Le président Bush a clairement indiqué
jeudi qu’il rejetait les conclusions et les prescriptions politiques du Groupe
d’étude sur l’Irak, la commission bipartisane dirigée par l’ancien secrétaire d’Etat
James Baker et l’ancien congressiste démocrate Lee Hamilton.
Le rapport de la commission présente un
portrait sombre de la position américaine en Irak et conclut que la politique
militaire et diplomatique de Bush a été un échec. Mais moins de 24 heures après
sa publication, Bush a réitéré sa perspective de victoire militaire en Irak et
a rejeté l’appel de la commission pour une stratégie militaire retapée combinée
à une initiative diplomatique pour sauver la position américaine qui
comprendrait des pourparlers directs avec la Syrie et l’Iran.
A une conférence de presse conjointe avec
le premier ministre britannique Tony Blair, Bush a remercié la commission et a
louangé son rapport, le décrivant comme une « étude sérieuse » et « très
constructive », et a ensuite continué en rejetant ses conclusions.
Il a signalé son rejet du rapport dans ses
remarques d’introduction, faisant clairement mention de la « victoire »
en Irak. Il a resservi ses phrases toutes faites décrivant l’agression
américaine en Irak comme une partie de la « lutte idéologique »
mondiale entre les forces de « l’extrémisme » et de la « haine »
d’un côté et la « démocratie », la « liberté » et la « civilisation »
de l’autre.
Il a encore une fois invoqué le
11-Septembre et comparé le conflit en Irak à la Deuxième Guerre mondiale,
citant l’anniversaire de Pearl Harbor ayant eu lieu un 7 décembre pour déclarer :
« Dans cette guerre, notre nation se tient solidement debout. Et il y a eu
des moments difficiles durant cette guerre ce qui n’a pas empêché les
dirigeants de nos deux nations de ne pas perdre la foi en leur capacité à
vaincre. Nous nous tenons solidement debout encore une fois dans cette première
guerre du 21e siècle. »
La rhétorique de la « croisade pour la
démocratie », recyclée de la pile des précédents discours de Bush, a une
signification encore plus grande alors que le Groupe d’étude sur l’Irak a
décidé de laisser tomber les prétentions démocratiques de l’occupation
américaine. La commission sur l’Irak, tout comme le candidat de Bush au
Pentagone, Robert Gates, ont été clair qu’ils considéraient que le but en Irak
n’était pas une démocratie « fabriquée aux Etats-Unis », mais plutôt
un régime client irakien pouvant assurer un minimum de sécurité et de
stabilité.
Bush a minimisé la signification du rapport
du Groupe d’étude sur l’Irak en la présentant comme une parmi plusieurs études
présentement en cours sur l’Irak, y compris les évaluations préparées par le
Pentagone, le département d’Etat et le Conseil de sécurité nationale.
Dans la période de questions des
journalistes qui a suivi sa présentation, Bush a carrément rejeté l’appel de la
commission Baker-Hamilton pour que les Etats-Unis entreprennent des pourparlers
directs avec la Syrie et l’Iran comme partie d’une initiative diplomatique à
travers le Moyen-Orient pour stabiliser le régime irakien. Il a implicitement
rejeté la conclusion de la commission qu’un désastre américain en Irak ne
pouvait être évité que par une tentative de lancer une nouvelle ronde de
pourparlers de paix entre Israël et les Palestiniens.
Il a réitéré sa position que les Etats-Unis
ne parleraient pas à l’Iran avant qu’il ait accepté de suspendre son programme
d’enrichissement nucléaire. « Nous avons fait notre choix. L’Iran a
maintenant la responsabilité de faire le sien », a-t-il déclaré.
De la même façon, il a exclu d’entreprendre
des pourparlers avec la Syrie avant qu’elle ait accepté une série de demandes
américaines concernant son rôle en Irak, au Liban et avec l’Autorité
palestinienne. « Notre position est très claire. Et la vérité est que la
question est que ces pays doivent maintenant faire un choix », a-t-il dit.
Alors que le rapport du Groupe d’étude sur
l’Irak caractérise la situation en Irak comme « grave et se détériorant »,
qu’il donne l’avertissement que les Etats-Unis sont en train de perdre leur
influence et que le « temps commence à manquer », Bush ne va pas plus
loin que concéder qu’il a été « déçu du rythme du succès ».
