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Malgré les morts, le Canada poursuivra avec résolution son intervention en Afghanistan
Par David Adelaide
18 août 2006
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Malgré les morts qui s’accumulent rapidement, le
gouvernement conservateur du Canada a exprimé assez clairement sa ferme
intention de poursuivre l’intervention des Forces armées canadiennes (FAC) en
Afghanistan.
Appuyés en choeur par les médias et les partis de
l’opposition à la Chambre des communes, le premier ministre Stephen Harper,
d’autres ministres conservateurs, et le haut commandement de l’armée ont tous
exprimé clairement qu’il ne pouvait y avoir de retour en arrière dans
l’intensification dramatique de la mission des FAC effectuée par les
conservateurs en mai. Un peu plus de trois mois après que le gouvernement
Harper minoritaire soit entré en fonction, il a présenté une motion devant le
parlement qui prolongeait la mission des FAC en Afghanistan jusqu’en février
2009 au moins, dévoilant au même moment son désir de voir les FAC assumer le
commandement général de l’opération de contre-insurrection des États-Unis et de
l’OTAN pour un an, débutant en février 2008.
L’ardeur avec laquelle la totalité de l’establishment
politique canadien a déclaré que la question de l’intervention était réglée
reflète directement les inquiétudes de la classe dirigeante selon lesquelles
les morts parmi les soldats des FAC vont faire dégringoler davantage l’appui
populaire pour la mission afghane. Un récent sondage de Strategic Counsel
mentionné dans le Globe and Mail montrait qu’en juillet 56 pour cent des
Canadiens étaient opposés à l’intervention en Afghanistan, une augmentation de
15 pour cent par rapport à mars.
Le matin du vendredi 11 août, le caporal Andrew James
Eykelenboom était le dernier d’un nombre croissant de soldats des CAF à perdre
la vie dans l’occupation de l’Afghanistan. Une camionnette bourrée d’explosifs
a explosé près du véhicule utilitaire léger du soldat, alors qu’il retournait à
l’aérodrome de Kandahar en provenance de Spin Boldak dans le sud de
l’Afghanistan.
À la suite de la mort d’Eykelenboom, le colonel Tom Putt,
le commandant adjoint des forces canadiennes en Afghanistan, a fait
l’affirmation peu probable que les attaques qui tuent un nombre croissant de
soldats canadiens devaient être interprétées comme un signe de faiblesse de
l’insurrection : « Nous devons reconnaître que les Talibans sont
essentiellement réduits à faire des attaques suicides et utiliser des engins explosifs
improvisés car ils ne peuvent vaincre la coalition par une action directe, ce
qu’ils ont dit qu’ils feraient. »
Deux jours plus tôt, le caporal-chef Jeffrey Walsh a été
tué, atteint accidentellement par balle; les autorités des FAC enquêtent présentement
sur l’incident. Peu avant cela, le 5 août, le caporal-chef Raymond Arndt a été
tué et trois autres soldats canadiens blessés lorsque leur véhicule blindé est
entré en collision de plein fouet avec un camion. Les décès de Eykelenboom,
Walsh et Arndt ont porté à neuf le total de soldats canadiens tués durant le
dernier mois, dont 4 morts en une seule journée.
Le 3 août, trois soldats canadiens ont perdu la vie
lorsqu’ils ont été atteints par des grenades propulsées par roquettes lors d’un
combat violent près de Kandahar. Le sergent Vaughn Ingram, le caporal Bryce
Jeffrey Keller et le soldat Kevin Dallaire furent tués par l’attaque, alors que
six autres soldats canadiens furent blessés. L’attaque aurait été initiée par
des « militants talibans » et se serait déroulée en plein jour, peu
après midi. Un soldat qui a participé au combat a déclaré à la
presse, « Ils nous attaquaient. Ils étaient trop bien organisés; nous
avons dû retraiter. »
Durant le même jour, aussi près de Kandahar, le caporal
Christopher Jonathan Reif fut tué par une bombe sur le bord de la route. Peu de
temps après, trois autres soldats canadiens furent blessés par une seconde
bombe. Des 26 soldats canadiens tués en Afghanistan depuis le tout premier
déploiement des FAC en automne 2001, 18 sont morts depuis février, lorsque
l’intervention canadienne a pour la première fois été étendue à la partie sud
du pays, beaucoup plus instable, autour de Kandahar.
