Par Rick Kelly et Antoine Lerougete
1 avril
2006
Le président français Jacques Chirac a annoncé hier qu'il ratifierait la loi du gouvernement sur le Contrat première embauche (CPE). La décision de Chirac d'aller de l'avant avec le CPE malgré l'opposition populaire écrasante et malgré les grèves et les manifestations qui continuent signifie que l'establishment politique se prépare à une confrontation décisive avec les travailleurs et les jeunes.
Le CPE permet aux employeurs de licencier les jeunes travailleurs sans justification jusqu'à deux ans après leur embauche. Dans une allocution télévisée qu'il a livrée hier soir, Chirac a répété les assertions du premier ministre Dominique de Villepin selon qui les attaques gouvernementales sur les conditions de travail aideront les jeunes sans emploi. «Il est temps de dénouer la situation en étant juste et raisonnable, avec comme exigence l'intérêt national» a déclaré Chirac, continuant «Quand il s'agit de l'intérêt national, il ne saurait y avoir ni vainqueur, ni vaincu».
Chirac n'a rien concédé d'important. Il n'a offert rien de plus que ce que Villepin avait déjà proposé, c'est-à-dire la modification de certains aspects de la loi. Plus précisément, Chirac a dit que la durée de la période d'essai passerait de deux ans à un an et a ajouté qu' «en cas de rupture du contrat, le droit du jeune salarié à en connaître les raisons sera inscrit dans la nouvelle loi». En d'autres termes, les sociétés peuvent toujours congédier les jeunes travailleurs à leur gré en autant qu'elles donnent une explication pour le congédiement. Les ajustements proposés demandent que la loi soit modifiée et approuvée par le parlement. Le CPE tel qu'il avait été formulé originalement est maintenant loi.
Le président en a appelé aux «partenaires sociaux», parlant des syndicats et des associations patronales. «Je sais leur sens des responsabilités, a-t-il déclaré. Je les invite, ainsi que les représentants des organisations étudiantes et lycéennes, à prendre toute leur part dans l'élaboration de ces nouvelles dispositions.»
Le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy a déclaré qu'il appuyait entièrement Chirac. «Je salue cette décision, qui est une décision sage et conforme à ce que l'immense majorité des parlementaires de l'UMP [Union pour un mouvement populaire] souhaitaient» a dit Sarkozy. L'appui qu'il offre au président en particulièrement significatif étant donné les critiques qu'il avait fait de Villepin et de certains aspects du CPE. Sarkozy et Villepin cherchent tous les deux à devenir candidat pour l'UMP aux élections présidentielles qui auront lieu l'an prochain.
Le front uni du gouvernement sur la question du CPE est le reflet de la situation objective à laquelle l'élite dirigeante est confrontée. La classe dirigeante ne peut plus se permettre de maintenir le «modèle social» français actuel et démantèle systématiquement les gains sociaux gagnés par les travailleurs dans la période d'après-guerre. Pour maintenir la position concurrentielle internationale du capitalisme français, tous les contraintes à l'accumulation du profit et à la richesse privée doivent être levées.
En autant que le gouvernement soit concerné, toute opposition populaire à son programme est illégitime. Chirac et Villepin ont rejeté toute conception que leurs réformes sociales et économiques doivent refléter de quelque façon que ce soit la volonté de la majorité de la population. L'establishment politique fonctionne maintenant de façon ouvertement antidémocratique, exécutant les instructions d'une petite couche d'oligarques financiers en opposition aux intérêts de la majorité de la population.
Les travailleurs et les jeunes en France ont organisé une série de manifestations de masse au cours du mois passé. Des dizaines de milliers d'étudiants sont en grève illimitée et ont dressé des barricades devant leurs lycées et leurs universités. Plus d'un million de travailleurs ont rejoint les jeunes dans un jour national d'action le 18 mars, et jeudi dernier, plus de deux millions de travailleurs et de jeunes en grève à travers la France ont manifesté. La grève nationale est la plus importante quant au nombre depuis plus de vingt ans.
Des milliers d'étudiants ont manifesté à Paris et d'autres villes après l'allocution télévisée de Chirac. Des jeunes à Bordeaux chantaient «Chirac démission» et «Grève générale jusqu'à satisfaction». Des étudiants à Paris ont marché de la Place de la Bastille jusqu'à la résidence officielle de Chirac pour dénoncer son discours.
Tous les sondages dont les résultats ont été publiés le mois passé ont montré l'opposition écrasante au CPE et l'hostilité croissante envers Chirac et Villepin. Le dernier sondage publié par Figaro Magazine montre que le taux de satisfaction envers Villepin n'atteint que 29 pour cent, celui envers Chirac à peine 20 pour cent. 78 pour cent de ceux qui ont été sondés ont dit ne pas faire confiance au président.
Qu'un gouvernement aussi faible et isolé se sente capable d'affronter le mouvement de masse contre le CPE est une indication que Chirac et Villepin ont confiance que ni les syndicats ni les partis de «gauche» ne défieront leur pouvoir.
