La rencontre au sommet de jeudi entre le
président américain Bush et le premier ministre irakien Nouri al-Maliki a fait
la démonstration de la crise de l’occupation américaine et des mesures
réactionnaires que Washington prépare dans une tentative de garder sa poigne
sur ce pays ravagé par la guerre.
La location du sommet avait en soi une
signification symbolique : le chef d’Etat de la plus grande puissance
militaire au monde ne pouvait pas visiter le pays qu’il a désigné pour invasion
et occupation, plus de trois ans après avoir déclaré avec fanfare : « Mission
accomplie ». Bush n’a même pas risqué de se rendre quelques heures dans la
Zone verte fortifiée au centre-ville de Bagdad. Plutôt, la Maison-Blanche a
organisé la rencontre à Amman, la capitale de la Jordanie voisine, un pays dont
la monarchie règne sur une population majoritairement palestinienne à l’aide de
subsides et d’armes américains.
Une visite de Bush à Bagdad non seulement
aurait été un cauchemar quant à la sécurité, mais elle aurait aussi été une provocation
politique et pourrait avoir fait tomber le gouvernement Maliki. La colère est
telle dans la population majoritairement chiite envers les préparatifs
américains pour une offensive dans Sadr City, un quartier largement chiite situé
dans les banlieues est de Bagdad, qu’une large section de la coalition chiite
au pouvoir a menacé de retirer son appui à Maliki si le premier ministre participait
au sommet.
Maliki a annulé une réunion avec Bush et le
roi Abdullah II de Jordanie, prévu pour mercredi, au moins en partie pour
apaiser ses critiques chiites en Irak. Le premier ministre était aussi
clairement en colère que la Maison-Blanche ait laissé coulé une note résumant
la visite à Bagdad le mois passé du conseiller à la sécurité nationale Stephen
Hadley, suggérant que le dirigeant irakien était soit incompétent, soit malhonnête
parce qu’il s’opposait à un assaut militaire sur l’Armée du Mahdi, la milice
chiite qui contrôle Sadr City.
Le sommet a finalement eu lieu jeudi matin.
Bush et Maliki ont alors rencontré les journalistes pour une brève conférence
de presse. Bush a prononcé une déclaration préparée qui était notable pour
ignorer entièrement les réalités bien connues du terrain en Irak. Il décrivait
Maliki comme un dirigeant élu choisi lors d’une élection où 12 millions de
personnes avaient voté, même s’il est devenu premier ministre seulement après
que les occupants américains ont demandé et obtenu le départ de son prédécesseur,
Ibrahim Jafaari qui avait, lui aussi, été « librement choisi ». L’administration
Bush a manœuvré pour écarter Jafaari parce qu’il refusait d’agir militairement
contre les milices chiites, la même plainte faite aujourd’hui contre son successeur.
Le président américain a décrit Maliki
comme le dirigeant d’un « gouvernement souverain », même s’il est le
produit de l’occupation américaine, un régime fantoche dont le pouvoir est
inexistant hors de la Zone verte. Maliki s’est plaint à plusieurs occasions qu’il
ne contrôle pas une seule unité des forces américaines ou même irakiennes
opérant sur le territoire de son pays.
Bush a louangé les progrès du comité mixte
sur l’accélération du transfert de la responsabilité de la sécurité, un comité
de liaison qui était obscur jusqu’à tout récemment qui organise prétenduement
le transfert du commandement militaire du marionnettiste à la marionnette.
Bush a déclaré que « le succès en Irak
exigeait un Irak uni où la démocratie est préservée, où le droit prévaut et où les
droits des minorités sont respectés ». Selon ces critères, évidemment, l’intervention
américaine est un échec colossal. L’Irak n’est ni uni, ni démocratique, mais un
pays dont toute la structure sociale et politique a été détruite par l’intervention
américaine, descendant rapidement dans la barbarie de la guerre civile.
