WSWS : Nouvelles et analyses : Moyen-Orient
Voici la première partie d’un article sur la position adoptée par le mouvement israélien La Paix Maintenant à l’égard des guerres d’agression au Liban et à Gaza menées par le gouvernement d’Ehud Olmert.
L’un des aspects significatifs des guerres d’agression menées par Israël à Gaza et au Liban est l’unanimité qui existe entre les soi-disant « faucons » et les mouvements qui, dans le passé, étaient considérés comme étant des « colombes ».
La Paix Maintenant est resté silencieux devant l’attaque massive d’Israël contre le Hamas et les Palestiniens à Gaza et qui dure depuis juin. Dans le cas du Liban, à partir du moment où les hostilités à grande échelle ont commencé en juillet, suite à la capture de deux soldats israéliens, La Paix Maintenant a déclaré son soutien pour les Forces de défense d’Israël (IDF) et le gouvernement Olmert.
Le mouvement a mis en ligne sur son site internet un communiqué expliquant que ses membres étaient partis dans le Nord du pays au kibboutz Gonen pour proclamer qu’Israël avait le droit de répondre à la capture de soldats israéliens et que La Paix Maintenant supportait le droit d’Israël de défendre ses frontières.
La Paix Maintenant s’est fait l’écho de la propagande gouvernementale, à savoir qu’Israël doit faire face à des provocations du Hamas et du Hezbollah, acceptant la définition officielle israélienne et américaine qui dit que les deux organisations sont des groupes terroristes. Le mouvement qu’aucune revendication territoriale n’est en jeu et c’est la raison pour laquelle la réaction du gouvernement à de prétendues attaques externes et non provoquées contre la souveraineté de l’Etat d’Israël serait tout à fait justifiée.
En juin 1982, La Paix Maintenant s’était opposé à l’invasion israélienne du Liban en rassemblant des dizaines de milliers de personnes contre la guerre. Le mouvement avait organisé la plus grande manifestation jamais enregistrée à Israël, 400.000 personnes, contre le gouvernement de Menachem Begin et son ministre de la Défense, Ariel Sharon, pour son rôle de puissance occupante et sa complicité dans le massacre par ses alliés, la Phalange fasciste libanaise, de plus de 800 Palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et de Chatila, et avait réclamé une enquête. Plus d’un commentateur considéra Begin et Sharon comme des criminels de guerre et les Etats-Unis comme leurs complices.
A la fin des années 1980, La Paix Maintenant avait été la première force majeure à appeler à la création d’un Etat palestinien indépendant dans les territoires illégalement occupés par Israël depuis 1967, la soi-disant solution de deux Etats, et avait proposé des négociations de paix avec l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et Yasser Arafat. Le Parti travailliste israélien s’était rangé derrière sa bannière et avait signé les tristement célèbres accords d’Oslo de 1993 qui contenaient ses exigences.
La transformation de La Paix Maintenant en défenseur d’une agression brutale contre la population civile qui foule aux pieds tous les règlements guidant les relations internationales établis après la Deuxième guerre mondiale, est donc une source d’énorme confusion politique pour la population laborieuse d’Israël. Nombreux étaient ceux qui avaient compté sur La Paix Maintenant pour articuler leur opposition face aux agissements criminels et brutaux d’Israël envers les peuples palestinien et libanais.
Dans des conditions où le soi-disant mouvement de la paix endosse la guerre, il reste bien peu d’issues politiques à ceux qui sont horrifiés par le massacre et la destruction commis par les forces armées israéliennes.
Beilin et Oz
Yossi Beilin est le président du parti Meretz-Yakahd au parlement israélien et l’homme le plus fréquemment associé au mouvement de la paix. Il a mené les négociations secrètes avec l’OLP à Oslo. Il a été ministre de la Justice au moment où le gouvernement travailliste se retirait du Liban en mai 2000, négociateur en 2000 à Camp David qui fut un échec et à Taba en 2001 ainsi que signataire de l’accord de Genève en 2003.
