Antoine Lerougetel
Le 10 février 2006

Entre 200.000 et 400.000 jeunes et travailleurs participèrent mardi 7 février à 187 manifestations qui eurent lieu dans les principales villes de France pour protester contre le Contrat de première embauche (CPE). Selon les chiffres fournis par le ministère de l'Intérieur, les étudiants et les jeunes comptaient pour près de la moitié dans les manifestations ayant lieu suite aux appels lancés par les organisations syndicales de salariés, d'étudiants et de lycéens. Ils furent soutenus par le Parti socialiste, le Parti communiste et les partis d'extrême gauche.

Bien que les manifestations soient tombées en pleines vacances d'hiver pour ce qui est des académies de Paris et de Bordeaux, les manifestants furent nombreux, avec quelque 40.000 à Paris et 8.000 à Bordeaux et la mobilisation, au dire des directions syndicales, fut forte.

Au moment où avaient lieu les manifestations, les députés s'apprêtaient à débattre à l'Assemblée nationale du projet de CPE à l'intention des jeunes de moins de 26 ans permettant aux employeurs de licencier des jeunes travailleurs quand bon leur semble et sans justification pendant une période de deux ans après signature du contrat. Les employeurs seront aussi exonérés des charges sociales.

Les étudiants et les dirigeants syndicaux devraient se rencontrer mercredi dans les locaux de la CGT (étroitement liée au PCF) pour discuter d'actions à venir.

Le projet de CPE fut présenté par le premier ministre gaulliste Dominique de Villepin comme un moyen de libérer le marché de la main-d'oeuvre et d'encourager les employeurs à embaucher de jeunes travailleurs, réduisant par là le taux de chômage qui est actuellement de 23 pour cent pour cette tranche d'âge.

Lors des manifestations de mardi, les manifestants firent clairement savoir au moyen de banderoles et de pancartes ce qu'ils pensaient du CPE : « Contrat pour l'Esclavage », « Contrat Première Exclusion », « Nous refusons d'être la Génération sacrifiée », « CPE : Jeunes jetables » (montrant un jeune travailleur jeté à la poubelle) et, faisant allusion aux émeutes des jeunes d'octobre et novembre derniers, « Cocktail pour Emeutes ».

Des sondages publiés le jour de la mobilisation montrèrent que 60 pour cent de la population française étaient d'avis que le CPE réduirait la sécurité de l'emploi pour les jeunes et que 67 pour cent étaient d'avis que les manifestations des étudiants étaient justifiées. Un sondage révéla que 56 pour cent des jeunes entre 15 et 29 ans étaient contre le contrat.

Une manifestation dominée par une question unique

Les organisations syndicales d'étudiants et de salariés qui avaient organisé les manifestations s'étaient mises d'accord sur le fait que la seule revendication à poser lors de celles-ci serait le rejet du CPE. Les équipes de sympathisants du WSWS qui distribuèrent de nombreux tracts de la déclaration du comité de rédaction du World Socialist Web Site intitulée: « La lutte contre le CPF nécessite de la part des jeunes et des salariés une lutte politique indépendante », purent observer que cette restriction était suivie à la lettre. Une musique assourdissante venant des haut-parleurs montés sur les voitures officielles empêchait toute discussion sérieuse. Ceci reflète la crainte qu'engendre le fait que la moindre extension et politisation des questions auxquelles la classe ouvrière et la jeunesse est confrontée pourrait libérer le mouvement de l'emprise des partis de gauche et des bureaucraties syndicales.

A Paris, où on estima que deux tiers des manifestants étaient des étudiants et des jeunes, le Parti socialiste, le Parti communiste et les délégations syndicales se trouvaient en tête du cortège. A Amiens, où les jeunes comptant pour près d'un tiers des 3.000 manifestants avaient pris la tête du cortège, c'étaient le Parti socialiste et les syndicats qui dominaient. L'on entendit ni slogan politique ni chant, seule la question du CPE était d'actualité.

