Visitez le site anglais du
WSWS SUR LE SITE :
AUTRES
LANGUES
|
Les très riches aux États-Unis: «De l’argent difficile à imaginer» Par David Walsh Utilisez cette version pour imprimer «Laissez-moi vous parler des très riches», sont des paroles célèbres qu’a écrites F. Scott Fitzgerald dans une nouvelle de 1926. «Ils sont différents de vous et moi». Mais même Fitzgerald ne pouvait imaginer combien différents «de vous et moi» les très riches allaient devenir huit décennies plus tard. Les sommes à la disposition des très riches aux États-Unis sont pratiquement inimaginables: un cadre de l’industrie du pétrole, Lee Raymond, a reçu quelque $400 millions pour sa retraite; la rémunération du président de banque Richard Fairbank a totalisé quelque $280 millions pour l’année 2005; les stock-options de Omid Kordestani, vice-président des ventes mondiales de Google, lui ont valu $288 millions l’an dernier. L’accumulation se fait de façon effrontée. Ce qui par le passé aurait été considéré comme un fait quelque peu déshonorant de la vie sociale, la prolifération de milliardaires, est maintenant acclamé comme un symbole de la réussite américaine. La chute de l’Union soviétique et la soi-disant absence d’alternative au capitalisme, la putréfaction des syndicats de l’AFL-CIO, l’effondrement ignominieux du libéralisme américain et le manque, jusqu’à maintenant, d’une opposition politique de masse organisée contre l’élite dirigeante et ses deux partis ont rendu l’aristocratie financière américaine «étourdie par le succès.» Ces gens ont perdu la tête. Face à l’indignation publique sur les profits des compagnies de pétrole et les prix d’essence en hausse, Exxon a défendu avec arrogance les centaines de millions de Raymond, prétextant qu’ils récompensaient son «leadership exceptionnel de la compagnie, sa consolidation soutenue de notre position compétitive mondiale, et son progrès continu vers la réalisation d’objectifs stratégiques à long terme». La compagnie a ajouté qu’elle considérait la rémunération de Raymond «convenablement évaluée». Dans une étude publiée en octobre 2005, trois professeurs en comptabilité ont rapporté qu’une couverture de presse négative, parfois même blessante, «ne modifie pas substantiellement le comportement corporatif en ce qui a trait aux rémunérations». L’establishment américain est quasiment indifférent aux sentiments de larges couches de la population. En réaction à un rapport faisant état de l’immense gouffre social qui ne cesse de s’accroître, un porte-parole pour la Chambre des affaires de l’état de New York a déclaré à un journaliste que les revenus gagnés par les riches de son état étaient «quelque chose qui devrait rendre heureux quiconque se soucie de New York». Il existe comme jamais auparavant, au moins dans l’histoire américaine moderne, un monde de la richesse complètement isolé du reste du monde. Selon un sondage mené par Spectrem Group, le nombre d’Américains ayant des capitaux de $1 million et plus a atteint 7,5 millions en 2004. En plus de ceux-ci, se retrouvent toutefois ceux qui possèdent une «valeur nette ultra élevée», terme mélodieux inventé par Merrill Lynch aux alentours de 2001. Ce sont des individus vivant dans des familles d’une valeur nette de $5 million ou plus. Dans un pays de 300 millions de personnes, ces individus représentent un très petit pourcentage de la population, mais pas un nombre insignifiant en termes absolus. La vie économique, politique et culturelle des États-Unis est organisée, dans une immense mesure, à leur avantage. Cela n’est pas seulement obscène ou injuste, cela est socialement irrationnel et immensément destructeur. Comment est-il possible d’allouer des ressources, de réparer et de renouveler les infrastructures, de réaliser une planification à long terme, de guérir des maux sociaux, lorsque le principe directeur officiel est la capacité d’une élite oligarchique d’accumuler sans cesse plus de richesse personnelle? L’attraction gravitationnelle d’une telle richesse s’affirme dans tous les aspects de la vie. Le New York Times a rapporté l’an dernier un phénomène relativement nouveau: des revues orientées complètement vers les très riches. La maison de publication, Absolute Publishing, a noté le Times, venait à peine d’entreprendre une publication intitulée Absolute, «pour distribution aux New-Yorkais ayant un revenu immobilier annuel estimé à au moins $500.000». Le rédacteur en chef de Absolute, Ernest J. Renzulli, vise un public de seulement 60.000 résidents new-yorkais. Il a trouvé son lectorat cible «en effectuant le tri des bases de données des codes postaux des quartiers les plus riches de New-York, sélectionnant les gens qui avaient acheté des maisons de plus de $2 millions et ceux qui possèdent des voitures, des bateaux ou des avions, enregistrés à des valeurs de plus de $75,000». «C’est un petit nombre», a dit Mr. Renzulli, cité par le Times. «Mais ce n’est pas une revue qui tente d’avoir une portée de masse. Elle cherche à rejoindre le haut de la pyramide». Le Times a noté l'estimation présentée par Michael Silverstein, un dirigeant du Boston Consulting Group et coauteur du livre Trading Up: The New American