Selon la BBC, le général britannique qui dirige
présentement la mission de l’OTAN en Afghanistan, le lieutenant-général David
Richards, a reconnu tacitement l’hostilité très répandue de la population
afghane envers la force occupante : « S’il n’y a pas
d’amélioration notable bientôt, les gens vont dire qu’ils préfèrent avoir la
sécurité garantie, même avec la sale vie qui vient avec, des Talibans que de
continuer à se battre pour toujours. Est-ce qu’ils peuvent nous appuyer un peu
plus longtemps pour que nous leur donnions confiance ou veulent-ils retourner
avec les Talibans? »
Conscient de la montée de l’opposition parmi la population
canadienne face aux opérations de l’impérialisme canadien, le
lieutenant-général Richards a averti spécialement le Canada de ne pas
« vaciller ».
Le gouvernement canadien ne va pas décevoir le général de
l’OTAN. Porté au pouvoir en janvier et février 2006 avec l’appui quasi unanime
des grands médias du pays, le gouvernement minoritaire de Stephen Harper a mis le
renforcement du militarisme canadien en première place de sa liste de
priorités.
Immédiatement après avoir pris le pouvoir, Harper a fait
des visites médiatisées sur des bases militaires et fait des déclarations
défendant la souveraineté canadienne dans les eaux de l’Arctique. Et a chaque
décès d’un soldat canadien, le gouvernement Harper a rapidement mis l’accent
sur sa détermination à poursuivre l’opération en Afghanistan.
Immédiatement après le décès des 4 soldats tués le 3 août,
le ministre de la Défense, Gorden O’Connor, soulignait que «notre engagement se
poursuit jusqu’en 2009, et nous allons continuer en Afghanistan autant du point
de vue de l’aide et de la diplomatie que du point de vue militaire».
Pour le gouvernement Harper et lélite canadienne en son
ensemble, l’intervention des FAC en Afghanistan ne concerne pas seulement
l’emploi de la force militaire pour gagner des zones d’influence géopolitique
et apaiser l’administration Bush. Du point de vue de la classe dirigeante canadienne,
l’opération fournit l’occasion de faire un virage général en politique
étrangère pour mettre de côté l’idéologie de «maintien de la paix» de la
période précédente.
Durant la période après la seconde guerre mondiale, les
gouvernements canadiens successifs ont développé un rôle international de
médiateur dans les conflits entre de plus grandes puissances, spécialement
entre les États membres de l’OTAN (par exemple entre les États-Unis, la
Grande-Bretagne et la France à propos du Canal de Suez en 1956). Pour la
bourgeoisie canadienne, le rôle de force de maintien de la paix était un pan
important dans la politique multilatéraliste qu’Ottawa adopta pour
contrebalancer le poids économique et géopolitique écrasant de son voisin du
sud et principal partenaire économique, les États-Unis.
Avec l’apparition, durant les années 1990, des antagonismes
entre l’Europe et les États-Unis et un impérialisme américain de plus en plus
belligérant, l’investissement historique de l’establishment politique canadien
dans les institutions multilatérales comme des Nations Unies ne rapportaient
plus autant qu’avant.
Encore pire, du point de vue de l’élite canadienne, était
le fait que la rhétorique semi pacifiste du passé, parce qu’elle bénéficiait
d’un haut niveau d’appui dans la population, était devenue un obstacle à ses
projets de gagner une plus grande influence géopolitique dans l’arène mondiale
en utilisant les FAC comme instrument de guerre.
Ce qui distingue particulièrement la présente intervention
de l’impérialisme canadien en Afghanistan des précédentes missions des FAC (la
guerre du Golfe, en Somalie, en Yougoslavie, en Haïti) est le fait que la
mission est accompagnée d’un effort explicite visant à discréditer la notion
selon laquelle les FAC sont une force de maintien de la paix en faveur d’une
célébration ouverte du militarisme et du chauvinisme.
Un exemple typique du genre est le commentaire de la
chroniqueuse de droite Christie Blatchford paru dans le Globe and Mail le
jour suivant la mort des 3 soldats des FAC le 3 août. Blatchford a déploré le
fait qu’«il a fallu à peine une heure pour que les lignes ouvertes à Toronto se
remplissent des pleurs de ceux qui voudraient immédiatement mettre un terme à
la mission, ramener les troupes à la maison sur le champ, et voir la nation
revenir à sa mythique et favorite fonction de gardien de la paix et retourner à
la politique étrangère consistant à garder les bras croisés».