Des travailleurs plus âgés formaient le gros des principaux contingents syndicaux, non seulement parce qu'ils s'inquiétaient de l'avenir de leurs enfants ou petits-enfants mais aussi de leur propre situation : la deuxième plus grande catégorie de chômeurs en France est celle des plus de 50 ans. Ils sont touchés à la fois par les réductions draconiennes des allocations chômage et celles des retraites, imposées depuis 2002 par le gouvernement (UMP) du président Jacques Chirac. Le gouvernement leur offre des « CDD seniors » - des contrats de courte durée pour les chômeurs de plus de 57 ans et des emplois à bas salaire cumulés à la retraite pour les retraités.

Ces projets de plans ne furent toutefois pas à l'ordre du jour des manifestations. Ni d'ailleurs le Contrat nouvelle embauche (CNE) qui fut adopté en août dernier sans la moindre protestation de la part des syndicats ou des partis de gauche. Le CNE, réservé aux entreprises employant jusqu'à 20 personnes (4 millions de travailleurs, soit 29 pour cent de la population active) est une copie du CPE. Laurence Parisot, présidente du Mouvement des entreprises de France (Medef) a critiqué ses amis au gouvernement pour n'avoir pas instauré un contrat unique en appliquant les dispositions du CPE à tous les travailleurs. Elle déclara mardi à la presse : « Nous avons un certain nombre de réserves Il n'est jamais bon de traiter les jeunes comme une catégorie à part. »

Le CPE fut instauré dans le cadre de la Loi sur l'égalité des chances. Celle-ci comprend en fait une réduction de la scolarité obligatoire de 16 à 14 ans et une formation en apprentissage dès 14 ans. Il y a également le contrat de responsabilité parentale qui permet de supprimer les allocations familiales en cas d'absentéisme scolaire des enfants.

La présence des dirigeants du Parti socialiste

Un trait marquant de la manifestation de Paris fut la présence de dirigeants du Parti socialiste, tel le secrétaire national François Hollande ; Laurent Fabius, ancien premier ministre et ministre du gouvernement de la Gauche plurielle de Lionel Jospin (1997-2002) et Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre des Finances. Etaient également présents Jack Lang, ancien ministre de l'Education nationale et de la Culture manifestant au côté de Marie-George Buffet du Parti communiste, ministre de la Jeunesse et des Sports du gouvernement Jospin et Olivier Besancenot, porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) et candidat à l'élection présidentielle de 2007.

Les dirigeants du Parti socialiste n'avaient pas été les bienvenus aux manifestations contre le gouvernement Chirac depuis leur défaite aux élections présidentielles en 2002. Le candidat socialiste, Lionel Jospin ne remporta que 16,8 pour cent des votes populaires et fut relégué au troisième rang par le fasciste Jean-Marie Le Pen. Pas plus tard que le 4 octobre dernier, lorsque plus d'un million de manifestants se mobilisèrent à l'échelle nationale contre la politique du gouvernement, les dirigeants socialistes jugèrent qu'il n'était pas opportun de manifester au côté des travailleurs dans les rues de Paris.

La principale force permettant aux anciens ministres et dirigeants du gouvernement de la Gauche plurielle de braver la rue a été la LCR, aidée et soutenue par Lutte Ouvrière (LO). Afin de peaufiner sa posture de gauche, la LCR refusa de se rendre mercredi dernier à la réunion unitaire des anciens partenaires de la Gauche plurielle, le PS, le PC et les Verts et concernant l'élection présidentielle de 2007. Toujours-est-il que la LCR a contribué à leur donner suffisamment de crédibilité pour qu'ils apparaissent à nouveau aux manifestations. Appelant à « l'unité de la gauche » contre la politique gouvernementale, la LCR a signé, avec eux, une série d'appels communs concernant des questions spécifiques. La campagne anti-CPE n'étant que la dernière en date. Ce n'est que sous la protection du Parti communiste et de la bureaucratie syndicale et avec le soutien de la LCR que Hollande et ses semblables, tels Fabius et Strauss-Kahn, sont en mesure de rejoindre les travailleurs dans la rue.

L'intransigeance de Villepin

Le premier ministre de Villepin a révélé au monde le vrai visage de l'élite dirigeante française. Après avoir imposé l'été dernier le CNE par décret, il menace de supprimer le débat parlementaire en utilisant l'article 49-3 de la constitution qui permet au gouvernement d'empêcher tout débat à l'Assemblée nationale. Il justifie son intransigeance en faisant remarquer que les concurrents européens de la France notamment l'Autriche, l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Espagne appliquent déjà ce genre de contrat de travail.

