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La politique américaine menace de faire éclater la guerre dans la Corne de l’Afrique
Par Chris Talbot
31 août 2006
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La menace d’une guerre totale en Somalie est maintenant une
possibilité réelle. Les troupes éthiopiennes se massent actuellement le long de
la frontière somalienne au moment où des allégations courent que la soi-disant
Union des cours islamiques, qui contrôlent maintenant la capitale Mogadiscio
ainsi qu’une part de plus en plus grande du pays, est armée par l’Erythrée. L’Ethiopie
et l’Erythrée, dirigées par des régimes nationalistes qui étaient à l’origine
des alliés, se sont affrontées dans une guerre sanglante de 1998 à 2000 dans
laquelle des dizaines de milliers de personnes ont perdu la vie.
Même si Washington a piloté la diplomatie des Nations Unies
qui a mis fin à la guerre entre l’Ethiopie et l’Erythrée, l’administration Bush
a, depuis ce temps, élevé l’Ethiopie au rang de puissance régionale, fermant
les yeux sur les violations des droits de l’homme du régime du premier ministre
Meles Zenawi.
L’administration Bush a signifié clairement qu’elle voit le
contrôle de Mogadiscio par l’Union des cours islamiques comme une menace à sa
« lutte globale au terrorisme ». Les Etats-Unis appuient le gouvernement
fédéral de transition (GFT), un groupe de politiciens et de seigneurs de guerre
chamailleurs basé à Baidoa, une ville à l’intérieur des terres, le présentant comme
le « corps gouvernant légitime de la Somalie », même si ce corps
n’est pas beaucoup plus qu’un front pour les intérêts éthiopiens en Somalie.
Selon des rapports de presse, les forces éthiopiennes ont
été vues dans plusieurs villes somaliennes, incluant Baidoa. Un reportage de la
BBC indique que les l’Ethiopie a jusqu’à 5000 soldats ainsi que des tanks
stationnés à la frontière, tandis que l’Economist estime les forces
armées éthiopiennes en Somalie à 25 000. Le groupe Crise internationale,
basé à Bruxelles, a avertit que « des moniteurs militaires et
diplomatiques à Nairobi croient que l’Ethiopie prépare une attaque courte, violente
et profonde dans le sud de la Somalie si elle jugeait que les cours islamiques deviennent
une menace importante ».
En juin, des milices associées aux cours islamiques ont
gagné le contrôle de Mogadiscio après qu’elles aient défait une coalition de
seigneurs de guerre connue sous le nom de l’Alliance pour la restauration de la
paix et le contre-terrorisme, ou l’Alliance antiterrorisme, appuyée par l’Ethiopie.
Le Washington Post rapporta en mai que l’Alliance était aussi
secrètement appuyée par les Etats-Unis, violant ainsi l’embargo des Nations unies
sur les armes contre la Somalie.
Africa Confidential rapporte que des agents de la CIA se
sont rendus à Mogadiscio tôt en 2006 avec des milliers de dollars pour
l’Alliance antiterrorisme. Les Etats-Unis prétendent que des membres d’al-Qaïda
sont protégés par les cours islamiques. L’un d’eux, le cheik Hassan Dahir Aweys,
un des principaux leaders, est sur la liste américaine des terroristes
recherchés.
Depuis l’échec en juin des opérations secrètes de
l’administration Bush en Somalie, une approche en apparence plus diplomatique a
été développée. Le département d’Etat américain a formé le Groupe de contact sur
la Somalie, composé des Etats-Unis, de l’Union européenne et de l’Italie, de la
Grande-Bretagne, de la Suède et de la Norvège ainsi que de la Tanzanie qui
constitue le participant symbolique de l’Afrique. L’Union africaine, la Ligue arabe
et l’Autorité intergouvernementale sur le développement (le groupe de pays
africains voisins qui ont des intérêts en Somalie) ont reçu seulement un statut
d’observateur.
