L’administration Bush soutient ouvertement l’invasion par l’Ethiopie
de son voisin la Somalie.
L’Ethiopie mène une guerre en tant que mandataire des Etats-Unis.
En une semaine, elle a défait les forces loyales à l’Union des tribunaux
islamiques et a avancé à moins de 100 kilomètres de la capitale Mogadiscio. [NDT :
Les troupes éthiopiennes ont annoncé jeudi qu’elles entraient dans la capitale.]
Les jets éthiopiens ont attaqué l’aéroport international de
Mogadiscio et la base de l’armée de l’air à Balidogle dans le sud de la
Somalie. La Croix rouge a rapporté des centaines de victimes.
Le premier ministre éthiopien Meles Zenawi a déclaré que
plus de 1000 personnes étaient décédées et 3000 blessées dans des combats aux
abords de la ville de Baidoa.
Le 26 décembre, la porte-parole du département d’Etat américain
Jannelle Hironimus a décrit l’attaque illégale de l’Ethiopie comme une réponse
à une « agression » des islamistes et comme une tentative de stopper
le flot des armes qui leur sont livrées. Washington était aussi préoccupé de
rapports faisant étant que les islamistes utilisaient des enfants soldats et qu’ils
maltraitaient les prisonniers de guerre éthiopiens, a-t-elle ajouté.
L’Ethiopie ne pourrait pas avoir entrepris une attaque d’une
telle envergure sans avoir auparavant obtenu le feu vert de l’administration Bush.
Les Etats-Unis ont une base militaire à Djibouti et peuvent monitorer les
mouvements de troupes dans la région par satellite. Ils ne peuvent pas avoir ignoré
le regroupement des forces militaires éthiopiennes. L’ancien haut responsable
du département d’Etat américain John Pendergast a admis que « Nous donnons
maintenant un feu jaune-vert à la politique éthiopienne de l’endiguement. »
Non seulement l’invasion éthiopienne est-elle un acte d’agression,
mais elle est aussi extrêmement téméraire. Un conflit en Somalie peut impliquer
toute la région et s’étendre même au-delà de la Corne de l’Afrique.
L’Union des tribunaux islamiques (UTI) a pris le contrôle de
la Somalie plus tôt cette année après qu’ils eurent défait les seigneurs de
guerre des clans qui étaient soutenus par les Etats-Unis. Jusqu’à l’offensive
éthiopienne actuellement en cours, la plus grande partie du pays était dans les
mains de l’UTI à l’exception de Baidoa, la base du gouvernement fédéral de transition
(GFT). Le GFT a été mis en place par les Nations unies en 2004 et a bénéficié d’un
appui massif des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, mais n’a qu’un appui
limité en Somalie même où il n’a jamais réussi à étendre son autorité au-delà
de Baidoa. Il comptait sur le soutien de l’armée éthiopienne.
La lutte entre les forces de l’UTI et les troupes
éthiopiennes ont éclaté le 19 décembre dans les environs de Baidoa. Le jour
suivant, la BBC a rapporté que les chars d’assaut éthiopiens étaient en
territoire somalien. Le 25 décembre, les frappes aériennes éthiopiennes ont
commencé et il était rapporté que les forces de l’UTI battaient en retraite.
La guerre sous mandat de Washington contre l’UTI est lié
avec la débâcle américaine en Irak et les pertes des républicains lors des
élections américaines de novembre en conséquence d’un important sentiment
anti-guerre. Rejetant tout appel pour un changement de politique en Irak même,
l’administration Bush a répondu avec des préparatifs pour augmenter son
offensive militaire dans ce pays. Au même temps, elle a augmenté ses menaces
contre l’Iran.
Aujourd’hui, elle encourage l’Ethiopie à lancer une invasion
contre ce qu’elle considère comme une force islamiste hostile dans la Corne de
l’Afrique, stratégiquement vitale.