Le recours à ces formes autoritaires de gouvernement tout comme à des mesures d'Etat policier ­ comme l'état d'urgence déclaré par décret en conseil des ministres le 8 novembre, au moment de la révolte des banlieues, et la loi antiterroriste adoptée le 23 décembre au parlement, sans opposition du Parti socialiste qui s'abstint - est une indication que l'élite politique est en train de préparer le terrain pour que les travailleurs acceptent la destruction de leur niveau de vie et de leurs droits. Leur objectif est de démonter l'Etat providence pour sauvegarder l'avantage compétitif du capitalisme français et européen sur le marché mondial.

Les jeunes se demandent « pourquoi sommes-nous toujours visés ? »

Des étudiants présents dans les manifestations de Paris et d'Amiens parlèrent au World Socialist Web Site qu'un nombre d'entre eux connaissaient déjà. Ils étaient tous d'accord pour dire que des actions limitées au seul CPE et n'engageant qu'une partie de la classe ouvrière étaient insuffisantes mais qu'il était toutefois important d'exprimer sa colère en protestant.

Romain, un étudiant d'Amiens, fut sceptique quant aux effets que le CPE aurait sur le chômage. « Le CPE encouragera tout juste le libre marché dans l'intérêt des actionnaires », dit-il. « La baisse du chômage de 10 pour cent à 9,5 pour cent annoncée dernièrement par Villepin n'était pas due à la création d'emplois mais uniquement au départ à la retraite des travailleurs. »

Florie, étudiante en économie et en sociologie de Paris, remarqua que lutter contre la seule question du CPE n'était pas suffisant : « Non ! Eh bien non ! » s'exclama-t-elle. Elle voulait que la pression de la rue force le gouvernement à démissionner. A la question si un autre gouvernement de la Gauche plurielle répondrait aux besoins et aux aspirations de la jeunesse, elle dit, « Mieux, ça sera mieux, je pense ». Elle était d'accord pour la suppression des barrières nationales, ethniques et religieuses et pour unifier les travailleurs et les jeunes contre le système de profit et pour une égalité sociale. « C'est bien, c'est ce qu'il faut faire, plus de justice. »

Mathieu de l'université Jussieu Paris, n'a aucune confiance dans la Gauche plurielle en tant qu'alternative : « Non, ils n'on pas fait grand-chose, eux, quand ils ont été là. » Mais il n'avait pas de réponse comment concrétiser les aspirations des jeunes. »

Mathieu et Caroline, étudiants en littérature à l'université d'Amiens, précisèrent que les étudiants étaient mécontents, que les réunions de masse étaient bien fréquentées, que des affiches étaient collées partout et que les étudiants et les professeurs ayant cours l'après-midi étaient tous en grève. « De Villepin va de toute façon faire passer la loi par la force, il l'a dit. Mais j'espère que notre mobilisation va avoir un résultat quand même. »

Tous deux étaient d'avis que « la gauche ou la droite, c'est la même chose. Le problème c'est que tout est affaire de pognon. Il faut faire des économies partout, alors on supprime des postes. Pour l'emploi, le problème, c'est les charges. Mon père est patron, il n'embauche pas à cause de cela. »

Jérémie était accompagné par son amie Mélina, tous deux font des études de droit à l'université d'Amiens et pensent que le CPE est synonyme de détérioration. « Une première marche vers la suppression des droits du travail. On précarise encore la jeunesse alors que le taux de chômage est déjà bien plus élevé que la moyenne nationale. C'est une mesure qui favorise le patronat alors qu'on dit qu'elle favorise les jeunes. »

Il poursuivit en disant : « nous avons vu les émeutes en octobre et en novembre ­ deux mois après ils nous imposent le CPE, c'est une provocation ! ». Au sujet de la loi sur l'égalité des chances, il remarqua : « C'est un joli mot mais les mesures qui favorisent les classes supérieures et le patronat. On a tous moins de 26 ans mais on est aussi des adultes, et on a des projets, alors pourquoi avoir une situation différente des autres ? »