Le gouvernement de coalition allemand se prépare actuellement
à rehausser massivement son engagement militaire dans la guerre en Afghanistan.
Jusque-là, le gouvernement avait toujours affirmé que le seul rôle de l’armée
allemande dans ce pays était d’oeuvrer à la reconstruction en Afghanistan et à
assurer la sécurité du régime fantoche d’Hamid Karzaï. A cette fin, il avait
restreint les opérations de ses forces armées à la capitale du pays et aux
régions plus calmes dans le nord. La décision prise récemment d’envoyer six
avions de combat Tornado en Afghanistan projettera les forces allemandes dans
le feu des violents combats qui sévissent dans le sud.
La demande de l’OTAN est arrivée à Berlin le 11 décembre, mais
n’a été rendue publique que dix jours plus tard. Aucune décision officielle n’a
d’ailleurs encore été prise. Le quotidien Süddeutsche Zeitung croit
cependant que la « chancelière, [Angela] Merkel, le
ministre des Affaires étrangères, [Frank-Walter] Steinmeier et le ministre de la Défense, [Franz
Josef) Jung ont d’ores et déjà décidé qu’ils ne pouvaient rejeter la demande de
l’OTAN. » Des demandes officielles de ce genre, affirme le journal, ne
« sont faites que si une réponse positive a déjà été donnée auparavant à
un niveau opérationnel. »
La demande concerne le déploiement d’avions appelés Tornado
Recce qui font des missions de reconnaissance et qui sont capables d’identifier
en vol de petits objets. L’entretien de ces appareils hautement sophistiqués et
chers nécessite l’intervention de quelque 250 soldats qui seront probablement
stationnés dans le sud du pays.
Même si les avions Tornado allemands n’étaient utilisés que
pour des missions de reconnaissance et non pour lâcher des bombes, leur
utilisation représenterait néanmoins une mission de combat. Ils identifieraient
des cibles pour le compte d’unités américaines et britanniques de l’OTAN qui
poursuivent une guerre sanglante contre les rebelles dans le sud de
l’Afghanistan, dans ce qui est une guerre qui a déjà coûté la vie à un grand
nombre de civils innocents. Le Süddeutsche Zeitung a fait le commentaire
suivant : « Quiconque se consacre à des missions de reconnaissance contribue
à des bombardements réussis avec toutes les conséquences que cela entraîne,
jusqu’aux sinistres dégâts collatéraux, que l’on a connus lors de la guerre au
Kosovo. » Spiegel Online a remarqué, « Les Allemands se
laissent entraîner de plus en plus profondément dans le conflit afghan et il
n’y a pas de fin en vue. »
Les débats actuels tournent autour de la question de savoir si
un tel déploiement nécessite un nouveau mandat parlementaire ou s’il est
couvert par le présent mandat. Même s’il y a un débat ou un vote au Bundestag
(parlement allemand), le gouvernement est sûr d’obtenir une majorité pour un
tel mandat avec le soutien de tous les partis de la « grande
coalition », le CDU (Union chrétienne démocrate d’Allemagne), le CSU
(Union chrétienne-sociale de Bavière) et le SPD (Parti social-démocrate
d’Allemagne).
Gernot Erler (SPD), ministre d’Etat du ministère des Affaires
étrangères, a déclaré au micro de Deutschlandfunk qu’à son avis il existait
« une disposition fondamentale pour effectuer une telle mission de
reconnaissance. » L’expert CDU en matière de défense, Bernd Siebert, a
également signalé l’approbation de son parti.
Les députés d’opposition au Bundestag, ne feront rien pour
contrecarrer un tel déploiement ou ne le feront que du bout des lèvres. Le
Parti libéral-démocrate (FDP) a promis de considérer cette requête avec
attention et de façon impartiale. Le Parti des Verts a certes protesté contre
le fait que le Bundestag ait été contourné dans cette affaire mais n’a pas pris
position sur cette question particulière. Seul le Parti de la Gauche.PDS
(Linkspartei.PDS) a déclaré qu’il est disposé à voter contre une telle extension
du mandat en Afghanistan.