Beilin se fait à présent l’écho de la justification de la guerre par le gouvernement Kadima-Parti travailliste : qu’elle a été déclenchée pour sauver les soldats israéliens capturés et pour défendre les citoyens israéliens. Il affirme que ceci est tout à fait conforme à ses raisons d’avoir lancé plus tôt un appel pour un retrait du Liban :
« Des gens comme moi ont dirigé le mouvement en faveur d’un retrait du Liban en 2000 et lorsqu’on nous a demandé ce qui arriverait s’ils continuaient à recourir à la violence contre nous et nous tirer dessus depuis le Liban, nous avons dit que si nous nous retirons du Liban, conformément à l’accord de l’ONU, alors nous aurons la main libre pour l’utiliser contre tous ceux qui agissent contre nous. C’est pourquoi nous nous trouvons dans une situation difficile. Nous ne pouvons pas critiquer tout ce que le gouvernement fait, compte tenu qu’il n’y avait pas eu de provocation israélienne. »
Beilin se présente en opposition loyale, qui soutient la guerre à présent, tout en gardant la tête froide, indispensable à la sauvegarde à long terme des intérêts nationaux israéliens. Dans un article du 9 août paru dans Haaretz et intitulé « L’épreuve de la gauche sioniste, » il déclare : « Nous croyons profondément dans le droit du peuple juif à un Etat démocratique et sûr qui dispose d’une majorité juive stable : l’Etat du peuple juif et de tous ces citoyens. Nous sommes convaincus que notre intérêt national réside dans des démarches vers la paix avec les Palestiniens, la Syrie et le Liban et qu’il n’y a pas d’alternative à un accord… Mais notre sentiment est que le fait que la paix aurait dû être obtenue depuis longtemps et qu’Israël a joué un rôle non négligeable en cela, ne justifie pas, à nos yeux, l’attitude de nos ennemis. »
« La réaction militaire à Gaza est justifiée à nos yeux et la réaction au Liban ne l’est pas moins, » a-t-il poursuivi. « Nous considérons notre rôle durant la guerre comme celui d’avertir Israël de ne pas se retrouver dans des situations involontaires qu’il n’anticipait pas au début de la guerre et de mettre en garde contre des agissements qui sont en contradiction avec les valeurs de la société israélienne, tout en exigeant de joindre la table des négociations le plus rapidement possible pour discuter d’un cessez-le-feu. »
Amos Oz, l’un des fondateurs en 1978 du mouvement La Paix Maintenant, va même plus loin. Les propos furieux qu’il a tenus dans son article du Los Angeles Times sont indiscernables de ceux des néoconservateurs à Washington.
Il qualifie l’« enlèvement » des soldats israéliens d’« attaque vicieuse non provoquée sur le territoire israélien. » Il écrit : « Cette fois-ci, Israël n’envahit pas le Liban. Il se défend contre le harcèlement quotidien et le bombardement de dizaines de nos villes et de nos villages en essayant d’écraser le Hezbollah où qu’il se cache. »
Il poursuit : « Le mouvement de la paix israélien devrait soutenir l’effort d’Israël d’assurer son autodéfense, pure et simple, aussi longtemps que cette opération visera principalement le Hezbollah en épargnant, autant que faire se peut, la vie de civils libanais (mais ce n’est pas une tâche aisée), car trop souvent les lanceurs de missiles utilisent les civils en guise de sacs de sable humains. » (soulignement ajouté)
Oz adopte la position du gouvernement Bush, à savoir qu’Israël lutte contre un réseau terroriste cautionné par l’Iran et la Syrie. « Les missiles du Hezbollah sont fournis par l’Iran et la Syrie, deux ennemis jurés de toute initiative de paix au Proche-Orient », déclare-t-il en ajoutant, « La vraie bataille menée ces jours-ci n’est pas entre Haïfa et Beyrouth, mais entre une coalition de nations cherchant la paix – Israël, le Liban, l’Egypte, la Jordanie et l’Arabie saoudite, d’un côté - et l’Islam fanatique, attisé par l’Iran et la Syrie, de l’autre.
Oz connaît parfaitement les vrais motifs d’Israël qui se cachent derrière la destruction du Liban. En 1982, il écrivait que l’invasion d’Israël la même année n’avait pas eu pour but de « repousser une menace à notre existence même, mais de se débarrasser d’un agacement et principalement de modifier la carte régionale. »
Peretz: la « colombe » préposée à la guerre
Personne n’incarne la dégénérescence du mouvement de paix aussi clairement qu’Amir Peretz, l’ancien dirigeant syndical au discours de gauche et actuel dirigeant du Parti travailliste qui est à présent le ministre de la Défense. Comme le soulignait Haaretz dans un article intitulé « Première guerre organisée par La Paix Maintenant », Peretz est « l’architecte, l’ingénieur-chef et le porte-étendard de la guerre. »
Il avait été l’un des premiers membres du mouvement La Paix Maintenant et, dans les années 1980, avait été l’un des huit législateurs du Parti travailliste qui avec Beilin avait tenté d’initier des négociations de paix avec les Palestiniens.
