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et analyses : États-Unis
Le président donne une conférence de presse
Par David North
17 août 2006
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Dans son livre « Bush s'en va-t-en guerre », Bob
Woodward du Washington Post rapporte ce que le président lui a déjà
dit : « Je suis le commandant — tu vois, je n'ai pas besoin de donner
d'explications — je n'ai pas besoin d'expliquer pourquoi je dis certaines
choses. Peut-être que quelqu'un doit me donner des explications lorsqu'il me
dit quelque chose, mais je ne sens pas que je dois des explications à qui que
ce soit. »
En fait, ceux qui entendent le président peuvent être excusés
de se demander si Bush lui-même sait vraiment pourquoi il dit la plupart des
choses qui sortent de sa bouche. Peu d'indices montrent qu’il y aurait un lien
entre une activité mentale consciente et le processus physique par lequel le
président produit des mots. Même lorsque tout ce que l'on demande à Bush est de
lire un texte préparé d'avance, la tâche semble éprouver à leur maximum les
capacités intellectuelles de Bush.
La conférence de presse de lundi du président était une
performance assez typique. Il a lu avec difficulté la déclaration
d'introduction, articulant mal les mots et perdant le fil du texte à plusieurs
reprises. Plus tard, durant les échanges directs avec les journalistes, Bush a
interrompu ses réponses à plusieurs occasions pour reconnaître qu'il avait
oublié la question. Loin de réduire les préoccupations à propos du résultat de
la guerre entre Israël et le Hezbollah et de la politique étrangère menée par
son administration, les remarques désorientées, pleines de méandres, souvent
absurdes et les déclarations toujours malhonnêtes de Bush ne pouvaient servir
qu'à augmenter les inquiétudes des sections mieux informées de l'élite
dirigeante à propos de la compréhension de la réalité du président.
Comme c'est toujours le cas dans les déclarations faites par
Bush, il n'a même pas tenté de persuader ou de convaincre son auditoire. Sa
déclaration d'introduction n'a présenté aucun argument logiquement construit.
Bush n'a fait que des assertions qui ne sont supportées par absolument aucun
fait. Ces affirmations étaient généralement ridicules et présentées à un niveau
correspondant aux sections les plus réactionnaires, arriérées, ignorantes et,
disons-le franchement, stupides du public américain.
En 1933, lors de son célèbre premier discours inaugural,
prononcé en pleine Grande Dépression, Franklin Roosevelt a affirmé sa
« solide croyance que la seule chose dont nous devons avoir peur est la
peur elle-même — la terreur indéfinissable, irraisonnée, injustifiée... »
Mais la totalité du répertoire rhétorique de George Bush consiste précisément à
faire appel à ce genre de peur irrationnelle que Roosevelt méprisait. Dans une
déclaration d'introduction lundi qui a duré environ cinq minutes, Bush a
employé 23 fois les mots « terreur » et « terroristes ».
Dans le langage de Bush, ces deux mots sont devenus synonymes
valides universellement pour tous les divers opposants et ennemis, véritables
ou imaginés, des buts de la politique étrangère des États-Unis. Cet usage
universel de l'épithète terreur/terroristes lui a retiré toute véritable
signification concrète.
Le président a résumé ainsi la portée mondiale de la guerre au
terrorisme : « Le monde a vu — il a vu ce que cela veut dire de
confronter le terrorisme. C'est le défi du 21e siècle. Le combat contre la
terreur, un groupe d'idéologues, d'ailleurs, qui utilisent la terreur pour
atteindre un objectif — voilà le défi. »
Bush n’étudie pas l’histoire des États-Unis, mais à sa manière
— guidé par ses entraîneurs politiques — il puise dans les caractéristiques les
plus hideuses des traditions politiques du pays. Il y a approximativement 40
ans, l'historien Richard, Hofstadter attirait l'attention sur « le style
paranoïaque en politique américaine, » qu'il décrivit comme étant
« une façon de voir le monde et de s'exprimer ».
Le « style paranoïaque » dans la politique des
États-Unis, explique Hofstadter, ne devrait pas être considéré comme
l'équivalent de la paranoïa individuelle au sens clinique. Bien que dans
les deux formes de la paranoïa, l’individuelle et la politique, on trouve
« une tendance à surchauffer, à être hyper soupçonneux, suragressif,
grandiose et apocalyptique dans l’expression, le paranoïaque clinique voit le
monde hostile et conspirateur dans lequel il a l'impression de vivre diriger
spécifiquement contre lui ; alors que le représentant du style paranoïaque
conçoit ce monde dirigé contre une nation, une culture, une façon de vivre dont
le sort affectera des millions d'autres individus, pas seulement
lui-même. »
Avant l'administration Bush, la quintessence de la paranoïa
politique de la droite américaine était exprimée dans le maccarthysme qui, à
des fins politiques réactionnaires, tentait de créer une base de masse en
fomentant une peur quasi hystérique d'une « conspiration communiste
internationale ». En juin 1951, McCarthy déclarait que les Etats-Unis
étaient menacés par « une grande conspiration, une conspiration d'une
échelle si immense qu'elle réduit à l'état de nain toutes les entreprises
semblables de l'histoire de l'homme. Une conspiration d'une infamie si
noire que, une fois exposés au grand public, ses auteurs subiront à jamais la
juste malédiction de tous les honnêtes hommes. »
Bush est incapable d'une telle rhétorique ronflante qui
distinguait le sénateur junior du Wisconsin durant ses heures de gloire il y a
plus d'un demi-siècle. Mais plusieurs des mêmes méthodes politiques employées
par le maccarthysme — par-dessus tout, son appel à la peur et l'ignorance —
sont ressuscitées par la « guerre contre la terreur globale ».
