Le 16 novembre, le groupe de défense des droits de l’homme,
Amnistie internationale a publié son rapport sur le projet de loi sur la
mémoire historique préparé par le gouvernement du Parti socialiste des
travailleurs de l’Espagne (PSOE).
La loi est le résultat d’une commission interministérielle
établie en septembre 2004 supposément pour examiner la réhabilitation morale et
légale des victimes de la dictature fasciste de Franco (1939-1975). La
vice-première ministre Maria Teresa Fernandez de la Vega a affirmé que cette
loi ferait finalement justice à ceux qui furent exécutés.
Selon Vicente Navarro, professeur de sciences politiques à l’Université
Pompeu Fabra, dans les cinq années qui ont suivi la prise du pouvoir de 1939,
les forces de Franco ont exécuté 200 000 opposants politiques, plusieurs
de ceux-ci toujours dans des fosses communes sans indication qui sont seulement
aujourd’hui découvertes par des volontaires.
Le rapport d’Amnistie énonce clairement que le projet de loi
est une trahison des promesses du PSOE, qui couvrira les crimes du régime de
Franco, protègera les coupables et offrira un vernis de légitimité aux cours
fascistes qui ont supervisé les exécutions de masse des opposants politiques du
régime. Le groupe a condamné la loi pour avoir ignoré « les droits de l’homme
et la loi internationale » et « créer des obstacles » dans la
lutte des victimes de la dictature pour obtenir justice. Amnistie est
particulièrement préoccupée par « les mécanismes d’impunité… visant à
cacher l’identité de ceux qui ont violé les droits de l’homme ».
La loi protège l’anonymat des tueurs fascistes. L’article
7.3 déclare que si leur nom devait devenir connus des enquêteurs, alors ceux-ci
« ne feraient aucune référence à l’identité de ceux qui ont pris part dans
les événements et n’entreprendront pas des mesures légales pouvant mener à des
sanctions ou des condamnations ».
La loi n’annule pas les exécutions sommaires de Franco. Des
familles des victimes devront plaidé sur une base individuelle devant un comité
non-élu de cinq scientifiques sociaux nommés par la législature espagnole, qui
devront ensuite décider si les condamnations par les cours fascistes étaient
valides ou non.
Le rapport d’Amnistie internationale a été précédé d’un
autre rapport publié le 1er septembre par l’organisation de défense des droits
de l’homme espagnole Equipo Nizkor qui fut signé par des douzaines d’autres
associations impliquées dans le mouvement pour la mémoire historique. Le
rapport, intitulé « Entre la couardise morale et l’illégalité »,
déclare que le projet de loi « fait preuve de mauvaise foi évidente ».
Il exprime le désillusionnement envers le PSOE, qui s’est présenté lors des
dernières élections sur la base d’un soutien à l’annulation des sentences des
cours fascistes.
Equipo Nizkor déclare que le projet de loi « n’est
pas seulement humiliant pour les victimes parce qu’il nie leur reconnaissance
légale, mais il est aussi profondément immoral et, en conséquence, il viole les
principes de base établis par les lois internationales sur les droits de l’homme
portant sur les crimes sérieux tels les crimes contre l’humanité ». Il
ajoute que la loi contrevient aussi aux traités internationaux et aux
conventions sur les droits de l’homme inscrits dans la constitution espagnole
de 1978.
Soulignant que la loi demande le traitement égal des
victimes et des tueurs fascistes, Equipo Nizkor jette la lumière sur une
autre attaque importante contre les droits démocratiques. La loi « implique
par omission une reconnaissance des agissements juridiques du régime franquiste
qui dépasse les limites établies par la Constitution, par les lois nationales
et par d’innombrables traités et conventions internationaux que l’Espagne a
signés. »
En d’autres mots, la jurisprudence établie par le régime
franquiste, est toujours en vigueur. Comme un juge senior qui est aussi membre
de Juges pour la démocratie a récemment averti, « Les sentences
franquistes pourront toujours être étudiées dans les facultés de droit en tant
que partie de la jurisprudence valide. »
Les critiques faites par Amnistie Internationale et Equipo
Nizkor ont été renforcées dans un discours du Dr Tony Strubell de l’université
de Navarra devant l’Ecole d’économie de Londres le 8 novembre. Dans ce discours,
il a expliqué comment les apologistes et les défenseurs du régime de Franco
travaillent avec le PSOE pour développer des arguments pour bloquer la justice
pour les victimes du fascisme.
Selon Strubell, le président de la section militaire de la
Cour suprême, Fernando Herrero-Tejedor, « a dit publiquement à un groupe
de porte-parole parlementaires il y a peu que la justice aujourd’hui n’est plus
ce qu’elle était à l’époque de Franco ». Strubell a révélé que le
responsable de la cour, Herrero-Tejedor, est le fils d’un ministre franquiste
et l’ancien dirigeant du fasciste Movimento, le seul parti politique autorisé
sous la dictature.
Strubell a expliqué que Cándido Conde-Pumpido, le procureur
d’Etat nommé par le PSOE est responsable de décider quelle sera la politique du
gouvernement sur la question de l’annulation des sentences des cours fascistes
sous Franco. Strubell a dit que Conde-Pumpido a récemment émis un jugement
contre l’annulation.
« Encore, nous pouvons nous demander si c’est la
meilleure personne pour faire ce genre pour prendre ce genre de décision… Puisqu’il
est l’arrière-petit-fils de Lucio Conde-Pumpido, un procureur militaire
responsable d’avoir énoncé des milliers de sentences de mort sous la dictature
franquiste, cela semble douteux », a dit Strubell.
Le PSOE n’a pas à ce jour répondu publiquement aux critiques
d’Amnistie internationale et d’Equipo Nizkor. Mais il a rassuré la droite
que la loi sur la mémoire historique ne remettra pas en question le « pacte
du silence » sur les atrocités commises par la dictature franquiste qui
avait été conclu en 1977 entre les fascistes, le PSOE et le Parti communiste
espagnol.
Le pacte du silence a sauvé les fascistes de la colère des
masses après la mort de Franco en 1975 et leur a permis de conserver des postes
de pouvoir dans le nouveau régime de monarchie constitutionnelle avec
parlement.
Avant l’élection du PSOE en mars 2004, alors que le Parti
populaire a été chassé du pouvoir en conséquence de l’opposition de masse des
travailleurs, le dirigeant du PSOE, aujourd’hui premier ministre, José Luis
Rodrigo Zapatero a insisté que la justice pour les victimes de Franco viendra. Au
lieu de cela, sous l’impact de la pression politique et des provocations du PP,
de l’Eglise catholique et des l’armée, le gouvernement du PSOE a abandonné
toute notion d’annulation des décisions des cours de Franco et de poursuivre
les coupables.
(Article original anglais publié le 4 décembre 2006)