Luxury [Le nouveau luxe américain]. Selon la projection de Silverstein, en 2010 les Américains dépenseront mille milliards de dollars en articles de luxe. Le Times poursuit: «Dans un monde médiatique de plus en plus fragmenté, les riches vivent de plus en plus dans leur propre coin. Qu'ils aient un goût pour la mode, les bijoux ou les yachts de luxe, ils ont tous un point en commun: une source de revenus apparemment inépuisable.» Cela doit être en effet un problème que d'être assis sur des dizaines de millions ou des centaines de millions ou plus: comment dépenser tout cet argent? Ceux «qui nagent dans l'argent» (l'expression du Times) doivent se casser la cervelle et consacrer des heures à la résolution de ce problème. Comment avoir une minute de repos? Une personne ne doit-elle pas avoir un certain degré d'ingéniosité pour arriver à trouver des façons de dépenser une telle fortune? À en juger par les résultats publiés, non, pas spécialement. Dans une large mesure, les fabuleusement riches ont obtenu leur fortune par un héritage, la bourse, la bulle spéculative immobilière, des investissements chanceux en technologie ou, peut-être, le militarisme américain - bref, par les processus économiques et sociaux semi-automatiques associés à la baisse du niveau de vie de millions de personnes aux États-Unis et la super exploitation des masses dans les pays pauvres. Ils ne sont pas brillants ou remarquables en aucune façon, sauf peut-être dans la profondeur de leur avarice et de leur étroitesse d’esprit. Nous apprenons donc que Paul Allen de Microsoft possède un «giga-yacht» de 414 pieds, valant $250 millions, avec 7 ponts, deux pistes pour hélicoptère, une piscine, un terrain de basket-ball, une infirmerie, un garage pour Land Rovers, un cinéma, une salle de concert de 260 places et un studio d'enregistrement. Pour ne pas être en reste, Larry Ellison du géant de l'informatique Oracle, possède son yacht géant de 452 pieds de long. Le vaisseau de Ellison a 5 étages, 82 chambres, «une cave à vin de la grandeur du bungalow moyen qui borde la plage, et une génératrice suffisamment puissante pour fournir en électricité une petite ville d'Idaho ou du Maine… Coût total: $377 millions.» (Associated Press) Les gens de l'élite riche s'achètent aussi des avions, rapporte Business Week: des Airbus A340 et des Boeing 777, estimés à plus de $100 millions. Des ajouts personnalisés ajoutent quelque $25 à $30 millions au coût. Le marché des «grosses bagnoles» prospère également. Ocean Drive, l'une des nouvelles revues consacrée aux fortunés, a publié un article sur Michael Fux, dont la compagnie Sleep Innovations fabrique des produits Memory Foam. Fux a une collection d'environ 50 voitures de luxe. Il a récemment pris possession d'une Ferrari FXX de $2 millions: il y en a seulement 20 dans le monde. Dans un article décrivant les nouveaux «très riches fanatiques de grosses bagnoles» qui font la collection de Ferrari, de Maserati et de Bugatti, USA Today cite les commentaires d'un vendeur d'autos du sud de la Californie: «Il y a une nouvelle race de collectionneurs qui est apparue ces trois ou quatre dernières années. Ils gagnent presque tous des sommes d'argent difficiles à imaginer.» Un grand malaise persiste pourtant dans ces cercles. Un courtier de yacht a indiqué à Associated Press qu' «un changement important dans l'attitude des très riches aux États-Unis» a pris place au lendemain du 11 septembre. «Les clients me disent: "J'aurais pu être dans les tours jumelles, et avoir à sauter par la fenêtre." Les riches se disent maintenant: on peut mourir n'importe quand. Personne ne peut vous protéger. Tout autant dépenser et jouir de son argent maintenant.» De la même façon, dans son analyse des tendances qui poussent des individus très riches à acheter de gros jets, Business Week note: «À cause de plus grande préoccupation sur la sécurité, surtout depuis le 11 septembre, certaines gens d’affaires se servent de leur avion en tant que base d’opération dans leurs voyages d’affaires. Plutôt que de se rendre à l’hôtel ou au bureau après leur atterrissage, elles restent simplement à bord … » L’expression «consommation ostentatoire», inventée par Thorstein Veblen dans son livre Théorie de la classe de loisir écrit en 1899, fait à peine justice à la situation présente. Il y a un élément important de témérité, même de désespoir, dans les dépenses obsessives. Lancer l’argent au vent est difficilement un signe d’optimisme historique ou de confiance au sein de l’élite face à son avenir ou à l’état général de santé de l’ordre social américain. Au plus fort de l’hégémonie économique mondiale des États-Unis dans les années 1950, on attendait des directeurs de sociétés qu’ils mènent des vies calmes, s’occupant modestement de l’économie du pays. Naturellement, ils se remplissaient les poches, mais personne ne s’attendait à ces qu’ils vivent comme des pharaons. En 1957, la revue Fortune a écrit qu’il y avait environ 250 personnes aux États-Unis qui possédaient $50 millions ou plus. La plus riche d’entre elles, le magnat du pétrole J. Paul Getty, était seule dans la catégorie des $700 millions au milliard. Aujourd’hui, avec