L’ancien ministre fédéral Stéphane Dion a
été élu chef du Parti libéral du Canada (PLC) qui forme l’opposition officielle
au parlement canadien au congrès du parti le week-end dernier.
Au quatrième tour, Dion a obtenu un décisif
55 pour cent des voix contre 45 pour cent pour son adversaire Michael
Ignatieff, un écrivain et un universitaire bien connu internationalement pour être
un apologiste libéral de l’invasion illégale de l’Irak et de la suppression des
droits démocratiques à l’intérieur de l’administration Bush.
Ministre canadien des Affaires
intergouvernementales de 1996 à 2004, Dion s’est fait un nom politique en
prenant la tête de la poussée de l’élite dirigeante canadienne après le
référendum québécois de 199 pour développer une stratégie anti-démocratique et
dure — qui était nommé « le plan B » — à une future crise sécessionniste.
Comme plusieurs candidats à la direction du
Parti libéral, Dion a dénoncé l’actuel gouvernement minoritaire conservateur
pour se soumettre à l’administration Bush dans les affaires mondiales et pour implémenter
des politiques socio-économiques « non généreuses » punissant les
sections les plus vulnérables de la société.
Il tente de faire oublier que le gouvernement
conservateur actuel ne fait que continuer sur la voie de droite ouverte par les
gouvernements libéraux de Jean Chrétien et de Paul Martin dans lesquels Dion a
loyalement servi. Durant leurs douze années au pouvoir (1993-2006), les
libéraux ont imposé les plus importantes compressions budgétaires sociales de l’histoire
canadienne, retirant à la majorité des chômeurs leur droit aux prestations d’assurance-chômage,
implémentant des diminutions d’impôts massives profitant surtout à la grande
entreprise et aux biens nantis, joignant les guerres menées par les Etats-Unis contre
la Yougoslavie et l’Afghanistan et passant des lois anti-terroristes
draconiennes qui donnent à l’Etat le pouvoir de détenir des individus
indéfiniment sans accusation.
Et alors que Dion et la plupart des autres
candidats à la direction ont critiqué les conservateurs pour leur politique en
Afghanistan, les libéraux, tant comme les conservateurs de Stephen Harper,
appuient entièrement la guerre de type colonial que les Forces armées
canadiennes mènent dans le sud de l’Afghanistan.
Suivant les traces d’Al Gore, Dion a fait de
son appel pour la protection de l’environnement, particulièrement pour réduire
les gaz à effet de serre, le cœur de sa campagne à la direction du parti —
adoptant même le vert, plutôt que le rouge traditionnel des libéraux, comme
couleur thématique de sa campagne.
Dion n’était pas le premier de l’establishment
de son parti. Lorsqu’il est entré dans la course, on lui donnait peu de chances
de gagner, principalement parce qu’il lui manquait un réseau de supporteurs et
beaucoup de charisme. Des quatre plus importants candidats dans la course —
ceux qui ont obtenu plus de 15 pour cent des délégués — Dion était celui qui
est entré dans la course avec le plus petit nombre d’appui de députés libéraux.
Mais la campagne de Dion a bénéficié de
beaucoup de couverture médiatique favorable dans les derniers mois. Dans le
dernier droit de la course, il a été endossé de plusieurs quotidiens importants
comme le Globe and Mail, le porte-parole traditionnel des banques et des
maisons de courtage, ainsi que de la Montreal Gazette.
Un sondage ayant eu lieu peu de temps avant
le congrès montrait que Dion était le deuxième choix, et par beaucoup, de la
plus grande partie des délégués au congrès libéral. Il faut ajouté que le parti
était profondément divisé suite à la campagne de Martin, menée avec le soutien
des grands médias, pour chasser le premier ministre Chrétien et qu’il est
indécis sur la façon de se repositionner après que la grande entreprise se soit
ralliée de façon décisive derrière les conservateurs lors de la dernière
campagne électorale fédérale l’hiver dernier.