Les Etats-Unis se sont constamment opposés aux appels des
européens pour établir une relation fonctionnelle avec l’UTI, la dénonçant comme
un front terroriste. Une des principales personnalités de l’UTI, Shiek Hassan
Dahir Aweys, est sur la liste américaine des terroristes recherchés. L’adjoint
au secrétaire d’Etat pour l’Afrique, Jendayi Frazer, déclare que l’UTI est contrôlé
par une cellule est-africaine d’al-Qaïda avec des liens avec les bombardements
des ambassades américaines en Afrique.
Washington a été clair qu’il ne serait satisfait qu’avec l’installation
d’un régime client en Somalie.
Les Etats-Unis et les autres puissances impérialistes telles
la France et l’Italie sont politiquement responsables pour le développement de
l’UTI et de son idéologie de l’islam fondamentaliste dans ce pays appauvri. Le
colonialisme a tout d’abord créé un ensemble morcelé de petits pays dans la
Corne de l’Afrique comme ailleurs sur le continent, qu’il a pu ensuite contrôler
et exploiter. Il a ensuite préparé la voie à une série de conflits de
destruction réciproque dans la période après l’indépendance, lorsque la région
est devenue le lieu de luttes de la Guerre froide entre les Etats-Unis et l’Union
soviétique pour l’influence régionale.
Washington et Moscou ont fait pleuvoir les armes dans la
Corne de l’Afrique alors qu’ils luttaient pour le contrôle de cette région
stratégique, qui surplombe les voies maritimes utilisées pour le transport du
pétrole moyen-oriental.
La Somalie a été un allié des Soviétiques jusqu’à ce que le Derg,
une junte militaire dirigée par Mengistu Hailé Mariam a renversé l’empereur
éthiopien Hailie Selassie en 1974 et que l’Union soviétique s’est tourné vers
le nouveau régime éthiopien. Le gouvernement américain a saisi l’occasion qui
lui était offerte de former une alliance avec la Somalie, offrant au régime des
millions de dollars d’armes sophistiquées.
Les Etats-Unis ont appuyé le dictateur Siad Barré malgré ses
prétentions de construire le « socialisme scientifique ». A la fin
des années 1970 et dans les années 1980, la Somalie est devenue la plus
importante bénéficiaire de l’aide américaine en Afrique. La majeure partie de
cette aide est allée à des projets militaires.
Sous le parrainage américain, Siad Barré a créé les
conditions pour la famine et la militarisation de la société qui ont mené à l’anarchie
et à la guerre civile des quinze dernières années. Il a fomenté les rivalités
entre les clans qui ont subséquemment déchiré le pays.
L’UTI a pu prendre le pouvoir cette année avec sa politique antidémocratique
d’imposition de la charia, la loi islamique, parce que la population
somalienne, en particulier le monde des affaires, était fatiguée des luttes
sanglantes entre les seigneurs de la guerre.
Lorsque Siad Barré a été renversé en 1991, une unité des
Marines américains a été amenée du golfe Persique pour évacuer l’ambassade américaine.
Un an plus tard, les Etats-Unis retournaient en Somalie en force prétextant une
opération humanitaire. La réalité était que les 30 000 soldats, les
hélicoptères de combat et les navires de guerre déployés par George Bush père
dans l’opération Restore Hope y ont été envoyés pour reprendre le contrôle
de la Somalie et pour consolider les gains que les Etats-Unis ont faits au Moyen-Orient
dans la guerre du Golfe de 1991.
L’intervention américaine en Somalie a continué sous
Clinton, mais les Etats-Unis ont été forcé de se retirer ignominieusement en
1993 après que deux hélicoptères Black Hawk ont été abattus et 19 soldats tués
dans la capitale Mogadiscio. Depuis lors, l’importance de la Somalie a plutôt augmenté
que diminuer, après qu’il a été connu que la Corne de l’Afrique recelait d’importantes
ressources minérales, y compris le pétrole.