Les organisations de la «gauche» française, les syndicats, le Parti socialiste, le Parti communiste et les soi-disant partis d'extrême gauche ont joué un rôle crucial pour stabiliser le gouvernement dans la crise provoquée par la mobilisation anti-CPE. Toutes ces organisations ont cherché à empêcher le mouvement de masse de se développer en une lutte pour faire tomber le gouvernement. Depuis le début, elles se sont préoccupées de préserver la stabilité de l'État et du capitalisme français.
C'est le regret que le président n'ait pas agit de façon plus responsable que l'on trouve comme thème dominant de la réponse des syndicats et des partis de la gauche au discours de Chirac. «Je crains qu'on n'aille pas vers l'apaisement social, a déclaré le dirigeant du Parti socialiste, François Hollande. Jacques Chirac «a, je crois, raté l'objectif qui devait être le sien: apaiser, faire comprendre une position de justice et de réconciliation. De ce point de vue, il y a beaucoup à craindre», a-t-il conclu.
Les déclarations des dirigeants syndicaux suivaient la même ligne. Avant le discours de Chirac, Jean-Claude Mailly, secrétaire général du syndicat Force ouvrière, a offert d'annuler la grève générale prévue pour mardi prochain si le président rescindait le CPE et tenait un nouveau débat parlementaire sur les propositions de réformes du marché du travail.
La prosternation abjecte des partis de «gauche» devant le gouvernement a été clairement montrée hier matin alors que onze organisations, y compris le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts et la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) ont publiée une déclaration conjointe en réponse à la décision du Conseil constitutionnel de confirmer la légalité du CPE.
Le texte, qui fut publié avant l'adresse à la nation par Chirac, n'était rien de plus qu'une lâche capitulation devant le président. «L'obstination du gouvernement, les déclarations provocatrices à répétition des membres du gouvernement sont irresponsables et favorisent un climat délétère, ont déclaré les partis. L'exécutif fait prévaloir des intérêts particuliers et ses luttes internes sur l'intérêt du pays Les organisations et partis politiques de gauche demandent solennellement à Jacques Chirac le retrait du CPE pour engager des négociations avec les syndicats puis revenir devant le Parlement. Sachant les conditions exceptionnelles de son élection en 2002, il porterait une grave responsabilité en promulguant la loi. Ce serait un coup de force inacceptable.»
Cette déclaration entièrement malhonnête avait pour but de semer les illusions les plus grossières dans la classe ouvrière et la jeunesse. On demande à Chirac d'agir de façon «responsable» et dans «l'intérêt national», comme s'il était un arbitre neutre au dessus du conflit plutôt que le principal instigateur de l'offensive anti-ouvrière qu'il est véritablement.
La référence dans la déclaration conjointe aux «circonstances exceptionnelles» de l'élection de Chirac en 2002 vaut la peine d'être soulignée. On veut rappeler que lors des dernières élections présidentielles, tous les partis de la «gauche» sont se ralliés à Chirac qui affrontait Jean-Marie Le Pen au second tour. Les partis de «gauche» espèrent toujours une contrepartie pour le rôle crucial qu'ils ont joué en présentant Chirac comme un défenseur de la démocratie et en l'aidant à obtenir 82 pour cent du vote exprimé. Toutefois, comme l'avertissait le World Socialist Web Site en 2002 lorsqu'il a fait campagne pour un boycott du scrutin antidémocratique par la classe ouvrière, Chirac a utilisé sa victoire pour intensifier la mise en oeuvre de son programme de droite.
Le rôle de la LCR dans ces manoeuvres sordides des onze organisations de «gauche» est particulièrement insidieux. La LCR, qui se décrit comme «anticapitaliste» et même trotskyste, a adopté la politique du front populaire de l'aile gauche de l'establishment politique dans le but d'empêcher le mouvement anti-CPE de défier l'État français. Le caractère entièrement cynique de cette organisation a été montré dans les faits. Dans une déclaration de la LCR publiée mercredi dernier, la LCR écrivait «En appeler à J. Chirac n'est qu'une diversion sans intérêt pour l'extension de la mobilisation». Moins de vingt-quatre heures plus tard, un des principaux dirigeants du parti, Alain Krivine, cosignait le document de ceux qui «demandent solennellement à Jacques Chirac le retrait du CPE».
Les travailleurs et les jeunes en France ne peuvent avancer leur lutte contre le CPE et le programme de droite du gouvernement sans lutter pour faire tomber le gouvernement de Chirac et Villepin. L'offensive de l'establishment politique contre la classe ouvrière ne peut être défaite qu'en établissant un gouvernement qui représente réellement les intérêts des travailleurs et des jeunes. Un tel gouvernement réorganisera la vie sociale et économique pour établir une véritable égalité sociale. Une économie planifiée démocratiquement et coordonnée sur une base internationale offrira à tous les membres de la société la possibilité d'avoir un emploi stable et décent.
La classe ouvrière doit briser d'avec les bureaucraties
de «gauche» réformistes et nationalistes et
lutter pour le développement d'une nouvelle direction révolutionnaire
de la classe ouvrière qui fera avancer les luttes. C'est
là la perspective défendue par le Comité
international de la Quatrième Internationale et son quotidien
sur l'internet, le World Socialist Web Site.