Pour insister sur le fait qu’il privilégie
une politique de continuation et d’intensification de la violence militaire, il
a déclaré : « Un choc idéologique se produit maintenant. Et la
question est : avons-nous la volonté et la confiance que la liberté prévaudra ?...
Ce n’est pas une question que ce gouvernement va se poser, puisque nous nous
sommes fait une idée. »
Le rejet rapide par le président américain
des conclusions d’une commission dirigée par James Baker — qui fut secrétaire d’Etat
dans l’administration de Bush père et qui a été de nombreuses fois le
réparateur politique de l’establishment — se traduit par une intensification de
la crise politique et des divisions acerbes au sein des cercles dirigeants des Etats-Unis
sur la question de l’Irak.
L’opposition aux propositions de la
commission a aussi trouvé expression lors du témoignage de Baker et d’Hamilton
devant le Comité sénatorial des forces armées jeudi.
Le sénateur John McCain de l’Arizona, l’un des favoris à
l’investiture présidentielle républicaine de 2008, a dénoncé l’appel du comité
au retrait de toutes les brigades combattantes américaines de l’Irak d’ici
2008, le qualifiant de « recette qui mènera à notre défaite en
Irak ». Il a de la même façon rejeté la conclusion que l’armée des Etats-Unis
était déjà trop utilisée pour permettre une importante augmentation du
déploiement de troupes d’occupation en Irak.
Il a rejeté la proposition d’entreprendre des pourparlers
avec l’Iran et la Syrie, déclarant : « Je ne crois pas qu’il y ait d’avantages
à court terme à faire une conférence pacifique avec des personnes qui sont
vouées à vous exterminer. »
Comme McCain, le sénateur Joseph Lieberman a aussi critiqué
le rapport du comité, mettant carrément en doute les propositions de
pourparlers avec l’Iran et la Syrie. Le sénateur républicain Lindsey Graham, de
Caroline du Sud, a défendu la position d’augmenter considérablement le
déploiement de troupes américaines en Irak.
Un démocrate en vue, le sénateur Joseph Biden du Delaware, le
prochain président de la commission sénatoriale des affaires étrangères, a lui
aussi critiqué la proposition du rapport du Groupe d’étude sur l’Irak que les Etats-Unis,
relancent les pourparlers de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne, et
avec la Syrie. « Le concept qu’un traité de paix entre Israël et la
Palestine mettrait fin à une guerre civile en Irak dépasse
l’entendement », a déclaré Biden lors d’un discours devant le Forum
politique d’Israël.
Quant à lui, le premier ministre israélien Ehoud Olmert a
rejeté jeudi les propositions du Groupe d’étude sur l’Irak. « Tenter d’établir
un lien entre la question irakienne et la question du Moyen-Orient : notre
perspective est différente », a déclaré Olmert. Il a ajouté :
« Durant les dernières années, à ce que je sache, le président Bush avait
aussi une perspective différente sur la question. »
L’opposition aux recommandations du comité a trouvé son
expression la plus hostile dans l’éditorial du Wall Street Journal de
jeudi, un journal qui a constamment reflété les perspectives de droite à
l’intérieur de l’administration Bush.
Intitulé « The Iraq Muddle Group » (Groupe de
confusion sur l’Irak), l’éditorial a déclaré : « la voie vers la
victoire en Irak se trouve dans un plus fort appui des Etats-Unis pour la
coalition à majorité chiite au pouvoir à Bagdad, et non dans une confusion stratégique
bipartie ragaillardie pour des raisons de politique interne ».
Le Journal a toutefois été d’accord pour affirmer
que le rapport avait au moins servi « à quelque chose d’utile ». Il a
affirmé : « En appelant à un retrait de la plupart des soldats d’ici
2008, si les conditions de sécurité le permettent, le rapport rejette tout
retrait rapide ou à courte échéance. De la même façon, cela renforce l’idée
défendue par Bush à propos des conséquences horribles pour les intérêts
américains d’un échec en Irak. » Cette position, a ajouté le journal,
servira « à isoler la gauche qui demande un retrait immédiat ».
Le rapport du Groupe d’étude sur l’Irak n’est d’aucune
façon une ordonnance pour mettre un terme à l’intervention américaine en Irak.
