Lundi dernier, dans une entrevue à la
télévision allemande, le premier ministre israélien Ehoud Olmert a commis un
soi-disant lapsus en admettant tacitement qu’Israël avait l’arme nucléaire.
Répondant à une question, Olmert a dit que
l’Iran ne pouvait être comparé à ce qu’il appelait les puissances nucléaires
responsables, dans lesquelles il a inclus Israël aux côtés des Etats-Unis, de
la France et de la Russie. Israël a toujours refusé de reconnaître qu’il avait
un arsenal nucléaire que les experts estiment être composé de 80 à 200 ogives
nucléaires.
En réalité, Olmert faisait une menace délibérée
qui visait principalement l’Iran. Commentant le manquement à la politique
officielle israélienne de l’« ambiguïté », Yosef Chagal de Yisrael
Beiteinu, le partenaire d’ultra-droite de Kadima, la coalition dirigée par
Olmert, a noté « A mon avis, ceci n’est pas un lapsus. Selon moi, c’est une
démonstration de puissance. » Le message d’Olmert était « Nous sommes
forts. Nous n’avons peur de personne. Si vous ne voulez pas être nos
partenaires, si vous voulez avoir l’Etat d’Israël, alors nous avons les moyens
de répondre. »
Que l’Iran ait été la cible d’un tel
avertissement est montré par les commentaires faits le même jour par la
secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, qui a dit que Washington
tentait d’utiliser les manifestations de masse contre le gouvernement
pro-occidental de Fouad Siniora au Liban pour justifier des hostilités contre
l’Iran et la Syrie, y compris une possible attaque
militaire.
Depuis presque deux semaines, des
manifestations dans lesquelles participent des centaines de milliers de
personnes ont lieu à Beyrouth. Sous la direction politique du Hezbollah, et
avec le soutien d’un autre mouvement chiite, l’Amal, ainsi que du Courant libre
patriotique chrétien du général Michel Aoun, les manifestants ont pris les deux
principaux squares au centre de Beyrouth et les rues adjacentes. Ils demandent
au gouvernement de céder plus de pouvoir et de sièges aux partis de
l’opposition ou bien de démissionner.
L’administration Bush a accusé la Syrie et
l’Iran d’avoir organisé les manifestations dans le but d’élargir leur influence
au Moyen-Orient. Plus tôt ce mois, le porte-parole du secrétariat d’Etat
américain, Tom Casey, a dit que « Le Hezbollah et ses alliés, avec le
soutien de la Syrie et du gouvernement iranien, continuent à travailler pour
déstabiliser le Liban. » L’ambassadeur pour les Nations unies John Bolton
a dit que les manifestations du Hezbollah faisaient « partie d’un coup
inspiré par l’Iran et la Syrie ».
Lundi, Rice a donné une entrevue à l’agence
France-Presse dans laquelle elle avertissait que les Etats-Unis « n’allaient
pas se trouver dans une situation où il est même concevable de penser en Syrie
ou en Iran que l’avenir du Liban pourrait être échangé pour d’autres intérêts
des Etats-Unis… Je veux qu’il soit très clair que l’avenir du Liban n’est pas
une question à négocier avec qui que ce soit. »
« Jamais les Etats-Unis ou la communauté
internationale n’accepteront que la Syrie réaffirme son autorité sur le
Liban », a-t-elle ajouté.
Passant ensuite à la question de l’Iran, Rice a
déclaré qu’elle était « optimiste » que le Conseil de sécurité des
Nations unies voterait bientôt une résolution menaçant l’Iran d’action
internationale à moins qu’il ne suspende son programme d’enrichissement
nucléaire.
Après des mois d’argumentations avec la Russie
et la Chine, elle était satisfaite de la dernière version parce qu’elle sera
votée en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’ONU. « Cela établit le
Chapitre VII, ce qui est dans mon esprit l’élément le plus important de la
résolution », a-t-elle dit. Le Chapitre VII stipule que « Le
Conseil de sécurité constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une
rupture de la paix ou d’un acte d’agression » et « décide quelles
mesures seront prises », y compris l’action militaire, « pour
maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».