Le premier geste du Groupe de contact fut d’appeler à un
arrêt des hostilités en Somalie et à des pourparlers entre le gouvernement fédéral
de transition et l’Union des cours islamiques. Il n’y a pas eu de pourparlers
après que la première réunion entre les cours islamiques et le GFT ait eu lieu
à Khartoum. Les cours islamiques ont refusé d’y prendre part avant que les
troupes éthiopiennes se soient retirées de Baidoa.
Après la défaite des seigneurs de guerre de l’Alliance antiterrorisme,
les Etats-Unis se sont sentis obligés d’avertir publiquement l’Ethiopie et l’Erythrée
du danger qu’éclate une guerre régionale. Un responsable du département d’Etat
américain, Jendayi Frazer, a dit à l’Ethiopie « de ne pas tomber dans le
piège de cette provocation », sympathisant ainsi de manière évidente avec
les vues d’Addis Abada selon lesquelles le « terrorisme islamiste »
est la source du problème.
Cependant, les Etats-Unis ont insisté que le GFT est le seul
corps qui peut être reconnu internationalement et a continué de fermer les yeux
sur la présence de troupes éthiopiennes en territoire somalien.
Durant les dernières années, l’Union des cours islamiques s’est
montré être la plus forte force combattante de la Somalie et a reçu un certain
appui populaire dans un pays dirigé par des seigneurs de guerre et sans
gouvernement effectif depuis 15 ans. Les cours islamiques sont une coalition de
groupes musulmans et de milices correspondantes rattachées principalement au
clan Hawiye, qui est dominant à Mogadiscio et au sud de la Somalie. Elles sont
financées par des hommes d’affaires désespérés d’avoir un minimum de lois et
d’ordre et ont apparemment aussi reçu des fonds provenant de l’Arabie Saoudite
et des Etats du Golfe. En juin, les cours islamiques ont pris le contrôle du
port principal et de l’aéroport, qui est maintenant rouvert, ainsi que de l’ancien
palais présidentiel et d’autres édifices gouvernementaux à Mogadiscio.
La popularité des cours dérive tout d’abord de la relative stabilité
qu’elles ont amenée et de la répression qu’elles ont exercée contre les gangs
criminels et les hors-la-loi qui ont assailli le pays depuis 1991, plutôt que
d’un soutien à la charia que les leaders plus fondamentalistes tentent
d’imposer. La répression des cours sur les gens qui regardaient la Coupe du
monde de soccer, par exemple, a provoqué un profond ressentiment. Il y a onze
cours autonomes à Mogadiscio. Auparavant, elles traitaient les délits mineurs
comme le vol, les drogues et la pornographie, mais, vers le milieu des années
1990, elles ont commencé à s’occuper des crimes majeurs — les voleurs se font
amputés des membres et les meurtriers sont exécutés.
En août, les cours islamiques ont pris le contrôle du port
de Harahere, à 500 km au nord de Mogadiscio, qui était devenu un centre pour
les pirates attaquant les navires le long de la côte somalienne. Les cours
prétendent avoir arrêté les opérations des pirates. Elles ont aussi pris le contrôle
de la ville de Belet Huen, au nord de Baidoa et près de la frontière
éthiopienne, contrôlant ainsi la majeure partie du territoire entourant la base
du GFT. Cependant, elles ont été incapables de prendre le contrôle d’une base
dans l’enclave autonome nord de Puntland, la base originale du président du GFT
Abdullahi Yusuf. La BBC laissait entendre que l’Ethiopie interviendrait si les
cours islamiques envahissaient Puntland.