Fin novembre, lors du sommet de l’OTAN à Riga, la chancelière
allemande Merkel (aux côtés d ses homologues d’Italie, d’Espagne et de France)
avait résisté à la pression exercée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne de
renforcer le contingent allemand en Afghanistan et de participer aux conflits
dans le sud du pays. Les Européens avaient reproché au gouvernement américain
d’être lui-même responsable de l’augmentation de la violence parce qu’il avait
entièrement concentré ses efforts sur des actions militaires aux dépens de
mesures politiques. Cette approche avait été ressassée indéfiniment dans les
médias européens. A présent le gouvernement est déterminé à emprunter la voie
de l’escalade militaire.
Que se cache-t-il derrière ce changement de voie ? La
raison principale réside dans la débâcle américaine en Irak.
Pendant un temps les élites européennes espéraient un
changement de voie politique des Etats-Unis conformément aux positions définies
par le rapport du Groupe d’étude sur l’Irak. Bien avant la publication du
rapport, différents gouvernements européens et des fonctionnaires avaient
établis d’étroites relations avec ses auteurs, le républicain James Baker et le
démocrate Lee Hamilton. Ils avaient salué leur rapport qui recommandait un
retour à des méthodes diplomatiques plus traditionnelles dans le but de trouver
une quelconque solution à la désastreuse situation actuelle en Irak. Parmi les
propositions avancées dans le rapport l’on trouve celle appelant à une
coopération plus étroite avec les gouvernements européens et une intégration
dans le processus diplomatique des puissances régionales, l’Iran et la Syrie.
Il est maintenant clair que le gouvernement Bush a écarté le
rapport et ses recommandations et est déterminé à poursuivre l’escalade
militaire en acceptant, de l’avis de bien des politiciens européens, toutes ses
conséquences catastrophiques ; le risque existe que la région tout entière
et pas seulement l’Irak, plonge dans la guerre civile et le chaos. Ceci causerait
du tort non seulement aux intérêts pétroliers et économiques des Etats-Unis
dans la région, mais également de l’Europe. C’est ce qui se cache derrière les
efforts européens, mais avant tout allemands, à prendre l’initiative.
Le gouvernement allemand a entrepris une intense activité
diplomatique pour préparer la présidence de l’Union européenne qu’il assurera à
partir du 1er janvier 2007 et le ministre allemand des Affaires
étrangères, Steinmeier, n’a cessé d’enchaîner les déplacements. Il a rendu
visite dernièrement au président syrien, Bashar Assad, et au président russe,
Vladimir Poutine, dans le but de reprendre le soi-disant quartette du
Proche-Orient qui comprend les Etats-Unis, l’Union européenne, la Russie et les
Nations unies. L’objectif étant d’exercer une pression sur Washington en vue de
trouver une solution internationale au conflit palestinien.
L’intensification du rôle de l’armée allemande en Afghanistan
est inséparablement liée à ces initiatives politiques. Finalement, l’Allemagne
et l’Europe ne peuvent concrétiser leurs propres intérêts au Proche-Orient que
par leur propre intervention militaire massive.
Le rôle joué par le contingent allemand renforcé en
Afghanistan a un double but : accroître l’influence de l’Allemagne dans la
région et exercer davantage de pression sur Washington. Berlin, selon ce
calcul, satisfait la demande de Washington de soulager l’armée américaine en
Afghanistan et, en retour, escompte obtenir le droit de jouer un rôle plus
important dans d’autres questions concernant le Moyen-Orient.
Inexorablement, l’Allemagne et l’Europe sont de plus en plus
entraînées dans la guerre sanglante au Moyen-Orient, et ce, en dépit des
millions d’Européens qui étaient descendus dans la rue pour s’opposer à la
guerre en Irak.
A présent, la population toute entière doit en payer le prix,
sous forme de dépenses militaires accrues et en coût en vies perdues de jeunes
soldats. La majorité de la population rejette de telles missions militaires,
mais, pour le gouvernement allemand, cela ne compte pas. S’il en va de la
poursuite de ses intérêts impérialistes, le gouvernement de « grande
coalition » est prêt à passer outre les principes démocratiques. Le fait
que les députés du Bundestag n’aient eu connaissance des projets d’un nouveau
déploiement militaire que par la presse est symptomatique du lien qui existe
entre militarisme et formes de régime autoritaire.