Les commentaires de Rice sont la
continuation de l’offensive montée par l’administration Bush suite à la
publication du rapport du Groupe d’étude sur l’Irak. Les déclarations du
président Bush lui-même et d’une pléiade de néo-conservateurs en vue à
Washington ont nettement rejeté tout appel à la négociation avec l’Iran et la
Syrie qui viserait à stabiliser l’Irak, une demande en évidence du rapport de
la commission bipartisane, et font plutôt pression pour l’intensification des
hostilités contre la Syrie et l’Iran.
Le Liban est vu par
l’administration américaine comme l’antichambre d’un conflit plus fondamental
avec l’Iran pour établir son hégémonie sur le Moyen-Orient, un objectif qui est
déjà âprement disputé en Irak et qui sera en fin de compte décidé par une
offensive directe sur Téhéran.
Dans cette offensive, Israël
joue un rôle clé en tant que partenaire régional militaire et politique des
Etats-Unis, offrant ses services pour monter des provocations contre l’Iran, la
Syrie et le Liban.
Il est probable qu’Olmert ait discuté avec
l’administration Bush de ce qu’il allait dire en Allemagne. Commentant
l’entrevue, Christiane Schlötzer a fait remarquer dans le Süddeutsche
Zeitung que « quelques jours plus tôt, le secrétaire américain à la Défense,
Robert Gates, avait aussi mentionné qu’Israël était une puissance nucléaire.
Dans une autre entrevue avant sa visite en Allemagne, Olmert n’a pas rejeté la
possibilité d’une frappe militaire contre le programme nucléaire
iranien. »
Schlötzer a aussi replacé les commentaires
d’Olmert dans le contexte de la guerre de factions que se déroule aux
États-Unis à propos de la politique à adopter au Moyen-Orient. Il a
écrit : « Depuis la publication la semaine dernière du rapport
Baker-Hamilton, les réactions inquiètes et même apocalyptiques des médias se
sont accumulées en Israël. Dans de tels rapports, le pays est présenté comme la
victime d’une nouvelle politique américaine : une politique qui, jusqu’à
maintenant, n’existe pas. »
Il serait plus juste d’affirmer qu’Israël joue
un rôle déterminant en implémentant la véritable politique de l’administration
Bush. Rappelons-nous qu’après avoir rencontré le président russe Vladimir
Poutine le mois dernier, Olmert a dit que les Iraniens « devraient
craindre » les conséquences de leur refus de tenir compte des demandes
internationales pour qu’ils arrêtent leurs tentatives de développement
nucléaire. « Ils doivent comprendre que s’ils s’opposent à tout compromis,
le prix à payer sera élevé », a-t-il affirmé.
Ce qu’il a voulu signifier par là est indiqué
par la discussion en cours sur une possible frappe militaire israélienne sur
les installations nucléaires iraniennes. En décembre de l’an dernier, le Sunday
Times britannique a fourni les détails d’une telle attaque sur une usine
d’enrichissement d’uranium. Ces détails provenaient de sources anonymes au sein
de l’armée et des services du renseignement israéliens. L’attaque qui était
prévue pour l’été 2006, un assaut aérien et terrestre utilisant des unités des
forces spéciales et des chasseurs F-15I à longue portée, n’a pas été menée.
Mais on a assisté durant cette période au commencement d’attaques militaires
soutenues et dévastatrices contre les Palestiniens et le Liban.
Israël continue de menacer le Liban, même après
avoir accepté le cessez-le-feu le 14 août. Il n’a levé son blocus naval et
aérien qu’en septembre et n’a retiré la plupart de ses troupes qu’en octobre.
Régulièrement, la Force aérienne israélienne a pénétré illégalement l’espace
aérien libanais, volant à basse altitude au-dessus des zones où sont stationnés
les gardiens de la paix de l’ONU. Le ministre israélien Meir Sheetrit a déclaré
récemment : « Si le gouvernement de Siniora tombe, cela veut
dire que le Liban sera contrôlé par le long bras de l’Iran. »
Quant à elles, les puissances européennes ont
fait d’importantes déclarations dénonçant le mouvement contre le gouvernement
Siniora et jetant le blâme sur l’ingérence de la Syrie. « La France et
l’Allemagne demandent que cesse toute ingérence dans les affaires qui
concernent le Liban », ont soutenu la chancelière allemande Angela Merkel
et le président français Jacques Chirac dans une déclaration commune.
« Ils souhaitent que la Syrie n’appuie plus des forces qui veulent
déstabiliser le Liban et la région », était-il ajouté dans la déclaration.