La violation la plus effrontée de la
« loi » a été l’invasion américaine elle-même, menée en violation du
droit international et de l’opinion publique mondiale. Pour ce qui est des
« droits des minorités », les Irakiens qui sont maintenant devenus
des minorités dans leurs propres quartiers — les chiites vivant dans des zones
majoritairement sunnites, et les sunnites dans les zones contrôlées par les
chiites — sont obligés de fuir pour survivre alors qu’une forme
particulièrement violente de nettoyage ethnique est maintenant devenue la
norme. Le bilan des victimes du mois dernier, causées surtout par la violence
sectaire, a dépassé 3700 et environ 655 000 personnes ont été tuées depuis
que les premiers chars d’assaut américains ont traversé la frontière en mars
2003.
Même les serviles médias américains se sont
vus obligés de contredire les efforts de l’administration Bush pour présenter
l’Irak comme une démocratie en développement, alors que le réseau de télévision
NBC et plusieurs importants journaux ont annoncé cette semaine qu’ils
décriraient à partir de maintenant les conditions en Irak comme celles d’une
guerre civile. Malgré le caractère tempéré de cette rebuffade à la
Maison-Blanche, elle est d’une véritable signification politique : la
définition mine la prétention de Bush que la guerre en Irak est principalement
une lutte contre le terrorisme international.
Le seul élément important à avoir émergé du
sommet d’Amman est une autre déclaration de Bush qu’il n’y aurait pas de
changement de cap en Irak. Durant sa visite, d’abord au sommet de l’OTAN à
Riga, en Lituanie, et ensuite en Jordanie, il a fait référence aux spéculations
médiatiques bien répandues selon lesquelles le Groupe d’étude sur l’Irak, un
comité bipartisan créé par le Congrès et dirigé par l’ancien secrétaire d’Etat
James Baker, recommanderait au moins un retrait partiel des troupes
américaines.
À Riga, Bush s’est donné du mal pour
étouffer l’idée, affirmant, « il y a une chose que je ne ferai pas :
je ne vais pas retirer les troupes du champ de bataille tant que la mission
n’est pas complétée ». Il a réaffirmé cette position en arrivant à Amman
mercredi, déclarant aux journalistes : « Il n’y a rien de réaliste
dans tout ce discours à propos d’un retrait élégant. »
Bush a abordé la question encore une fois à
la conférence de presse de jeudi lorsque les journalistes l’ont questionné à
plusieurs reprises, lui et Maliki, au sujet d’un échéancier pour le transfert
des responsabilités de sécurité, tentant de relier cette question à une
certaine forme de retrait des troupes. « On me pose cette question des
échéanciers depuis le début », a déclaré Bush, visiblement irrité.
« Tous les échéanciers sont des échéanciers pour un retrait de
troupes », a-t-il ajouté. « Cela ne fait qu’entretenir de fausses
attentes. »
Les articles de jeudi, basés sur des
divulgations de membres du Groupe d’étude sur l’Irak, montrent que les
recommandations du comité, qui devraient être dévoilées le 6 décembre,
équivalent essentiellement à une prolongation illimitée de l’occupation
américaine en Irak. Ce que les commentaires médiatiques qualifient de
« retrait » n’est rien de plus qu’un redéploiement des forces
américaines, à l’intérieur et en périphérie de l’Irak, afin que les troupes
américaines jouent principalement un rôle de réserve et d’entraînement, avec
certaines unités disponibles pour des offensives militaires particulières,
alors que les forces irakiennes patrouilleraient au front. Même si les
propositions du Groupe d’étude sur l’Irak étaient adoptées par l’administration
Bush, ce qui est loin d’être sûr, il pourrait encore y avoir 70 000
soldats américains ou plus en Irak dans dix ans.
