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Un an depuis l’ouragan Katrina : on laisse croupir la Nouvelle-Orléans
Par le comité de rédaction
30 août 2006
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Aujourd’hui, l’état misérable de la Nouvelle-Orléans et de
la majorité de la région de la côte du Golfe du Mexique, dévastées un an plus
tôt par l’ouragan Katrina, témoigne de l’indifférence, de l’incompétence et de
la brutalité de l’élite dirigeante américaine.
Pratiquement rien n’a été fait pour nettoyer, encore moins
rebâtir, les quartiers de la classe ouvrière transformés en décombres par la
tempête. Des milliers de maisons détruites ont été laissées telles quelles. Des
représentants de la ville ont indiqué que, après mardi, ils pourraient tout
simplement ordonner que les maisons endommagées par l’inondation soient
démolies.
Plus de 1 800 personnes sont mortes dans le désastre
de l’ouragan Katrina et personne ne sait combien de corps en décomposition
demeurent dans les maisons détruites. On découvre encore, à ce jour, des
cadavres.
Aucun plan n’a été établi, douze mois après la tempête,
pour rebâtir la Nouvelle-Orléans ou d’autres portions touchées de la côte du
Golfe, ou pour dédommager les centaines de milliers des résidants qui ont été
déplacés et dispersés à travers le pays. L’administration Bush se dégage de
toute responsabilité, alors que les responsables au niveau de l’État et au
niveau local s’accusent entre eux lorsqu’ils ne rejettent pas le blâme sur
Washington.
À l’exception des quartiers touristiques et des zones les
plus affluentes, les gouvernements fédéral, de l’État et locaux ont laissé
croupir la Nouvelle-Orléans. L’aide fédérale déjà octroyée est allée en très
grande partie à l’élite financière et aux couches sociales riches. Les masses de
la classe ouvrière qui ont été victimes de la tempête n’ont pratiquement rien reçu,
sinon rien.
Les soi-disant efforts de reconstruction n’ont été à peine
plus que des subventions gouvernementales pour des tâches bidon qui sont allées
dans les poches des spéculateurs, des profiteurs et des copains de la grande
entreprise de l’administration Bush. Le magazine Newsweek a décrit de
manière juste le plan officiel de reconstruction : « surtout une occasion
pour les sociétés du sud du pays appartenant aux contributeurs à la campagne du
Parti républicain de faire de l’argent en Nouvelle-Orléans ». Une des
premières mesures à avoir été décrétées, même avant la création de la
soi-disant zone stratégique du Golfe, a été la diminution des salaires des
travailleurs impliqués dans la reconstruction.
Un récent article du New York Times présente une
image partielle, mais effrayante de la vie moderne à la Nouvelle-Orléans.
« Il est peu probable que le neuvième arrondissement, rapporte le Times,
toujours un territoire complètement désert, soit reconstruit bientôt, et il ne
le sera peut-être même jamais...
« Un décompte récent probable de la population [de la
Nouvelle-Orléans], basé sur les informations du service postal, l’évalue à 171 000,
bien en deçà du nombre de 250 000 fourni par les autorités de la ville. On
croit que la population est environ la même que celle des années 1880.
« De la zone habitée près du fleuve, n’importe quel
trajet en direction du nord a de quoi faire réfléchir : des pâtés de
maisons affaissées qui semblent plus morts que déserts, et des tas de débris et
de déchets fouillés par des chiens et des rats. De temps en temps, on peut
apercevoir un résident sur un porche, le visage ridé, essayant de vivre dans
ces ruines.
« La Nouvelle-Orléans d’aujourd’hui, souvent à la
dérive, sale et profondément marquée par la tempête, perd à un rythme alarmant
les personnes qu’elle peut le moins se permettre de perdre. Dans les classes
professionnelles, près de la moitié des docteurs et trois-quarts des
psychiatres ont quitté, la plus grande synagogue affirme que sa congrégation a diminué
de plus de 10 pour cent, et une grande compagnie locale de déménagement
rapporte une "évacuation de masse"...
« Des dizaines de milliers de personnes de la base
afro-américaine de la classe ouvrière ne peuvent toujours pas revenir. Ils ont
été remplacés par des centaines de travailleurs hispaniques, qui ont effectué
la majorité des dures tâches de la reconstruction, et qui vivent dans des
conditions difficiles. Pendant ce temps, les pessimistes font remarquer que la
seule industrie à prospérer est celle de la drogue. ...
« Les banques, par exemple, exigent des nantissements
inhabituellement élevés lors de contrats dans l’immobilier, et pour cause,
étant donné un taux d’homicide deux fois plus élevé qu’avant l’ouragan et sans
garantie que les quartiers se repeupleront. Les services de base — l’eau,
l’électricité, la collecte des déchets — sont irréguliers. ...