Les médias de la grande entreprise ont
chaudement accueilli la victoire de Dion. Le Globe and Mail titrait son
principal éditorial lundi : « Le choix malin des libéraux »,
alors que le Toronto Star, le quotidien le plus identifié au Parti
libéral, a écrit que « la victoire de Dion a été décisive et bien méritée ».
Mais certains dissidents se sont exprimés. Dion est perçu
par l’élite québécoise, fédéraliste et indépendantiste, comme un opposant
implacable à ses tentatives d’obtenir davantage de pouvoirs constitutionnels
pour le Québec. Au même moment, de l’Ouest, sont venus des commentaires se
plaignant que les libéraux aient encore choisi un Québécois comme chef. (Quatre
des cinq derniers chefs libéraux représentaient des circonscriptions
québécoises au parlement.)
Au commencement de la course à la direction du Parti
libéral il y a dix mois, Ignatieff, qui récemment avait été encouragé par
d’importants membres du Parti libéral de quitter l’Université Harvard pour
revenir au Canada, était perçu comme le grand favori pour remporter la course.
Mais finalement, la candidature d’Ignatieff a été
fatalement compromise par deux choses : son appel à la réouverture de la
constitution canadienne pour que l’on reconnaisse le Québec en tant que nation;
et son identification à l’administration Bush, dont la tentative de maintenir
la domination mondiale des Etats-Unis par la conquête de l’Irak a été perçue de
plus en plus par l’élite dirigeante américaine comme un fiasco sans précédent
qui menace de sérieusement porter atteinte aux intérêts à long terme de l’impérialisme
américain.
Ignatieff a soutenu que la reconnaissance du Québec comme
nation à l’intérieur du Canada pourrait aider à défendre l’adoption de la
constitution du Canada de 1982 par l’Assemblée nationale du Québec et ainsi
renforcer l’Etat fédéral. Mais les opposants libéraux d’Ignatieff, les médias
et l’establishment politique du Canada anglais ont catégoriquement condamné la
proposition, affirmant que cela constituait la preuve qu’Ignatieff était peu
expérimenté et que l’on ne pouvait se fier sur lui. Les plus puissantes
sections de la classe dirigeante canadienne sont hantées par la série de crises
constitutionnelles qui ont ébranlé l’Etat canadien au cours des trois dernières
décennies et en sont venues à voir toute réouverture de la constitution comme
une source d’importants dangers. De plus, elles craignent que le fait d’évoquer
la nation québécoise fournisse à leurs opposants indépendantistes des munitions
légales et politiques lors d’une future crise sécessionniste.
Ironiquement, les efforts d’Ignatieff pour donner une couverture
libérale à la guerre impérialiste en Irak et à l’assaut sur les droits
démocratiques étaient au départ la raison qui l’avait avantagé aux yeux de
nombreux libéraux en vue. Le parti de l’establishment est profondément conscient
des plaintes de la grande entreprise canadienne à propos de Chrétien et Martin
qui irritaient inutilement Washington et de l’enthousiasme de celle-ci pour les
tentatives des conservateurs visant à promouvoir le militarisme et habituer la
population aux Forces armées canadiennes en guerre.
Mais la crise de l’administration Bush à la suite de
l’élection du Congrès du mois dernier a fait prendre une pause à l’élite
canadienne, tout comme aux autres bourgeoisies, afin que celles-ci
reconsidèrent et révisent leurs politiques et stratégies.
Dans des conditions ou le peuple américain et la classe
dirigeante des Etats-Unis, pour des raisons toutefois fort différentes, ont
perdu confiance en la politique en Irak de l’administration Bush, où
l’intervention du Canada en Afghanistan devient de plus en plus un bourbier, et
où la population canadienne demeure en très grande majorité hostile à Bush, l’élite
dirigeante du Canada a considéré qu’il ne serait pas sage d’avoir ses deux
principaux partis dirigés par des politiciens ouvertement associés à
l’administration Bush et ses crimes.
Pour ces raisons, le Parti libéral et les médias se sont
distancés d’Ignatieff.