Il n’existe aucun appui sérieux, ni dans
les médias et ni dans le Parti démocrate — à la veille de prendre le contrôle
du Congrès à la suite des élections du 7 novembre — pour un retrait des troupes
américaines dans un avenir rapproché. L’ancien président Bill Clinton a
réaffirmé sa propre opposition à un échéancier pour un retrait des troupes dans
une déclaration qu’il a faite jeudi.
Selon un article du Los Angeles Times du
29 novembre, le Pentagone prépare sa plus grande demande de crédits d’urgence à
ce jour pour financer les guerres en Irak et en Afghanistan et les « autres
opérations militaires liées à la guerre contre le terrorisme de l’administration
Bush ». Les dirigeants du Congrès se sont fait dire que la somme demandée
serait comprise dans la fourchette de 127 à 150 milliards $, le chiffre
exact sera déterminé lorsque la loi sera publique en février prochain.
Le Times a noté que les démocrates n’avaient
que des objections sur les questions de procédure, voulant limiter les crédits
supplémentaires à 80 à 100 milliards $, non pas en réduisant les dépenses, mais
en transférant le financement sur la loi des crédits régulière. Le journal
concluait : « il n’y a aucun doute qu’un grand supplément sera adopté
ont dit des sources démocrates ».
Il faut noter comment les deux partis ont complètement
répudié le verdict des électeurs du 7 novembre, qui ont retiré le contrôle des
deux chambres du Congrès aux républicains dans une puissante démonstration d’opposition
à la guerre en Irak qui fut renforcée par la colère sur les conditions de vie
se détériorant au pays. Les sondages à la sortie des scrutins ont établi que 55
pour cent de ceux qui avaient voté favorisaient un retrait immédiat de tout ou
d’une partie des troupes hors de l’Irak. C’est le retrait immédiat et complet
des troupes qui représentait l’option la plus populaire (29 pour cent).
Mais dans les semaines qui ont suivi le
vote, ce fut une proposition après l’autre pour l’augmentation du nombre des
soldats en Irak, la plus récente étant les plans du Pentagone pour transférer
de 3000 à 18 000 soldats dans le pays, principalement pour renforcer les
patrouilles à Bagdad, en préparation d’un assaut de l’Armée du Mahdi.
Comme le chroniqueur en ligne du Washington
Post sur les affaires militaires William Arkin l’a noté dans un commentaire
parmi d’autres sur ce sujet : « De la façon folle qui caractérise Washington,
depuis que les élections ont fait soufflé un vent démocrate sur le pays causé par
le mécontentement public envers la guerre en Irak, le mouvement dans les halls
vides a été pour le développement de la présence militaire américaine en Irak. »
L’administration Bush est dans une crise
désespérée, affaiblie par sa répudiation électorale, mais plus fondamentalement
par la faillite de son intervention en Irak. Le but de son aventure militaire n’était
pas de parrainer la « démocratie » au Moyen-Orient, le dernier et
peut-être moins crédibles des mensonges de la Maison-Blanche. Le but était de
contrôler un pays qui possède les deuxièmes plus grandes réserves en pétrole au
monde et d’établir un bastion stratégique au Moyen-Orient. Combiné avec le
contrôle de l’Afghanistan et une présence militaire américaine de plus en plus
importante en Asie centrale, l’impérialisme américain serait ensuite en
position de dominer les régions qui fournissent le gros du pétrole mondial.
Le Parti démocrate, peu importe ses critiques
de l’incompétence militaire et politique de l’administration Bush pour la façon
dont elle a menée la guerre en Irak, défend l’impérialisme américain tout
autant que les républicains. C’est ce qui explique l’accord parmi les
dirigeants démocrates, peu importe leurs divergences sur les questions
tactiques, qu’il ne peut être question de la légitimité et de la légalité de la
guerre en Irak, et qu’on ne peut même suggéré les raisons prédatrices qui se
cache derrière elle. Ils s’entendent tous à considérer la guerre comme une
erreur, pas comme un crime.
(Article original anglais paru le 1er
décembre 2006)