Le Bloc québécois (BQ), parti
fédéral prônant l’indépendance du Québec, a laissé tomber sa menace de forcer
un vote de confiance sur la politique afghane du gouvernement minoritaire
conservateur après un tollé de protestations dans les médias officiels et le
refus catégorique des deux autres partis d’opposition d’y apporter leur
soutien.
La rapidité avec laquelle le BQ est
rentré dans le rang met de nouveau à nu son soutien fondamental pour
l’opération de contre-insurrection que mènent les troupes canadiennes en
Afghanistan dans le cadre des forces d’occupation dépêchées par l’OTAN.
Il y a deux semaines, le chef du
BQ Gilles Duceppe avait déclaré que le gouvernement minoritaire conservateur de
Stephen Harper devait « modifier
rapidement et profondément la mission canadienne » et mettre l’accent sur
la « reconstruction » au lieu du « combat ». Dans le cas
contraire, «nous n'hésiterons pas à
[lui] retirer notre appui. Et, s'il le faut, à défaire son gouvernement sur la
question afghane ».
Des stratèges bloquistes avaient affirmé que le
Bloc comptait déposer le 15 février, deux semaines après la reprise des travaux
parlementaires, une motion de défiance sur la question de l’Afghanistan.
La nouvelle que le BQ voulait
faire tomber le gouvernement Harper, sur la question de la guerre en
Afghanistan en plus, avait été très mal accueillie dans l’establishment
politique et médiatique, y compris la presse québécoise.
L’éditorialiste en chef du
quotidien Le Devoir, proche du BQ, avait durement critiqué la position
de Duceppe, écrivant : « Personne
n'ayant de solution miracle à proposer, défaire le gouvernement Harper sur la
conduite de la mission en Afghanistan serait irresponsable.»
C’est essentiellement sur le même registre
qu’a ensuite répondu l’ensemble de la classe politique canadienne.
Soulignant que « nous avons pris un
engagement auprès de nos alliés », le premier ministre conservateur
Stephen Harper s’est déclaré prêt à envisager une défaite de son gouvernement
minoritaire sur une question qui concerne « le rôle du Canada dans le
monde et nos intérêts stratégiques ».
Le nouveau chef du Parti libéral, Stéphane
Dion, a affirmé de son côté qu’il ne fallait pas « abandonner une
mission tant que nous n’avons pas tout fait pour garantir son succès. »
La réponse du NPD, le seul parti à avoir
demandé le retrait des troupes canadiennes d’Afghanistan, est particulièrement
significative. Son chef Jack Layton a rejeté comme « un jeu
politique » la menace de faire tomber le gouvernement, l’important à ses
yeux étant « d’obtenir des résultats de ce Parlement ».
Rejetant tout réalignement de la
« mission » canadienne vers un travail de
« reconstruction », le chef d’état-major de la Défense, Rich Hillier,
est intervenu dans le débat pour affirmer : « Nous menons les
opérations de sécurité, non pas parce que nous le voulons, mais parce qu’elles
sont absolument essentielles. »
Suite à ces réactions, Duceppe a déclaré
cette semaine que son parti ne prendrait pas l’initiative d’une motion de défiance
sur l’Afghanistan. Il a cherché à sauver la face en ajoutant que « si cela
devient une question de confiance, nous n’aurons pas peur d’avoir une élection
là-dessus. »
Cette porte de sortie avait d’ailleurs été
soigneusement préparée par son lieutenant au Bloc, Pierre Paquette. Cet ancien
chef syndical et député bloquiste en vue avait, dès le départ, tempéré la
menace initiale lancée par son chef en déclarant qu’il « n'a jamais
été question à court terme de défaire le gouvernement sur la mission en Afghanistan »
et que l’objectif de son parti était « que le gouvernement prenne le temps de
réfléchir au rééquilibrage de la mission. »
Cette politique est en ligne avec
la stratégie du Bloc québécois depuis le début de l’invasion de l’Afghanistan
par les forces américaines, canadiennes et de l’OTAN : donner son appui à
la mission canadienne et ses objectifs fondamentaux tout en prenant la posture
d’opposant à la guerre.
Le BQ tente de se distinguer du
gouvernement conservateur auquel il a donné son appui jusqu’à aujourd’hui, en
exigeant « un débat parlementaire» sur la politique étrangère du
Canada, en exigeant le « rééquilibrage de la mission » en
Afghanistan, en refusant « d’accorder un chèque en blanc aux
conservateurs ».
Mais aussitôt après, le BQ précise
toujours que « Malgré les réserves, il faut appuyer la présence de l’armée
en Afghanistan » ou qu’il condamne les forces de l’OTAN pour n’être pas
assez impliquées sur le terrain.