En gardant une certaine distance entre eux et Bush et
Harper, les libéraux se positionnent pour jouer le rôle qu’ils ont
traditionnellement joué : se présenter comme les opposants d’un programme
de droite, et en implémenter ensuite les éléments centraux. Continuellement,
entre 1993 et 2006, les libéraux de Chrétien et de Martin ont imposé les
propositions politiques des réformistes, de l’Alliance canadienne et du Parti
conservateur.
L’agonie du
libéralisme
Comme Ignatieff, Bob Rae qui a terminé troisième dans la course à la
direction, était nouveau dans le Parti libéral.
Alors qu’il était premier ministre de l’Ontario entre 1990 et 1995, le néo-démocrate
Rae a sabré dans les dépenses sociales, imposées des contrats de travail avec
des coupures de salaire et d’emploi à un million de travailleurs du secteur
public et introduit l’aide sociale conditionnel à l’emploi. Les dernières
années de son mandat ont été marquées par l’opposition de masse de la classe
ouvrière.
Mais l’érosion de la base d’appui traditionnel pour le Parti libéral, le
principal parti gouvernemental de l’élite dirigeante canadienne depuis 1896, est
telle que plusieurs libéraux croyaient que ce renégat social-démocrate serait
leur meilleur pari pour reprendre le pouvoir. Au troisième tour du scrutin, Rae
avait rallié l’appui de près de 30 pour cent des délégués.
Alors que les médias expliquent la chute du membership et de l’allégeance envers
le Parti libéral à l’arrogance des libéraux et à une série de scandales, la plupart
relativement mineurs, la vraie raison de la diminution de l’appui populaire pour
les libéraux vient du gouffre croissant qui existe entre, d’un côté, le
programme de la grande entreprise imposé par le Parti libéral alors qu’il était
au pouvoir et, de l’autre, les besoins et aspirations des travailleurs.
Pendant des décennies, le Parti libéral ainsi que tous les autres partis, incluant
le Parti québécois bénéficiant de l’appui des syndicats et le NPD, ont démoli les
services publics et sociaux. Le gouvernement libéral de Trudeau, considéré
comme le summum du libéralisme canadien, est entré en collision frontale avec
la classe ouvrière.
Dion utilise à fond la rhétorique libérale pour tenter d’accroître son appui
électoral, promettant des politiques progressives et un engagement à la justice
sociale. Mais il a déjà un long dossier en tant que ministre au sein du
gouvernement canadien le plus à droite depuis la grande dépression – titre que
lui dispute peut-être l’actuel régime Harper.
La principale cause de la célébrité de Dion, la Loi sur la clarté, établit
que le parlement fédéral est seul arbitre pour décider si le résultat d’un
futur référendum québécois constitue un mandat pour la sécession et menace le
Québec qui se séparerait de partition — une menace qui, considérant l’histoire
tragique des partitions au 20e siècle, a une forte odeur de violence.
Dion espère sans doute que son programme environnemental sera erronément
compris par une section de l’électorat comme étant dirigé contre les intérêts
corporatifs rapaces. Mais lorsqu’il est devant un auditoire composé de gens d’affaires,
il s’efforce de rendre clair que son programme environnementaliste vise à vivifier
l’entreprise canadienne et non pas à lui nuire. Dion déclare, « Nous
allons exporter nos connaissances [environnementales] et nous allons faire des mégatonnes
d’argent. »
Alors que les médias espèrent que Dion va redonner une certaine crédibilité
aux libéraux, pour en faire ainsi un instrument plus efficace pour manipuler
l’opinion publique, ils avisent Dion d’être prudent et de ne pas faire des
promesses visant à améliorer le lot des travailleurs, même vaguement.
« M. Dion, affirmait le Globe and Mail, devrait
reconnaître ce qu’est le Parti libéral, louvoyer au centre économique et abandonner
la teinte rosée de ses politiques collectives. »
(Article original anglais publié le 5
décembre 2006)