Les reportages sur les discussions au sein de
l’administration Bush sur le changement de cap en Irak indique que Washington
prépare un autre bain de sang important comme moyen désespéré de sauver son
aventure qui se prolonge depuis bientôt quatre ans pour conquérir le pays riche
en pétrole.
Le New York Times dimanche avait un article intitulé The
Capital Awaits a Masterstroke on Iraq (La capitale attend un coup de maître en
Irak), qui indiquait que les options en discussion comprennent ce qui revient à
un appui à un génocide contre la population sunnite irakienne autant que le
déchaînement délibéré d’un conflit sectaire embrasant toute la région entre les
pays à prédominance sunnite et l’Iran et l’Irak, à prédominance chiite.
Cette proposition (largement connue à Washington sous le
nom de « la solution des 80 pour cent », c’est-à-dire le pourcentage
de la population irakienne que forme les Kurdes et les chiites), écrit le New
York Times, « dit essentiellement que Washington devrait arrêter de tenter
de réconcilier les chiites et les sunnites et plutôt simplement appuyer les
chiites, puisqu’ils sont de toute façon plus nombreux et qu’ils gagneraient
probablement dans une lutte à mort. Après tout, est-il expliqué dans la
proposition, l’Irak est chiite à 65 pour cent et sunnite à seulement 20 pour
cent. »
Le plan a prétendument été défendu par le vice-président Dick
Cheney, un des principaux architectes de la guerre en Irak dès son origine.
Une considération clé, ajoute l’article, est le contrôle du
pétrole irakien. « Le plus longtemps les Etats-Unis tentent de courtiser
les sunnites, le plus ils risquent d’aliéner les chiites et les Kurdes et ce
sont eux qui ont le pétrole », déclare le New York Times. « Une
poignée d’officiels de l’administration ont défendu l’idée que l’Irak ne va pas
rester unifié et va se séparer sur des lignes sectaires. Si tel était le cas,
disent-ils, les intérêts américains dictent qu’il faut appuyer les groupes qui
contrôlent les régions riches en pétrole. »
Un des embranchements du plan, que le New York Times décrit
cyniquement comme une idée « que quelques faucons ont brassé dans les réunions »,
est une suggestion que les Etats-Unis pourraient bénéficier d’une conflagration
sectaire dans toute la région. « Les Etats-Unis pourraient dans les faits
porter un coup à l’Iran en appuyant les chiites de l’Irak, car cela
approfondirait la cassure entre les chiites et les sunnites et éventuellement,
mènerait à une guerre régionale entre les deux confessions », écrit le New
York Times. « Et si cela était, alors les chiites — et l’Iran — perdraient
parce que s’il y a plus de chiites que de sunnites en Irak et en Iran, il y a
plus de sunnites que de chiites presque partout ailleurs. »
Au même moment, il y a de plus en plus d’indications qu’un
« déferlement » d’une dizaines de milliers de soldats américains
supplémentaires en Irak aura comme principal objectif d’attaquer la milice
loyale à l’imam radical Moqtada al-Sadr, ce qui signifie un assaut brutal sur
les masses chiites appauvries de Bagdad.
L’élaboration de telles politiques contradictoires semble
moins le produit de calculs diplomatiques et militaires que de folie politique.
Sous-tendant ce qui semble du délire, on trouve le désespoir et la
désorientation à tous les niveaux de l’Etat américain face à la profonde crise
que sa politique a générée.
Ce qui prédomine est la conception qu’avec suffisamment de
morts, que ce soit dans un génocide des sunnites, un assaut sanglant contre les
chiites ou une combinaison des deux, l’impérialisme américain peut d’une façon
ou l’autre éviter une défaite humiliante en Irak.
Les fuites sur les stratégies maintenant sous considération
ne font que souligner la criminalité abjecte de la guerre comme de la crise
désespérée qui tient l’establishment politique américain, toujours profondément
divisé sur la façon de faire face à la débâcle politique et militaire de
l’occupation américaine.
Moins de deux semaines après la publication du rapport du
Groupe d’étude sur l’Irak, l’administration Bush a rejeté les recommandations
du comité visant à réduire le rôle de l’armée américaine en Irak et à
entreprendre des procédures diplomatiques afin d’obtenir la coopération des
pays voisins, soit l’Iran et la Syrie.
La Maison-Blanche, soutenue par la droite républicaine et
les sections les plus impitoyables de l’élite dirigeante américaine, prépare
plutôt l’équivalent d’une autre invasion du pays ravagé et une guerre régionale
plus importante, avec pour objectifs ultimes de renverser les régimes iraniens
et syriens.
Les médias ont rapporté la semaine dernière que le
Pentagone avait déjà fait appel aux 3500 soldats de la deuxième brigade de la
82e division aéroportée, actuellement basée à Fort Bragg en Caroline du Nord,
pour la préparation d’un déploiement au Koweït le mois prochain. Cela serait le
premier contingent d’un « déferlement » prévu qui compterait de 30 000
à 50 000 soldats supplémentaires.
Non seulement l’establishment politique est-il extrêmement
divisé sur la façon d’aller de l’avant en Irak, mais le commandement militaire
américain l’est tout autant. Certains, comme le général Peter J. Schoomaker,
chef d’état-major de l’armée, le général George Casey, commandant en chef en
Irak, et le général John Abizaid, commandant des forces américaines au
Moyen-Orient, ont mis en doute la valeur d’un « déferlement » de
soldats américains en Irak, faisant remarquer qu’une telle augmentation du
déploiement ne pourrait être maintenue et que cela pourrait retarder encore
plus la prise de direction des opérations de sécurité par les forces
irakiennes.