Les propositions concrètes incluses dans le document prévoient le maintient de
dizaines de milliers de soldats en Irak dans un avenir prévisible, y compris
des forces de « réaction rapide » et « d’opérations
spéciales », des forces aériennes américaines, ainsi que 20 000
« conseillers ». L’utilisation d’une telle force pourrait s’avérer
davantage fatale, en terme de pertes irakiennes et américaines, que le déploiement
actuel de troupes.
Les conclusions du rapport recommandaient spécifiquement de
« réorganiser l’industrie pétrolière nationale [irakienne] en tant
qu’entreprise commerciale », c’est-à-dire, la subordonner aux intérêts du
capital financier américain et des importants conglomérats du pétrole.
Un passage significatif enseveli dans les
recommandations portant sur « une stratégie militaire pour l’Irak »
notait que les membres, après en être arrivé à la conclusion qu’un déploiement
soutenu d’un nombre significativement plus élevé de soldats – de 100 000 à
200 000 de plus – n’était pas réalisable, « nous pourrions cependant,
réussir un redéploiement à court terme des forces de combat américaines pour
stabiliser Bagdad. »
Il est significatif que la demande pour une
augmentation à court terme du déploiement américain ait également été reprise
par un futur membre dirigeant de la direction démocrate au Congrès. Le
représentant Silvestre Reyes du Texas, qui doit prendre la présidence du Comité
de la Chambre sur le renseignement, a dit au magazine Newsweek cette
semaine qu’il appuyait le déploiement de 30 000 soldats supplémentaires
pour « sortir la milice et stabiliser l’Irak ».
Une telle proposition, par les deux partis
au Congrès, aussi bien que par le Groupe d’étude sur l’Irak lui-même, suggère
qu’à court terme, l’impérialisme américain prépare une escalade majeure des
attaques sanglantes en Irak, probablement en lançant des offensives simultanées
contre le mouvement de résistance sunnite et contre la milice chiite de Sadr
City à Bagdad.
Les divisions qui ont fait surface sur la
question du rapport ne portent pas uniquement sur des questions politiques et
tactiques en Irak et au Moyen-Orient, mais, ce qui est encore plus important,
sur la situation politique aux Etats-Unis mêmes.
« La prolongation des problèmes en
Irak pourrait mener à une plus grande polarisation aux Etats-Unis, »
avertit le rapport, référant aux deux tiers de la population qui s’opposent
actuellement à la guerre. Le rapport suggère que le changement tactique proposé
par le comité aurait pour effet de permettre à l’administration de demander
« un large appui au peuple américain » et atténuer le sentiment anti-guerre.
Le conflit au sein de l’élite dirigeante
américaine sur sa politique en Irak a mis la crise prolongée de la démocratie
américaine à l’avant-scène. Une expression de cette crise est le spectacle de
Bush – au nom de la démocratie au Moyen-Orient - déclarant que les élections
nationales dans lesquelles les électeurs ont rejeté la guerre en Irak n’auront
aucun impact sur sa politique en Irak ou ailleurs.
Un mois après les élections au Congrès
américain, il est de plus en plus clair que la politique gouvernementale ne
peut pas être changée par un vote populaire. Malgré les résultats désastreux de
ses politiques en Irak, en Afghanistan et ailleurs, Bush sent qu’il peut défier
l’opinion populaire et même le point de vue de sections considérables de l’élite
dirigeante. Il y a plusieurs raisons à cela.
Premièrement, en dépit de toutes leurs
différences, toutes les sections de l’élite dirigeante, et ses deux partis,
sont impliqués dans cette guerre illégale en Irak, et tous sont d’accord qu’une
défaite totale aurait des conséquences catastrophiques pour l’impérialisme
américain – en Irak, au Moyen-Orient et à travers le monde. Cela aurait, de
plus, des ramifications politiques et sociales explosives aux Etats-Unis.
Deuxièmement, Bush et ses alliés,
représentent de la manière la plus nette et brutale les objectifs globaux
impérialistes de l’élite dirigeante américaine dans son ensemble.
Troisièmement, il n’y rien que l’on puisse sérieusement
considéré comme un parti d’opposition au sein de l’establishment politique
américain. Bush sait qu’il ne risque pas de se voir forcer de changer sa
politique en Irak, puisque le seul moyen qui existe dans le système
constitutionnel américain pour le faire, c’est la procédure de destitution et
les démocrates ont rejeté cette voie.
(Article original anglais publié le 8
décembre 2006)