En ce qui concerne ce que Bush a à dire sur la guerre au
Liban, ses remarques consistent en une série de faux-fuyants politiques et de
mensonges grossiers. Il déclare que « l'Amérique reconnaît que des civils
au Liban et en Israël ont souffert de la violence actuelle », comme s'il
existait une sorte de commune mesure entre les conséquences physiques de la
guerre pour les deux pays. Ou que « la reconnaissance » par
l'Amérique des souffrances compenserait en quelque sorte le fait que les
Etats-Unis ont repoussé le cessez-le-feu de trois semaines dans l'expectative
et l'espoir — ultimement déçu — que les militaires israéliens allaient totalement
détruire le Hezbollah et assassiner ses dirigeants. La scène de Condoleezza
Rice proclamant joyeusement la naissance d'un nouveau Moyen-Orient alors que
les bombes fabriquées aux Etats-Unis pleuvaient sur Beyrouth à partir d'avion
fabriqué aux Etats-Unis est entrée dans la mémoire collective de centaine de
millions d'Arabes et de musulmans.
L'affirmation de Bush que « c'est l'attaque non provoquée
du Hezbollah contre Israël qui est à l’origine de ce conflit » était un
mensonge à peine voilé. Même en mettant de côté la longue et sanglante histoire
des efforts militaires israéliens pour dominer le Liban — qui, depuis 1978 a
causé la mort de dizaines de milliers de libanais — il est bien connu que
durant les mois précédents le début de la guerre, Israël avait déjà à de multiples
reprises violé la souveraineté territoriale libanaise.
Si l’on fait exception d’incidents qui sont
assez routiniers comme les survols du territoire libanais, des informations
commence à apparaître selon lesquelles Israël et les Etats-Unis ont discuté et
passé en revue des plans pour un assaut militaire sur le Hezbollah.
Selon un long article par le journaliste
d’enquête qui fait autorité Seymour Hersh, publié dans le New Yorker quelques
jours avant la conférence de presse de Bush, l’administration Bush « était
intimement impliquée dans la planification des attaques en représailles
d’Israël. »
La capture par le Hezbollah de deux soldats
israéliens a été un prétexte pour la guerre. Hersh
écrit : « Selon un expert sur le Moyen-Orient qui connaît bien
la pensée actuelle des deux gouvernements, l’israélien et l’américain, Israël a
élaboré un plan pour attaquer le Hezbollah — et l’a fait connaître aux
responsables de l’administration Bush — bien avant les enlèvements du 12
juillet. »
Les Etats-Unis étaient anxieux qu’Israël débute
ses opérations militaires à grande échelle pour deux raisons liées entre elles.
Premièrement, la destruction du Hezbollah retirerait une importante base à
l’influence iranienne au Liban. Deuxièmement, dans la mesure où le Hezbollah
est équipé d’armes iraniennes, la campagne israélienne fournirait un test pour
un assaut anticipé contre l’Iran que l’administration Bush prépare en ce moment.
L’explication qu’a donnée Bush des origines de
la guerre n’a pas été contestée par les journalistes à la conférence de presse,
qui n’ont jamais confronté le président avec les informations découvertes par
Hersh. Pas un des journalistes-tâcherons présents n’a eu le courage ou
l’intégrité de contredire les mensonges évidents de Bush.
Faire la liste complète de toutes les
stupidités que Bush a pu prononcées dans une conférence de presse d’une demi-heure
demanderait un article beaucoup plus long. Mais deux déclarations sont sorties
du lot :
« Israël, lorsqu’ils visent [sic] une cible
et tuent des citoyens innocents, étaient bouleversés. » a dit le
président. « Leur société était lésée. » Combien touchant ! Les
meurtriers pleuraient sur les cadavres de leurs victimes. N’est-ce pas là une
expression de leur humanité ?
Bush a aussi fait référence à une autre vertu
morale qu’il attribua aux Etats-Unis : « Nous ne combattons pas les
armées d’Etats-nations ; nous combattons des terroristes qui tuent des
personnes innocentes pour arriver à leurs fins politiques. »
Pas un journaliste n’a eu la présence d’esprit
de demander au président de donner sa définition d’un
« Etat-nation ». Comment Bush définirait-il la Serbie, bombardée par
les Etats-Unis en 1999 pendant deux mois ? Ou encore, l’Irak ? Et ils
auraient pu demander, si les terroristes sont des individus qui « tuent
des personnes innocentes pour arriver à leurs fins politiques », alors
pourquoi ne pas étiqueter le premier ministre israélien comme terroriste et, on
pourrait-on ajouter, pourquoi pas l’actuel président des Etats-Unis aussi ?
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