Il y a aussi la possibilité que les cours islamiques
essaieront d’envahir la région d’Ogaden, qui fut cédée à l’Ethiopie par les
Britanniques pendant la période coloniale et qui est composée majoritairement
de Somaliens. L’Ethiopie et la Somalie ont une longue histoire de disputes pour
les frontières. Les cours pourraient aussi donner leur appui au Front de libération
nationale de l’Ogaden, qui a lancé des guérillas contre les gouvernements
éthiopiens successifs depuis les années 1980. Le GFT fut établi avec l’appui
des Etats-Unis et de l’ONU en 2004 et est la 14e tentative
« internationale » pour établir un gouvernement d’unité nationale
depuis l’effondrement du brutal gouvernement appuyé par les Etats-Unis du président
Mohamed Siad Barre en 1991. Le soi-disant gouvernement de transition a exclu
les représentants du clan Hawiye et fut perçu comme étant pro-éthiopien depuis
le début.
Quarante membres du cabinet du GFT ont démissionné en
juillet pour protester contre la décision du premier ministre Ali Mohamed Gedi
de déployer des troupes éthiopiennes en Somalie dans le but de donner de la
crédibilité à son régime de plus en plus inefficace. Les démissions sont
survenues après que le gouvernement Gedi eut survécu de justesse à une motion
de blâme concernant son incapacité à exercer un contrôle sur le pays. Après une
visite du ministre éthiopien des Affaires étrangères, Yusuf et Gedi tentent
maintenant de former un nouveau cabinet, mais ils sont complètement et
clairement discrédités.
La politique impitoyable de Washington vis-à-vis la Somalie
n’est pas déterminée par la présence de supposés terroristes d’al-Qaïda à
Mogadiscio, mais par des considérations géopolitiques et l’existence de
ressources minières considérables dans cette région frappée par la pauvreté.
C’était la question centrale en 1993 aussi, lorsque 20 000 troupes
américaines furent envoyées en Somalie dans une guerre non déclarée déguisée en
mission « humanitaire » contre les seigneurs de guerre somaliens. Des
centaines de civils innocents sont tombés à Mogadiscio sous le feu des hélicoptères
des forces américaines. La population entière de la ville se défendit,
réunissant temporairement même les factions hostiles. Le résultat fut, pour les
Etats-Unis, une honteuse humiliation et la retraite.
La Somalie est stratégiquement située dans la Corne de
l’Afrique, qui domine les corridors marins de la Mer Rouge et du Golfe d’Aden,
les corridors clés entre le Moyen-Orient et l’Afrique. Une grande partie des
pétroliers du monde passent par là, particulièrement les pétroliers européens
et chinois. La Somalie possède la côte la plus longue de l’Afrique, s’étendant
du Kenya au sud jusqu’à Djibouti au nord (où une imposante division de l’armée
américaine est maintenant basée).
En plus de sa localisation géographique critique, la Somalie
a de l’uranium, du minerai de fer, de l’étain, du gypse, de la bauxite, du
cuivre, du gaz naturel et d’énormes réserves potentielles de pétrole. Un
article du Los Angeles Times datant de janvier 1993 rapporte que des
dizaines de millions d’acres, c’est-à-dire près des deux tiers de la Somalie,
ont été alloués à quatre géants américains du pétrole dans les dernières années
précédents la chute du président Siad Barre : Conoco, Phillips (maintenant
ConocoPhillips), Amoco (maintenant BP), et Chevron. Il n’y a aucun doute que
ces sociétés aimeraient regagner leurs intérêts.
Plus récemment, en février 2001, TotalFinaElf a signé une
entente avec le gouvernement de transition afin de faire de la prospection
pétrolière dans l’océan Indien sur la côte sud entre Merca et Kismayo, dans une
région s’étendait de 120 à 500 km au sud de Mogadiscio. En octobre 2005, la
compagnie australienne Range Resources a acquis 50,1 pour cent des parts pour
les droits d’exploration exclusifs dans les ressources naturelles de Puntland.
Le premier ministre Gedi a répondu en émettant un avertissement aux firmes
étrangères contre les signatures de contrats d’exploration pétrolière avec des responsables
locaux, affirmant que de telles ententes étaient invalides étant donné que seul
le GFT a le pouvoir de négocier la vente des droits miniers et pétroliers.
(Article original anglais paru le 23 août 2006)
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