« Un an après la tempête, il n’existe aucun plan pour
les grandes infrastructures et le développement de la ville. »
Une zone métropolitaine moderne de plus de 1,3 million de
personnes en 2004 et l’une des 40 plus grandes au pays, elle n’est maintenant
plus qu’une « ville qui ne fonctionne plus », selon le chef d’un
groupe local à but non lucratif — et il n’existe aucun plan sérieux pour
remédier à la situation.
Les jours suivants l’ouragan, diverses explications et
rationalisations ont été avancées pour expliquer le désarroi et l’indifférence
du gouvernement. Les apologistes de l’administration Bush argumentent que la
tempête était sans précédent, que la confusion était regrettable, mais
inévitable et ainsi de suite. La critique libérale pointait du doigt l’agence
fédérale de gestion des urgences (AFGU), la mauvaise gestion et l’incompétence
gouvernementale.
L’état actuel des régions atteintes par la tempête, après une
année, démontre que la dépopulation des sections ouvrières de la
Nouvelle-Orléans et l’abandon de la ville préexistante ne sont pas le simple
résultat de forces naturelles, d’erreurs humaines ou même d’incompétence.
La décision de ne pas reconstruire de larges sections de la
ville et d’abandonner ceux qui ont été forcés de fuir est une politique
délibérée. Au beau milieu du désastre l’an dernier, la décision a été prise au
plus haut niveau que quelque soit le nombre de morts et le niveau de destruction,
la politique du « libre marché » — diminutions des impôts pour les
riches, déréglementation, sous financement des infrastructures, démantèlement
des programmes sociaux — allait s’appliquer sans exception, ce qui a transformé
un désastre naturel en catastrophe sociale.
Exactement comme il a été entendu dire par le congressiste républicain
de la Louisiane, Richard Baker, à un groupe de lobbyistes à Washington en
septembre 2005, « Nous avons finalement nettoyé le logement social en
Nouvelle-Orléans. Nous n’étions pas capables de le faire, alors Dieu l’a
fait. »
Rien, ni la destruction d’une ville d’importance, où le
déracinement de centaines de milliers et la transformation de plusieurs d’entre
eux en « Okies » [1] modernes, n’allait entraver la voie à
l’enrichissement toujours plus grande de la ploutocratie américaine. .
Au cours des derniers jours, les médias ont fait comme on attendait
d’eux. Experts et correspondants exprimaient leurs regrets, de la sympathie
pour les victimes, rendaient hommage à la « résilience de l’esprit
humain » et il était même possible d’entendre des critiques feutrées de
Bush et de la AFGU. Tout ceci ne sert qu’à masquer certaines vérités
fondamentales : (1) que la société américaine est entièrement dominée par
une oligarchie dont les politiques sociales sont motivées par un seul
objectif : accaparer pour elle-même une part toujours plus grande de la
richesse sociale ; et (2) l’ordre social économique existant est
organiquement incapable de satisfaire les besoins élémentaires de sa
population.
Bush, lors de commentaires faits lundi à Biloxi au
Mississippi, combina ses habituels illogismes, inepties, farces, banalités et
mensonges avec un message essentiel : ceci n’est pas notre problème, c’est
le vôtre.
Washington, répéta-t-il inlassablement, va simplement aider,
mais la planification et l’initiative doivent venir des gouvernements locaux,
des organisations à « base religieuse » et des citoyens individuels.
Parlant dans une région où 353 000 maisons ont été détruites, il déclara, « la
reconstruction des quartiers signifie reconstruire les maison une à la
fois ». Il vanta le fait qu’un an après la tempête, « Nous avons
enlevé près de 98 pour cent des débris secs », louangea les conditions
« impeccables » des plages des côtes du golfe du Mississippi, et
parla d’une « Renaissance » au Mississippi.
Les platitudes stupides et cruelles de Bush faisaient écho à
des sentiments similaires exprimés la semaine précédente dans un article
conjoint publié dans USA Today par les anciens présidents Bill Clinton
et George Bush père. Symbolisant l’unité bipartisane du Parti républicain et
du Parti démocrate, les deux anciens présidents n’ont pas mentionné la négligence et les
inepties qui ont fait des centaines de morts et pratiquement détruit toute une
ville ; ils ont présenté le désastre Katrina comme un hommage à l'esprit
américain.
Jamais auparavant le monde n’avait été témoin d’un tel étalage
de faillite politique et institutionnelle dans un pays industrialisé.
Le discrédit massif de tout l’establishment politique aux yeux
des masses durant les premières semaines du désastre a été amplifié par la
réponse officielle subséquente. Cette expérience, combinée avec l’aventure
néocoloniale en Irak, va avoir des conséquences explosives profondes et
durables sur la conscience de masses aux Etats-Unis et dans le monde.
L’ouragan Katrina a mis à nu, pour la population en état de
choc et horrifiée, ce qui avait été caché par toutes les institutions du
système politique et économique existant. Il a révélé la pourriture à la base
du capitalisme américain.