Les préparatifs de la guerre actuelle ont commencé cet été
lorsque l’UTI a pris contrôle de Mogadiscio. Alors que l’UTI élargissait
rapidement son emprise sur le reste du pays, les Etats-Unis commençaient leurs
opérations secrètes pour reprendre la Somalie en faisant affaire avec des sociétés
militaires privées. Des courriels qui sont parvenus à l’Observer et l’Africa
Confidential en juin de cette année révélaient que Select Armor, ATS
Worldwide et Special Associated Services — des sociétés privées de mercenaires
— avaient rencontré la CIA pour discuter d’opérations en Somalie. Ils ont aidé
les forces éthiopiennes à défendre le GFT à Baidoa.
Un courriel affirmait que les agences de
Nations unies étaient « de leur côté ». On aurait dit à des membres
du personnel de l’ONU à Nairobi que l’opération mercenaire avait l’appui total
des Etats-Unis. L’ONU ne s’est certainement pas opposée à la présence de l’Ethiopie
ou des mercenaires en Somalie, malgré le fait que cette intervention violait
l’embargo de l’ONU sur les armes. Son silence est la preuve de sa complicité
dans la guerre qui se développe présentement.
La dernière phase de l’opération a été
probablement discutée plus tôt ce mois-ci, durant la visite du général John P.
Abizaid, commandant du Commandement central des forces américaines (Centcom),
en Ethiopie. Selon le New York Times, Zenawi a assuré Abizaid que l’Ethiopie
pouvait paralyser les forces islamiques « en une ou deux semaines ».
Abizaid était bien conscient qu’une
invasion éthiopienne « entraînerait une crise humanitaire à travers la
Corne de l’Afrique » selon des représentants du Centcom. Le secrétaire d’Etat
adjoint américain pour l’Afrique, Frazer, a aussi admis que « Si cela se
rend jusqu’à l’affrontement militaire, ce sera un massacre. »
UNICEF évalue que 8 millions de personnes,
dont 1,6 million d’enfants, sont au bord de la famine dans la Corne de
l’Afrique. La région a été frappée par d’importantes sécheresses et
inondations. Les organismes d’aide peinent déjà à s’occuper d’un demi-million
de personnes déplacées. Les récoltes et le bétail ont été perdus. Le niveau de
malnutrition au sud de la Somalie serait très élevé : un cinquième des
enfants serait sous-alimenté. Une petite fraction seulement de ces enfants
recevrait de l’aide alimentaire. Et la guerre ne peut qu’empirer grandement la
situation.
Une
nouvelle « ruée vers l’Afrique »
La domination américaine de la Corne de
l’Afrique et du reste du continent est menacée par des puissances rivales, et
particulièrement à la suite du fiasco en Irak. Comme l’a dit récemment à la BBC
Chester A. Crocker, qui était secrétaire d’Etat adjoint pour l’Afrique sous le
président Reagan, « L’Afrique est de nouveau en jeu. »
Crocker a fait remarquer :
« C’est un environnement plus compétitif qui donne une plus grande
influence aux chefs africains ainsi qu’aux compétiteurs potentiels de
l’influence diplomatique américaine. Ce n’est pas que la Chine : il y a le
Brésil, les Européens, la Malaisie, la Corée, la Russie, l’Inde. »
« Les Etats-Unis ont encore beaucoup
d’influence », a affirmé S. O. Mageto, un ancien ambassadeur kenyan à
Washington, « Mais pas autant qu’avant. »
Et nulle part cela est-il plus évident
qu’au Soudan qui, malgré les sanctions, possède l’une des plus rapides
croissances économiques au monde et certainement la plus rapide en Afrique,
grâce principalement à l’investissement chinois dans son industrie pétrolière.
« Nous avons appris que n’avions plus besoin des Américains », a
déclaré Lam Akol, le ministre des Affaires étrangères du Soudan. « Nous avons
trouvé d’autres avenues. »
La réaction des Etats-Unis est encore une
fois de défendre ses intérêts par la force des armes. La Grande-Bretagne et les
Etats-Unis ont ainsi menacé d’imposer une zone d’exclusion aérienne à l’ouest
du Soudan et envisagent la possibilité de mener des frappes aériennes.
