Les remarques prononcées par le président
Bush à sa conférence de fin d’année mercredi, ainsi qu’une série de développements
militaires et politiques, vont inexorablement dans le sens d’une escalade
majeure de la guerre américaine en Irak dans la prochaine année.
Bush n’a pas révélé beaucoup qui n’était
pas déjà connu lors de sa rencontre avec les journalistes, rejetant comme étant
« hypothétiques » toutes les questions sur le supposé virage de son
administration vers une nouvelle offensive militaire en Irak basée sur un
renfort de 40 000 soldats de combat américains dans ce pays.
Le président a affirmé qu’il était toujours
en train d’évaluer les diverses recommandations de sources militaires,
diplomatiques et irakiennes, tout comme celles du rapport déposé avec fanfare,
mais déjà marginalisé du Groupe d’étude sur l’Irak, avant de présenter sa
nouvelle politique dans un discours que l’on attend pour le début de janvier.
Son nouveau secrétaire de la Défense,
Robert Gates, a passé son troisième jour de travail mercredi à Bagdad où il a
rencontré des généraux américains. Après, il a dit aux journalistes :
« Nous avons discuté de ce qui était évident. Nous avons discuté de la
possibilité d’une augmentation du nombre des soldats et de ce que cela pourrait
accomplir. »
Bush a clairement dit que son
administration n’a pas l’intention de se plier à la volonté du peuple américain,
telle qu’exprimée dans les bureaux de scrutin il y a six semaines, répudiant de
façon massive la guerre en Irak et administrant une bonne raclée au Parti
républicain.
« Je ne vais pas spéculer à voix haute
sur ce que je vais dire à la nation lorsque je serai prêt à le faire sur la
façon d’aller de l’avant, a dit Bush. Je vais vous dire que nous considérons
toutes les options. Naturellement, parmi celles-ci, il y a l’option d’augmenter
le nombre des soldats. Mais pour cela, il faut une mission précise qui pourra
être accomplie s’il y avait plus de soldats. »
Des sondages récents ont montré une
opposition écrasante à l’augmentation de la présence militaire américaine en
Irak. Selon un sondage réalisé à la demande de CNN dont les résultats ont été
publiés cette semaine, l’option d’envoyer plus de soldats est appuyée par à
peine 11 pour cent de la population. 64 pour cent s’opposent à la guerre et 54
pour cent appellent pour le retrait de toutes les forces américaines du pays
soit immédiatement soit au cours de l’année qui vient.
On a demandé à Bush s’il était, étant donné
les sondages, s’il désirait toujours « suivre une voie qui semble être en
opposition à la volonté du peuple américain. »
Le président a répondu par l’affirmative.
« Je veux suivre une voie qui mène à la victoire, a-t-il dit, et c’est
exactement pourquoi nous faisons notre révision. » Il a rejeté une
politique de « retraite », déclarant que cela « encouragerait
les radicaux » et « nuirait à la crédibilité des Etats-Unis ».
Un des échanges les plus révélateurs de la
conférence de presse fut la réponse de Bush à la question « Si vous
concluiez qu’une augmentation du nombre des soldats en Irak était nécessaire,
iriez-vous contre l’avis vos commandants militaires s’ils ne croyaient pas que
ce soit une bonne idée ? »
Il a répondu en décrivant la demande du
journaliste comme « une question hypothétique dangereuse ». Le
danger, en ce qui le concerne, était de nature politique. Depuis que la guerre
a débuté, Bush a répété qu’il basait ces décisions sur le nombre de soldats
requis sur les avis de ses généraux en Irak, plutôt que sur ceux des
« politiciens de Washington ».
Il s’est enveloppé dans le drapeau du
« commandant en chef » dans le but de tordre le sens constitutionnel
du terme, qui insiste sur le contrôle des institutions civiles sur l’armée, et
de décrire toute critique de sa politique comme équivalente à une trahison.
Aujourd’hui, il est de notoriété publique
que la proposition d’ajouter des dizaines de milliers de soldats aux troupes
combattantes dans la région de Bagdad et de la province d’Anbar est opposée par
une importante couche des officiers de l’armée. Des généraux seniors, y compris
les chefs d'état-major interarmées, ont laissé savoir
qu’ils voyaient un déploiement plus important comme une mesure téméraire et
désespérée qui entraînera en toute probabilité un accroissement de la
résistance irakienne et qui exposera plus de soldats américains à des attaques
mortelles.
NBC News a cité
mercredi soir un commandant senior anonyme qui a comparé le déploiement de
soldats supplémentaires à « du kérosène que l’on jette sur le feu ».
Les commandants ont aussi exprimé leur crainte
que la méthode proposée pour arriver à augmenter le nombre des soldats — le
redéploiement hâtif de certaines unités de combat en Irak et le retardement du
départ prévu pour d’autres — affaiblisse encore plus l’armée à long terme, tout
en portant un autre coup au moral des troupes déjà chancelant.