Après avoir répété la rhétorique maintenant bien connue
consistant à citer quelques soldats ou membres de la famille affirmant que la
mission va aider le peuple afghan et protéger les canadiens du terrorisme,
Blatchford a consacré le reste de son commentaire à dépeindre le conflit en
Afghanistan comme faisant partie d’un conflit global avec le fondamentalisme islamique,
à la manière de Samuel Huntington dans « Le conflit des civilisations».
Blatchford écrit: «Même sans déclaration formelle en ce
sens, le Canada est en guerre. Il en est ainsi pour les sept nations de la
coalition actuelle de l’OTAN en Afghanistan, de même que pour les Américains et
les Britanniques en Irak et également pour Israël au Liban.»
L’éditorial du Globe de la même journée, quoique
plus circonspect dans sa rhétorique, a repris l’inquiétude manifeste de
Blatchford que la population canadienne n’arrive pas à comprendre l’urgence
pour les FAC d’occuper l’Afghanistan. On pouvait y lire que «c’est sur le front
national que les gens ont des doutes». Concédant que « de tel scrupules
sont compréhensifs», l’éditeur du Globe tente d’y répondre en répétant
les sophismes habituels concernant la liberté et le «bon gouvernement» dans une
région du monde où règne le chaos.
Les partis de l'opposition à la Chambre des
communes sont également très impliqués dans la campagne de l'élite visant à renforcer
les forces armées canadiennes et à renouer avec le militarisme canadien.
En réponse à chacune des morts récentes de
soldats canadiens en Afghanistan, le Nouveau parti démocrate (NDP),
supposément social-démocrate, n'a pas été plus loin que des déclarations
pour la forme présentant ses condoléances aux familles et célébrant le
courage des soldats, sans soulever la moindre critique de la mission
impérialiste qui a mis les soldats en danger.
Au sein du parti libéral – qui représente
avec le parti conservateur l'un des deux «partis de gouvernement» de l'État
canadien – les pertes de vies humaines liées à l'intervention en Afghanistan
sont devenues un élément dans la course pour choisir un nouveau chef de parti.
Michael Ignatieff, partisan déclaré de
l'invasion et de l'occupation illégales de
l'Irak par l'administration Bush et meneur présumé dans la
course à la direction libérale, a vite fait de prendre ses distances par
rapport à toute opposition, aussi tiède et contradictoire soit-elle, au
projet colonial de l'impérialisme canadien en Afghanistan. Selon le Globe,
Ignatieff a réagi à la mort de quatre soldats canadiens en un jour en
déclarant: «Je ne pense pas qu'en pleine tragédie, quand la vie s'est arrêtée
pour quatre familles canadiennes, ce soit le moment approprié pour commencer à
réévaluer la mission».
Le principal concurrent d'Ignatieff à la
direction libérale est Bob Rae, ancien premier ministre NDP de l'Ontario.
Tout comme le critique officiel du parti en matière de défense, Ujjal Dosanjh,
Rae a critiqué le gouvernement Harper pour avoir fait de l'intervention en
Afghanistan une mission de «combat» plutôt qu'une mission de «reconstruction».
Pourtant Dosanjh et lui endossent la décision du gouvernement libéral
Chrétien-Martin de déployer les FAC en soutien à la conquête américaine de
l'Afghanistan ainsi que la décision prise l'an dernier que les FAC
devraient assumer un rôle dirigeant dans la campagne de contre-insurrection en
cours dans le sud de l'Afghanistan.
Rae a également critiqué la façon dont les
conservateurs ont fait passer au Parlement en mai dernier la motion
prolongeant l'intervention canadienne en Afghanistan après seulement six heures
de débat. Mais le nouveau parti d'adoption de Rae a accepté la tenue d'un débat
d'urgence, et si la motion des conservateurs pour prolonger et élargir
l'intervention des FAC a pu passer, c'est seulement parce que plus qu'un
quart des députés libéraux, y compris Ignatieff et le chef par intérim du parti
Bill Graham, ont voté en sa faveur.
Il est clair que toutes les sections de
l'establishment politique canadien insistent sur la nécessité de maintenir la
présence des FAC en Afghanistan. Le NDP et la supposée aile gauche du parti
libéral voudraient que ce soit fait sous le couvert traditionnel du
maintien de la paix et après un débat parlementaire en bonne et due
forme, tandis que l'aile droite du parti libéral est d'accord avec
les conservateurs de Harper pour faire pression afin que la
vieille rhétorique pacifiste et les prétentions d'autrefois au maintien de
la paix soient mis au rancart.
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