Les dirigeants africains jouent le rôle de marionnette pour
l’impérialisme américain. Zenawi d’Ethiopie agit déjà en tant que mandataire
des Etats-Unis et il est rapporté que le président ougandais, Yoweri Museveni, ne
peut attendre d’envoyer des troupes en Somalie
La secrétaire d’Etat des Etats-Unis Condolezza Rice a
rencontré le ministre des Affaires étrangères ougandais Sam Kutesa à Washington
la semaine dernière et dit que l’Ouganda a un rôle clé à jouer dans la région.
Museveni, qui a déjà envahi le Congo, a de grandes ambitions régionales et la
province du sud du Soudan riche en pétrole juste au nord est une cible
tentante.
Les combats qui ont pris place en Somalie durant les dernières
semaines ne sont que la phase d’ouverture d’une guerre beaucoup plus longue impliquant
beaucoup plus de pays. Selon un rapport récent du Groupe de contrôle de l’embargo
de l’ONU pour la Somalie, l’UTI est approvisionné en armes et entraînement
militaire par l'Erythrée, Djibouti, l’Egypte, la Libye, l’Arabie saoudite et la
Syrie, aussi bien que le Hezbollah et le Liban.
Il est dit que le UTI possède des missiles sol-air et des
armes antitanks de seconde génération. L'Erythrée, a fait au moins 17
livraisons d’armes
Les alliés de l’UTI ne peuvent se permettre de ne pas répondre
à l’avancée de l’Ethiopie. Le rapport du groupe de supervision de l’ONU avertit
que la Somalie pourrait sombrer « dans une situation semblable à celle qui
règne en Irak, avec beaucoup d’attentats suicides et d’attaques le long des
routes, d’assassinats et autres formes d’activités terroristes
insurrectionnelles ».
L'Erythrée ne peut pas se permettre de laisser la Somalie
tomber sous la domination de l’Ethiopie, contre laquelle il a mené une lutte
acerbe durant laquelle des centaines de milliers de personnes sont mortes entre
1998 et 2000. Même les pays du Moyen-Orient pourraient être entraînés dans le
conflit.
L’Union arabe a condamné l’action de l’Ethiopie. L’Union africaine
a apparemment appuyé l’Ethiopie, mais les Etats africains sont divisés.
L’Ethiopie, l’Ouganda et le Yémen appuient le GFT. La Libye et le Soudan
pourraient bien se ranger derrière l’UTI.
Bien que les Etats-Unis aient tenté
supplanter ses rivaux en orchestrant l’invasion de la Somalie par l’Ethiopie,
il se pourrait qu’ils n’aient réussi qu’à faire en sorte que la Corne d’Afrique
ne devienne le point focal des rivalités inter impérialistes explosives. L’envoyé
de l’Union européenne, Louis Michel était en train de négocier un partage du
pouvoir entre les deux partis lorsque l’Ethiopie a lancé son offensive. Ses
efforts diplomatiques sont maintenant tombés en ruine.
La France, la Chine et la Russie ont récemment bloqué une
tentative américano-britannique au Conseil de sécurité qui donnait aux pays
voisins tels que l’Ethiopie, l’Ouganda et le Kenya la possibilité d’agir comme
force de maintien de la paix en Somalie sous mandat de l’ONU.
Salim Lone, le porte-parole de la mission de l’ONU pour l’Irak
en 2003, a décrit l’action de l’Ethiopie dans un commentaire publié dans
l’édition du 26 décembre du International Herald Tribune de « guerre
mandaté avec insouciance par les Etats-Unis ». Il écrit que « malgré
les horreurs et défaites de la guerre en Irak et Afghanistan et au Liban, l’administration
Bush a ouvert un autre front militaire dans le monde musulman…
« La guerre entre l’Ethiopie et la Somalie, instiguée
par les Etats-Unis, deux des pays les plus pauvres de la planète luttant déjà
contre des désastres humanitaires massifs, est insouciante à l’extrême. Comme
lors des préparations contre l’Irak, les experts indépendants, incluant ceux de
l’Union européenne, étaient tous d’accord pour dire que cette guerre pourrait
déstabiliser la région entière même si les Etats-Unis réussissaient à renverser
l’Union des tribunaux islamiques. »
(Article original anglais publié le 28 décembre 2006)