Mardi, le secrétaire de presse de la
Maison-Blanche Tony Snow a été obligé de nier l’existence d’une « chicane
entre le président et les chefs d'état-major interarmées ».
L’hostilité au sein des hauts rangs de l’armée
envers l’augmentation du nombre des soldats en Irak est à peine cachée. Le
général James Conway, le commandant du corps des Marines, a dit samedi :
« Nous ne croyons pas qu’ajouter des soldats dans le seul but d’en augmenter
le nombre — un simple épaississement du mélange — soit nécessairement la
meilleure façon d’aller de l’avant. »
D’autres dont les vues reflètent ceux des
principaux dirigeants militaires ont été plus directs. Colin Powell, l’ancien secrétaire
d’État de George W. Bush et l’ancien président des chefs d'état-major
interarmées dans l’administration de Bush senior, a décrit l’armée comme étant
« à peu près brisée » par la guerre en Irak.
Lors de sa propre
conférence d’adieu mardi, le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a décrit
l’échec de l’ONU d’empêcher la guerre américaine contre l’Irak comme « le
pire moment » de ses dix ans de présidence à la tête de l’organisme
mondial, et avertissait justement qu’il y avait des « inquiétudes qu’il y
ait une nouvelle opération militaire » contre l’Iran, qui serait, dit-il,
« imprudente et désastreuse ».
Un des thèmes
centraux de la conférence de presse de Bush était de dépeindre la débâcle en
cours en Irak comme étant un élément d’une lutte continue contre les
« radicaux » et les « extrémistes » qui nécessitera « des
choix difficiles et des sacrifices additionnels ».
Il déclaré son
appui la proposition d’augmenter la capacité militaire américaine pour
poursuivre l’occupation de l’Irak aussi bien que de participer dans de
nouvelles guerres en augmentant les rangs de l’armée. « Je suis tenté de
croire que nous avons besoin d’augmenter… la force permanente autant de l’armée
des Etats-Unis, que le corps des Marines », a déclaré Bush.
Ses commentaires
faisaient écho à sa déclaration donnée dans une entrevue avec le Washington
Post que les Etats-Unis avaient besoin de plus de force sur le terrain. « Il
est correct de dire que cette guerre idéologique dans laquelle nous sommes va
durer encore un certain temps, et que nous allons avoir besoin d’une force
militaire qui est capable d’être en mesure de soutenir nos efforts et nous
aider à amener la paix », a-t-il dit.
Alors que le président
a décliné toute discussion concrète qui quantifierait l’augmentation du nombre
des soldats, certains représentants officiels ont indiqué que l’objectif est
d’ajouter 70 000 troupes permanentes dans les rangs des militaires en
devoir actif
La conférence de
presse de Bush a encore clairement indiqué que l’opposition de masse à la
guerre en Irak exprimée aux urnes du 7 novembre est ignorée et répudiée par
l’administration.
Les démocrates,
qui doivent leur nouvelle majorité à la Chambre et au Sénat à ce large
sentiment contre la guerre, appuient pleinement la proposition de Bush d’accroître
le nombre de soldats. « Je suis content qu’il ait réalisé qu’il est
nécessaire d’accroître la taille des forces armées… mais il y a deux ans que
les démocrates le disent » a dit au Washington Post le représentant
de l’Illinois Rahm Emanuel, le nouveau président du caucus démocrate de la
Chambre.
Le sénateur John
Kerry du Massachusetts, qui, en tant que candidat démocrate aux élections présidentielles
de 2004, avait appelé pour une augmentation de 40 000 troupes
supplémentaires dans les rangs de l’armée, a également soutenu la proposition
d’extension de l’armée et des Marines, disant que c’était « un pas
pragmatique requis pour faire face aux signes d’une armée en rupture ».
La direction
entrante démocrate a assuré qu’elle allait approuver la requête du Pentagone,
dévoilée mercredi, pour une demande de fonds supplémentaires de près de 100
milliards $ pour la guerre en Irak et en Afghanistan. La requête mènerait
le budget de cette année pour les deux interventions à près de 170
milliards $ – ou plus de 3 milliards $ par semaine.
« Les démocrates
se sont donné comme objectif de s’assurer que nos troupes aient tout ce dont
elles ont besoin », a déclaré le porte-parole pour la nouvelle majorité au
Sénat, Harry Reid.
L’establishment
politique dans son ensemble – malgré de sérieuses divisions internes sur la
politique en Irak – ne veut pas abandonner ses tentatives de soumettre ce riche
pays pétrolier à la domination des Etats-Unis ou de renoncer à la stratégie
plus large d’utiliser la puissance militaire américaine pour poursuivre les
intérêts globaux du capitalisme américain.
Non seulement
l’oligarchie dirigeante américaine refuse-t-elle de mettre un terme à la guerre
en Irak, elle est en train de préparer une augmentation de la taille de son
armée pour une nouvelle intervention encore plus sanglante.
(Article originale
anglais publié le 21 décembre 2006)