Duceppe a expliqué que sa demande pour « rééquilibrer
la mission afghane » signifiait qu’il voulait plus de troupes en
Afghanistan. « Ça prend un équilibre nouveau dans cette mission, ça prend
un appel aux autres pays alliés pour qu'ils envoient plus de troupes côté
militaire. »
Et il a aussi clairement réitéré qu’il
s’opposait au retrait des troupes : « je n'embarque pas dans l'option
Layton, qui dit : un retrait pur et simple. Ça, c'est être
irresponsable. »
En d’autres mots, le Bloc québécois critique
le gouvernement Harper de la droite, pour ne pas avoir réussi à mobiliser les
autres pays membres de l’OTAN afin d’augmenter l’offensive contre-insurrectionnelle
en Afghanistan.
Il utilise aussi la brutalité évidente de la
mission militaire canadienne en Afghanistan, le Canada dépensant neuf fois plus
pour les opérations militaires que pour la reconstruction civile, pour demander
de couvrir d’une bien petite feuille de vigne la nudité de l’intervention
impérialiste.
Exigeant plus de « démocratie » en
Afghanistan, une demande qu’il laisse délibérément vague, et plus de troupes
sur le terrain, le BQ cherche à renverser l’opinion publique en faveur d’une
intervention très impopulaire, à augmenter sa fortune électorale et à créer les
conditions pour l’intensification de l’intervention impérialiste en
Afghanistan.
La position du Bloc envers la
guerre en Afghanistan est guidée par trois grandes considérations.
La première est l’appui au sein
des élites économiques, militaires et politiques du Canada du Québec, dont il
est le représentant direct, pour un changement du rôle du Canada dans le nouvel
ordre mondial. Le Canada doit abandonner son rôle de « gardiens de
paix », la stratégie traditionnelle du Canada de l’après-guerre, pour
adopter une position beaucoup plus en ligne avec les politiques militaristes et
unilatéralistes américaines. La « guerre au terrorisme » devient le
prétexte pour justifier toute une série de guerres préventives, invasions et occupations
pour mieux se positionner sur l’échiquier géopolitique et pour miner les droits
démocratiques de longue date à l’intérieur.
La deuxième considération pour le
BQ est de chercher la faveur du gouvernement américain dont l’appui est une
composante essentielle de sa stratégie pour arriver à l’indépendance du Québec.
Il veut être perçu comme un allié et un partenaire privilégié des Etats-Unis pour
pouvoir continuer à avoir accès au capital américain et avoir une certaine
marge de manœuvre par rapport à Bay Street, le centre financier canadien. Un
Québec indépendant continuerait non seulement à participer aux grandes
institutions impérialistes comme l’OTAN, NORAD et l’ALENA, mais le BQ avance l’idée
que le Québec adoptera le dollar américain.
La troisième considération est le
très faible appui dont bénéficie cette intervention impérialiste au sein de la
population canadienne en général et de la population québécoise en particulier.
Une personne sur trois seulement appuierait la mission en Afghanistan et
probablement moins encore au Québec. Pour des raisons électorales évidentes, le
Bloc québécois tente de se présenter comme un opposant à la guerre en
Afghanistan, malgré qu’il en soit le supporteur inconditionnel.
Depuis le début de l’opération
Liberté immuable en octobre 2001, le Canada participe pleinement aux côtés des
Etats-Unis et au sein de l’OTAN à l’intervention militaire afghane.
L’Afghanistan a été envahi pour des objectifs géostratégiques, à savoir l’influence
militaire et politique dans un pays occupant une position stratégique au sein
d’une région riche en pétrole et en gaz naturel.
Cette mission a toujours eu le
plein appui du BQ. « Le Canada est
actuellement impliqué dans une intervention armée en Afghanistan et le Bloc
québécois l’a appuyé à l’origine et continue de le faire », disait Duceppe
devant la Chambre des Communes en avril 2006. « Nous avons exigé un débat
sur la présence canadienne en Afghanistan et nous y tenons, parce qu’il est de
notre devoir de bien saisir les enjeux et d’en informer la population ».
Autrement dit, en demandant un débat sur la
mission militaire canadienne en Afghanistan, son seul but était de convaincre
la population de sa justesse.
A la fin du mois d’août, le BQ demandait, comme aujourd’hui, l’augmentation
du nombre des soldats et l’intensification de l’offensive soi-disant contre les
talibans pour combattre les seigneurs de la guerre et le trafic du pavot.
En septembre, il déclarait que
« la proposition du NPD d’un retrait
unilatéral est irresponsable » et demandait encore un débat, prétextant
que « Les Québécois et les Canadiens ne peuvent appuyer la démarche du
gouvernement Harper… s’ils ne comprennent pas les tenants et les aboutissants
de cette opération et des autres interventions militaires ailleurs dans le
monde. »
En octobre, le caucus du BQ
réaffirmait son appui à la mission canadienne en Afghanistan.
L’ensemble de ces positions démasque la
posture d’opposant à la guerre dont cherche à s’affubler le Bloc québécois et
en fait un complice dans la brutale intervention de type néo-colonial que mène
le Canada en Afghanistan.