l’équivalent de 50 millions de cette époque, soit environ 350 millions, un individu n’est même pas près de faire la liste des 400 personnes les plus riches selon la liste de 2005 de Forbes (qui commence à 900 millions). Getty occuperait une place entre le 31ème et le 42ème rang. La liste des Américains les plus riches d’il y a un demi-siècle comportait des noms célèbres: Rockefeller, Harriman, Mellon, duPont, Astor, Whitney et Ford, ainsi que le quartet associé à General Motors, Alfred P. Sloan Jr., Charles F. Kettering, John L. Pratt and Charles S. Mott. Ils étaient des capitalistes impitoyables, mais leur fortune était basée, directement ou indirectement, sur la croissance des forces productives. Aujourd'hui, la liste des super-riches montre une croissance extraordinaire du parasitisme. Un exemple est la liste des «400» de Forbes, qui comprend un nombre extraordinaire de gens dont la richesse, selon la revue, provient de «placements», «fonds de couverture» ou «rachats», de «l'immobilier», de «la mode», etc. On y retrouve peu des «capitaines de l'industrie» d'autrefois. Une lecture des publications telles que Ocean Drive, Gotham ou Los Angeles Confidential jette une certaine lumière sur les goûts et opinions de ces très riches. L'expert immobilier Steven Gaines a confié à Gotham dans une récente entrevue que «là où vous choisissez de vivre vous définit davantage [à New-York] que dans n'importe quelle autre ville. Il y a un bon côté et un mauvais côté de la voie dans toute ville. Mais à New-York, l'étage où vous habitez, l'orientation de votre appartement, si vous êtes à un pâté de maisons plus loin, en dit énormément sur qui vous êtes et sur votre sens de l'aventure.» Ce thème, l'argent est vraiment tout, revient à maintes reprises dans les études sur l'élite américaine contemporaine. La journaliste du Times, Katharine Q. Seelye a, dans son article sur les revues pour gens fortunées, décrit ces publications en ces mots : «La plupart des revues se basent sur la même formule: photographie extravagante sur papier épais, portraits flatteurs de personnalités locales et compte-rendus de leurs rencontres sociales… Les revues permettent aussi aux lecteurs d'acheter aisément ce qu'ils voient sur la page, que ce soit dans une publicité ou un article - et il est souvent difficile de faire la différence, car les revues ont élevé la publicité pour produits commerciaux à une forme d'art». Les revues semblent à première vue n'être rien d'autres que des annonces dispendieuses pour vêtements, montres, condos et automobiles - à raison de centaines de pages (Los Angeles Confidential a 350 pages, Ocean Drive 530!). La table des matières, les colonnes de commérages et les articles font peu d'efforts pour se mettre en évidence. Ils laissent humblement la place aux photos couleur de sacs à main, bracelets et automobiles. De telles revues ne sont que des façades pour la mise en marché de produits très chers. C'est une façon relativement commode de faire savoir à une clientèle particulière ce qu'il y a à acheter ce mois-ci. Et ce n'est pas une chose que les personnes impliquées auraient honte d'admettre. Non, nous n'en sommes plus là. Gotham semble se spécialiser dans le commérage immobilier, ce qui est à propos à Manhattan, ruinée par les Trump et compagnie. Les histoires de vente et d'achat d'appartements sont racontées avec un zeste sensuel que d'autres pourraient trouver à raconter des histoires sexuelles salées. Dans un numéro récent, un article relate avec enthousiasme que «l'appartement en terrasse du défunt philanthrope Enid Haupt a été vendu, au moins trois fois. Le duplex de neuf pièces situé à 740 Park Avenue, avec deux chambres à coucher principales et trois salles de bains et demie, a été l'objet d'une offre acceptée au prix demandé de $27,5 millions.» La revue Unique Homes signale que Stanhope, sur la Cinquième Avenue de Manhattan, est actuellement en rénovation afin d'en faire 26 résidences de luxe. «L'espace est divisé en résidences de demi-étage d'environ 4.000 pieds carrés (commençant à $10 millions) et en résidences plein-étage mesurant plus de 8.000 pieds carrés ($30,5 millions en montant).» Le vieux Hôtel Plaza est également en train d'être transformé par un entrepreneur en résidences privées, 182 d'entre elles. Les unités de une à cinq chambres à coucher seront mises sur le marché à des prix allant de $2,5 millions à $33 millions et plus. On pourrait continuer, mais les grandes lignes sont
claires. Une aristocratie règne en Amérique, et elle a plus d'un trait
en commun avec l' ancien régime de la France pré-révolutionnaire.
Cette vaste accumulation de richesse à un pôle de la société est
incompatible, à la longue, avec même une démocratie de façade. Les
super-riches possèdent tout aux États-Unis, y compris les partis
politiques et le processus politique. Ils permettent à la population de
voter à ce point-ci, plus ou moins. Mais pour combien de temps? Avec une
montée de la résistance aux politiques de l'élite et le risque
d'effondrement du monopole des deux partis, pourquoi devrait-on
permettre à la populace d'avoir son mot à dire dans des affaires aussi
importantes que des élections?
|