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Canada: les certificats de sécurité et l'assaut sur les droits démocratiques

Par François Tremblay
2 avril 2006

Deux récents événements soulignent la nature anti-démocratique des «certificats de sécurité» émis par Ottawa ainsi que la détermination du gouvernement Harper et de l'élite dirigeante à intensifier l'assaut sur les droits démocratiques lancé par les gouvernements précédents sous le couvert de la «lutte au terrorisme».

Le premier est la construction annoncée d'une prison dédiée aux personnes détenues en vertu d'un certificat de sécurité, document légal autorisant le gouvernement à emprisonner une personne jugée une «menace» à la sécurité nationale sans avoir à porter d'accusations précises contre elle.

La prison spéciale sera construite au sein du pénitencier à sécurité maximale de Millhaven à Kingston, Ontario. Appelée à enfermer indéfiniment les personnes actuellement détenues à différents endroits, cette prison a été qualifiée à juste titre par la presse de «Guantanamo du Nord» ou «Guantanamo Lite», en référence à l'infâme prison américaine de Guantanamo à Cuba.

Quatre individus y seront bientôt transférés: Mohamed Harkat, détenu depuis décembre 2002; Hassan Almrei, détenu depuis octobre 2001; Mahmoud Jaballah, détenu depuis août 2001; et Mohammad Majhoud, détenu depuis juin 2000. Ce dernier a mené en 2005 une grève de la faim de 79 jours afin d'obtenir des soins médicaux de base et le droit de recevoir des visites mensuelles de ses deux enfants, âgés de six et huit ans. Les conditions de détention vont empirer dans la prison spéciale. Même construite à l'intérieur des murs de Millhaven, elle restera séparée du reste du pénitencier. Les prisonniers y seront gardés en tout temps à l'écart des autres détenus. Les autorités ont refusé d'indiquer la grandeur des cellules.

Le second événement à noter est le jugement rendu à la mi-mars par la Cour fédérale qui a invoqué le certificat de sécurité émis contre Mahmoud Jaballah pour lui refuser le statut de réfugié et autoriser sa déportation vers l'Égypte où il risque la torture et l'exécution.

Dans sa décision, le juge Mackay affirme que, selon la preuve, Jaballah ne peut recevoir la protection du Canada à titre de réfugié puisqu'il pose un risque trop élevé à la sécurité nationale. La preuve à laquelle réfère la Cour n'a jamais été divulguée à Jaballah ou à ses avocats. Ces derniers soupçonnent qu'une partie de cette preuve provient d'aveux soutirés par la torture dans les cellules de prison étrangère. L'utilisation de ce type de preuve est autorisée depuis l'adoption de la loi antiterroriste au lendemain du 11 septembre 2001.

Le juge Mackay reconnaît que sa décision viole la Convention internationale contre la torture, signée par le Canada, qui interdit en toutes circonstances la déportation vers un pays pratiquant la torture. Mais, ajoute-t-il, bien qu'elle soit un outil utile d'interprétation, la Convention ne s'applique pas aux personnes considérées être une menace à la sécurité nationale. Ce sera la troisième fois que la Cour fédérale refuse le statut de réfugié à une personne détenue en vertu d'un certificat de sécurité tout en admettant que sa décision risque d'entraîner la torture et la mort dans le pays d'origine.

Détention arbitraire

C'est en vertu d'un décret ministériel basé sur les informations fournies par les agences nationales de renseignement que le ministre de la sécurité publique signe l'ordre d'arrestation et de détention appelé certificat de sécurité. La personne dont le nom apparaît sur ce document peut être arrêtée à tout moment dans les jours qui suivent pour être enfermée 24 heures sur 24 dans une cellule sans qu'aucune accusation ne soit portée contre elle et sans qu'elle n'ait accès aux informations qui feraient d'elle une menace à la sécurité nationale.

«Combattant illégal» ou «menace à la sécurité nationale», dans les deux cas la personne visée glisse entre les mailles des garanties judiciaires historiquement offertes à tous les détenus, soit le droit de connaître la nature exacte des faits reprochés et du crime qui est commis, le droit d'être amené devant un juge et d'être entendu par un tribunal impartial lors d'une audience publique, et le droit d'être présumé innocent.

En 2005, la Cour fédérale a conclu que les certificats étaient constitutionnels, signifiant du même coup qu'au nom de la sécurité nationale et de la bienséance diplomatique - généralement auprès de pays pratiquant la torture - des pans entiers de la preuve peuvent être soustraits à l'examen public et demeurer la propriété des agences de renseignement et des juges. En dernier ressort, l'exécutif peut apposer son veto absolu à la divulgation de la preuve malgré l'objection du tribunal.

Cette décision de la Cour fédérale a été portée en appel et doit maintenant être tranchée par la Cour suprême en juin prochain. La plus haute instance judiciaire du Canada a déjà statué en 2002 que la déportation vers la torture et la mort est permise dans les cas exceptionnels.

Après le 11 septembre 2001, le gouvernement canadien a adopté une batterie de dispositions antiterroristes modifiant plusieurs lois, notamment le Code criminel et la loi sur l'immigration, dans le but de miner des principes démocratiques légaux de longue date et ouvrir la porte à des méthodes autoritaires de pouvoir.

Les certificats de sécurité existaient dans la loi sur l'immigration avant le 11 septembre 2001, mais c'est depuis cette date que leur utilisation est devenue le moyen privilégié du gouvernement dans sa prétendue lutte au terrorisme. La définition même du terrorisme a été élargie à tel point qu'une personne qui n'a commis ni planifié aucun acte terroriste peut être présumé terroriste par le gouvernement sur la simple base qu'elle aurait entretenu des liens avec des organisations qualifiées de terroristes.

Bien que les certificats de sécurité aient été dénoncés par de nombreux organismes internationaux et nationaux de défense des droits de la personne, le gouvernement a annoncé son intention d'en élargir la portée.

Actuellement la loi ne permet pas l'émission d'un certificat contre un citoyen canadien. Le gouvernement conservateur prévoit modifier la loi afin de se donner la possibilité de retirer la citoyenneté à un individu qui l'aurait obtenu frauduleusement, en cachant par exemple ses liens avec des organisations dites terroristes. Encore une fois, les éléments de preuve d'une telle fraude resteraient secrets.

La remise en question de principes démocratiques élémentaires par l'élite dirigeante se fait parallèlement à un tournant dans sa politique étrangère, le Canada cherchant à se tailler une place dans le partage néo-colonial en cours des ressources de la planète par une utilisation plus agressive des forces armées, comme en atteste sa présence militaire accrue en Afghanistan.




 

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