D’un autre côté, plusieurs commandants, à la retraite
depuis peu, ont soutenu l’intensification du conflit, et le plan serait appuyé
par le lieutenant général Raymond Odierno, qui a assumé la semaine dernière le
commandement des troupes de combat en Irak. Odierno a commandé la 4e division
d’infanterie dans la province d’Anbar en 2003 et 2004, et s’est forgé la réputation
d’avoir mené de dures opérations de contre-insurrection et de répression qui
auraient, selon l’avis de plusieurs, alimenté l’appui populaire à la résistance
irakienne.
« Nous allons pourchasser tout, et je dis bien
tout individu qui attaquera le gouvernement, qui attaquera les forces de
sécurité et qui attaquera les forces de la coalition, peu importe qui il est ou
à qui il est associé », a-t-il déclaré lors d’une cérémonie à Bagdad jeudi
dernier.
Cette remarque a semblé être un avertissement que la
prochaine cible de la nouvelle offensive maintenant en préparation serait
l’Armée du Mahdi, la milice chiite loyale à Moqtada al-Sadr. Selon les
reportages, le commandement en uniforme du Pentagone a insisté à l’unanimité
pour que toute intensification du déploiement de troupes à Bagdad soit
accompagnée de règles d’engagement sans restrictions pour les forces
américaines qui attaqueraient les partisans de Sadr.
Une telle offensive déclencherait non seulement un coup
d’État fomenté par les États-Unis contre l’actuel gouvernement irakien, dans
lequel le mouvement de Sadr a un pouvoir considérable, mais entraînerait de
nombreuses morts de civils, étant donné qu’une guerre totale serait menée dans
les bidonvilles chiites populeux de Sadr City à Bagdad.
À peine six semaines après que l’opposition populaire
croissante à la guerre en Irak ait infligé une étonnante défaite aux urnes à
l’administration Bush, il y a tout lieu de croire que la Maison-Blanche ne
prévoit pas seulement poursuivre la guerre, mais en plus l’intensifier
considérablement.
Pendant ce temps, la direction du Parti démocrate ne
démontre aucune conviction ou détermination de la sorte alors qu’elle s’apprête
à prendre le contrôle le mois prochain des deux chambres du Congrès américain.
Dimanche, le nouveau dirigeant de la majorité au Sénat,
Harry Reid, a déclaré dans une entrevue télévisée qu’il serait prêt à appuyer
un « déferlement » des soldats déployés en Irak si cela aidait à
atteindre les objectifs plus larges de la stratégie proposée par la commission Baker-Hamilton
de réduire le nombre des troupes en Irak au début de l’année
2008.
« Si les commandants sur le terrain disent que ce
n’est que pour une courte période, nous allons suivre », a dit Reid,
ajoutant qu’une augmentation sur deux ou trois mois serait acceptable, pas une
qui traînerait pour 18 ou 24 mois.
Les scrupules du dirigeant démocrate au Sénat ont
rapidement été rejetés par un défenseur en vue du « déferlement »,
l’ancien vice-chef du personnel de l’armée, le général Jack Keane, qui
soulignait qu’« il faudrait plusieurs mois simplement pour amener des
forces sur le terrain ». Keane a dit que cela prendrait au moins un an et
demi pour que les forces élargies puissent supprimer la résistance irakienne.
Pendant ce temps, le sénateur Edward Kennedy du
Massachusetts, considéré comme le plus libéral des démocrates au Sénat
américain, a exprimé son opposition à toute augmentation du nombre de soldats
sur Fox News, mais rejetait toute réduction dans le financement de la
guerre – le seul moyen, à part la procédure de destitution du président, qu’ont
les démocrates pour ralentir l’escalade militaire de l’administration Bush.
« S’il y a une chose à propos des démocrates, c’est
que nous allons appuyer nos troupes », a déclaré Kennedy, ajoutant,
« nous n’allons pas couper les vivres, en terme de troupes. »
Presser par l’interviewer Chris Wallace d’expliquer
pourquoi il n’était pas prêt à voter pour couper le financement de la guerre en
Irak, rappelant que c’était la politique des démocrates pendant la guerre du
Vietnam, Kennedy a fait remarqué que « C’est une situation bien différente
de celle du Vietnam » et « Nous n’en sommes pas à ce point à ce
moment-ci. »
La différence réside dans le fait qu’en Irak, des sections
décisives de l’élite dirigeante américaine demeurent déterminer à poursuivre
l’objectif d’établir la domination des Etats-Unis sur une des plus grandes
réserves de pétrole au monde au moyen de la force militaire et d’une domination
coloniale.
Bien qu’il y ait de profondes divisions sur la manière
d’atteindre cet objectif, la défense des intérêts géostratégiques du
capitalisme américain est soutenue par toutes les factions de l’establishment
politique. C’est pour cette raison que les démocrates ont été les complices de
l’administration Bush dans la guerre depuis qu’ils ont voté pour aut5oriser
l’Invasion non provoquée de l’Irak il y a plus de 4 ans.
La menace croissante d’une escalade militaire contre le
peuple irakien qui pourrait potentiellement provoquer une conflagration à
travers le Moyen-Orient et mondialement, démontre que l’opposition populaire à
la guerre ne peut pas trouver d’expression à travers le système des deux partis
établi en Amérique.
Même avant que ne débute la nouvelle session du Sénat, il
est clair que la lutte pour mettre fin à la guerre et tenir responsable
politique et criminellement ceux qui l’ont lancé, ne peut se faire que par
l’émergence d’un nouveau mouvement politique indépendant de la classe ouvrière
en opposition à l’oligarchie financière et à ses deux partis.
(Article original anglais publié le 18 décembre 2006)