Il y a moins d’un an, les membres du parti, écoeurés par la participation du Parti travailliste à la coalition entre le Likoud, le parti d’Ariel Sharon, et les travaillistes, élisaient Peretz comme nouveau président du Parti travailliste en remplacement du dirigeant sortant, Shimon Pérès, l’architecte des accords d’Oslo. Les dirigeants travaillistes avaient fourni la couverture politique à la répression brutale des Palestiniens par Sharon, à sa confiscation des terres en Cisjordanie, qui fut réalisée au nom de la « séparation unilatérale », et à ses mesures d’austérité contre la classe ouvrière israélienne.
Peretz avait remporté la victoire grâce à deux promesses : des négociations de paix avec les Palestiniens et des mesures pour contrer les inégalités croissantes en Israël. Son élection au poste de dirigeant du Parti travailliste avait incité Sharon à faire scission avec le Likoud avec le soutien de Pérès et de créer un nouveau parti, le Kadima, pour faire avancer son programme expansionniste de Sharon.
Mais, en mai dernier, suite aux élections générales de mars au cours desquelles Kadima était devenu le plus important parti mais en manquant d’une majorité à la Knesset, Peretz et les travaillistes étaient revenus à une coalition avec Kadima, qui est menée à présent par Ehud Olmert, Pérès en étant le numéro deux.
En acceptant de prendre le poste de ministre de la Défense, les premiers actes de Peretz ont été d’ordonner l’assassinat de cinq membres du Front populaire de libération de la Palestine et d’intensifier les attaques contre les Palestiniens à Gaza. Bénéficiant du soutien total de Washington, il a autorisé l’attaque air, mer et terre, planifiée de longue date, par l’armée contre le Liban en faisant appel aux réservistes et en mettant Israël sur le pied de guerre.
Nahum Barnea, un chroniqueur au Yediot Aharonot, a judicieusement résumé le rôle de Peretz. Le fait de disposer d’un gouvernement à base large, mené par le parti Kadima d’Olmert et comprenant le dirigeant du Parti travailliste, Amir Peretz, comme ministre de la Défense, « facilite bien la tâche de lancer une attaque militaire contre quelqu’un. »
L’acceptation du sionisme
La transformation de La Paix Maintenant en un défenseur ouvert de la guerre a reporté la tâche d’avancer une position anti-guerre sur des groupes tels Gush Shalon ainsi que sur le Parti communiste et les partis arabes. Alors que les manifestations et les veilles contre la guerre étaient d’abord faibles au Liban et dans les territoires occupés, elles attirent à présent des milliers de manifestants. Le 5 août, 10.000 personnes étaient descendues dans la rue à Tel Aviv et ce, en dépit de l’hystérie de guerre et des agressions physiques multipliées contre les manifestants.
Les manifestants scandaient, « Juifs et Arabes, refusez d’être des ennemis ! », « Nous ne mourrons pas et ne tuerons pas pour les Etats-Unis ! », « Les enfants veulent vivre à Beyrouth et à Haïfa ! », « Peretz, Peretz, la paix est plus important ! », « Un million de réfugiés, c’est un crime de guerre ! », « Olmert, Perezt et Ramon, hors du Liban ! »
Pour avancer cependant la lutte contre la guerre, il est nécessaire de comprendre pourquoi l’ancien mouvement de la paix a subi une dégénérescence aussi radicale. La transformation de La Paix Maintenant en apologiste et en partisan de la guerre ne peut être comprise qu’au vu de son rejet d’une analyse historique et de classe du conflit israélo-palestinien et de sa défense nationaliste du projet sioniste.
Son affirmation qu’il n’y a pas de questions territoriales en jeu dans la guerre contre le Liban est tout aussi absurde que sa déclaration qu’Israël ne fait que réagir aux provocations du Hezbollah. Même en laissant de côté la violence continue d’Israël à l’égard des Palestiniens et son occupation illégale de leurs territoires, il existe un grand nombre de preuves des provocations israéliennes répétées contre le Liban antérieures à son invasion le mois dernier. Par exemple, plusieurs rapports publiés par la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Unifil) montrent que des avions militaires israéliens ont violé l’espace aérien libanais entre 2001 et 2003 à un rythme presque quotidien et de façon continue jusqu’en 2006, en passant souvent le mur du son au-dessus de régions peuplées.
Quant aux questions territoriales, l’intérêt des sionistes pour le Liban remonte à 1938 lorsque Ben Gourion, qui devait devenir le premier premier ministre d’Israël en 1948, avait envisagé un Etat d’Israël incluant le Liban sud jusqu’au fleuve Litani.
A suivre
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