Le ministre des Affaires étrangères italien,
Massimo D’Alema, a déclaré quant à lui : « Le président Siniora a été
élu légitimement par le peuple, il dirige un gouvernement appuyé par la
majorité, l’Occident ne lui dicte pas quoi faire. » Lorsqu’on l’a
questionné sur la situation au Liban, il a ajouté que « les gouvernements
se forment par des élections, pas par des rassemblements dans les rues ».
D’Alema oublie fortuitement que le gouvernement
de Siniora est arrivé au pouvoir au terme de la soi-disant révolution du
cèdre, une série de manifestations de rues entièrement soutenues par les
puissances occidentales qui ont suivi l’assassinat de l’ancien premier ministre
Libanais Rafik Hariri en février 2005 et qui se sont terminées par le
démantèlement du gouvernement prosyrien du premier ministre Omar Karami le 27
avril 2005.
La prétention que le mouvement de masse contre
le gouvernement de Siniora n’est que le produit d’un plan syrien est loin de la
vérité. En réalité, la principale raison de la déstabilisation du régime
dirigeant est l’assaut dévastateur mené par Israël et pleinement appuyé par
l’administration Bush qui maintenant, feint l’outrage à la violation de la
souveraineté libanaise.
Le bombardement israélien n’a pas seulement
détruit la plupart des infrastructures libanaises, tué plus de 1000 personnes
et forcé le déplacement d’un million de plus, il a aussi détruit le peu de
crédibilité qui restait au gouvernement Siniora. Depuis, il a fait face à une
montée de l’opposition populaire qui a contribué à renforcer sa dépendance aux
puissances occidentales.
Le principal bénéficiaire de cet outrage
populaire contre les États-Unis, contre Israël et contre le gouvernement de
Siniora a été le Hezbollah, dont l’autorité a été renforcée parmi les sections
les plus opprimées de la population, majoritairement des sections chiites.
Les partis d’opposition ont demandé plus de
sièges au parlement en échange d’un accord de participation dans un
gouvernement d’unité nationale, une proposition qu’a rejetée Siniora. En
novembre, cinq ministres chiites du Hezbollah, du Amal et du Courant
patriotique libre ont quitté le gouvernement. En vertu de la constitution, le
décès ou la démission de deux ministres supplémentaires ferait automatiquement
tomber le gouvernement.
Deux semaines plus tard, le 21 novembre, le
ministre de l’Industrie, le phalangiste antisyrien Pierre Gemayel, était
assassiné.
Les Etats-Unis et ces alliés au Liban ont
immédiatement, sans la moindre preuve corroborative, désigné la Syrie comme
coupable de l’assassinat. Cela a ouvert la voie au Conseil de sécurité de l’ONU
pour s’entendre sur le tribunal d’Hariri, qui avait été reporté à cause de
l’opposition de la Russie et du Qatar.
Le 25 novembre, le cabinet libanais a voté pour
approuver que soit établi un tribunal international pour juger les suspects de
l’assassinat de Hariri, ce qui a mis la table pour une confrontation entre le
Conseil de sécurité de l’ONU et le gouvernement syrien du président Bashar al
Assad, qui a été accusé d’orchestré le meurtre.
Le 1er décembre, en réponse à un appel du
dirigeant du Hezbollah Hassan Nasrallah, des centaines de milliers de personnes
se sont jointes à la première manifestation antigouvernementale à Beyrouth, qui
s’est poursuivie depuis. La manifestation a été caractérisée par ses
dénonciations du gouvernement pour être le pantin des Etats-Unis et d’Israël.
La Syrie ne veut pas de confrontation avec
Washington et a appuyé les efforts diplomatiques de la Ligue arabe d’obtenir un
compromis négocié avec le gouvernement de Siniora, en vertu duquel le nombre de
ministres dans le gouvernement libanais serait augmenté de 30. Deux tiers de
ceux-ci représenteraient la majorité parlementaire et l’autre tiers,
l’opposition. En plus, le plan donne au nouveau gouvernement le pouvoir
d’établir une nouvelle Cour internationale pour l’enquête du meurtre d’Hariri.
Le dirigeant du Hezbollah, Hasan Nazrallah a
aussi accepté en principe le plan de la Ligue arabe. Mais il n’y a aucun
signe qui indiquerait que l’administration Bush ou Jérusalem soit intéressé par
un tel compromis.
(Article original anglais publié le 14 décembre
2006)