La crise du système de profit aux Etats-Unis a été
soudainement exposée il y a un an par l’échec total de l’élite dirigeante
américaine de se prémunir même de façon élémentaire contre un ouragan important
et par l’incompétence et l’indifférence caractéristiques de sa réponse. C’est
qui s’est passé depuis n’a qu’amplifié cette exposition.
Le monde entier a vu avec incrédulité et avec outrage le
résultat de décennies de déréglementation, de privatisation et de
désapprovisionnement des programmes et des agences publics qui avaient été
établis dans la période précédente pour offrir une certaine sécurité physique
et économique aux gens ordinaires.
Katrina a révélé l’immense coût social de la poursuite
maniaque de la richesse personnelle et des profits des sociétés à laquelle
toutes les institutions sont subordonnées. Cette réalité donnant froid dans le
dos — la conscience des masses a été marquée par les images de victimes
abandonnées, de corps pourrissants et de survivants devant crier
« Aidez-nous! » dans la dévastation et la misère — est
incontournable : pour autant que l’élite dirigeante américaine soit concernée, les
vies des larges masses ne comptent pour rien.
Dans les années trente, le capitalisme américain était
discrédité aux yeux de dizaines de millions d’Américains à cause du manque de
volonté et de l’incapacité du système à répondre à la tragédie humaine causée
par la sécheresse dans le Sud-ouest et dans le Midwest américains et par
l’effondrement industriel qui a suivi le crack boursier de 1929. Un processus de
radicalisation de masse en a résulté.
Franklin D. Roosevelt, un représentant astucieux de la
classe dirigeante américaine, a adopté le point de vue qu’il fallait faire
certaines concessions au mécontentement populaire pour sauver le système
capitaliste de la révolution sociale. Contre la résistance féroce de la plus
grande partie de sa propre classe, il a commencé un programme de réformes
sociales. Mais même durant sa présidence, les projets à grande échelle de
développement social entrepris par le gouvernement, comme l’Autorité de la
vallée du Tennessee, n’ont jamais été un modèle pour des mesures plus larges
pour soulager la pauvreté et l’inégalité sociale. Finalement, de tels efforts
de planification sociale se sont montrés incompatibles avec les contradictions
et les exigences du système de profit.
Un processus semblable de radicalisation politique profonde
a lieu aujourd’hui, mais dans un contexte où le capitalisme américain a
beaucoup moins de ressources internes — économiques, politiques et morales —
qu’il en avait au temps de la Grande Dépression. Aucune section de l’élite
dirigeante américaine ne propose de politique de réforme sociale aujourd’hui.
Depuis les 1970, en tandem avec le déclin de la position
économique mondiale du capitalisme américain, l’élite dirigeante américaine a
renoncé à tout concept de réforme sociale et travaille au démantèlement des
programmes sociaux d’assistance publique et des restrictions sur les activités
des sociétés établies à l’époque précédente.
Malgré leurs tentatives de faire quelques points politiques
aux dépens de Bush, les démocrates n’offrent pas un autre choix politique. Le
maire démocrate de la Nouvelle-Orléans, Ray Nagin, riche, ancien haut cadre de
la société de câblodistribution Cox Communications, contributeur à la campagne
électorale de Bush en 2000, parle au nom de tous les nouveaux riches véreux
lorsqu’il fait la promotion d’une solution « du marché libre » au
désastre causé par l’ouragan Katrina.
La répudiation de la réforme sociale et de la
redistribution incessante de la richesse du bas vers le haut ont créé des
inégalités sociales d’une ampleur sans précédent. La corruption et la
criminalité imprègnent la grande entreprise américaine et trouvent leur
expression politique achevée dans l’occupant actuel de la Maison-Blanche et de
ses co-conspirateurs.
Alors que le riche et le super-riche amassent des fortunes
de plus en plus grandes, la majorité des travailleurs vit sur le bord du
désastre économique. C’est cette réalité sous-jacente qui a été soudainement révélée
par l’ouragan.
Quelles leçons doivent être tirées de cette expérience ?
Un système basé sur la propriété privée des moyens de production et la
production pour le profit est incompatible avec les besoins du peuple.
L’anarchie intrinsèque à un tel système devient, dans un monde de plus en plus
global et complexe, une menace à la vie humaine.
Le système bipartite existe pour servir les intérêts de la
ploutocratie américaine. Un mouvement politique indépendant basé sur un
programme démocratique et socialiste pour une restructuration fondamentale de
la vie économique doit être construit pour satisfaire les besoins sociaux des
larges masses de ceux qui travaillent.
(article original anglais : 29 août 2006)
[1] On a appelé les Okies les milliers de petits fermiers
ruinés qui ont quitté l’Oklahoma à la recherche de travail dans les années de
la Grande Dépression.
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