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Enormes manifestations à Bagdad contre la guerre israélo-américaine au Liban
Par Jake Skeers
9 août 2006
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Plus de 100.000 Irakiens ont défilé le 4 août
dans Bagdad en scandant des slogans du genre « non, non, non aux
occupants » et « mort à Israël, mort à l’Amérique » pour
s’opposer à la guerre perpétrée contre le Liban par Israël avec l’appui des
Etats-Unis. La manifestation qui s’est tenue dans des quartiers chiites et
majoritairement ouvriers de Sadr City a révélé une colère profonde contre le
massacre criminel perpétré au Liban et une vaste hostilité permanente envers
l’occupation américaine de l’Irak.
En réponse à un appel de l’imam chiite Moqtada
Al-Sadr de se rassembler après les prières du vendredi pour soutenir « vos
frères patients en lutte au Liban et en Irak » des autobus remplis de
manifestants sont arrivés dans Bagdad en provenance de villes situées au sud telles
Najaf et Basra.
L’armée américaine a cherché à minimiser les
protestations en affirmant que seulement 14.000 personnes avaient défilé, mais
l’Agence France-Presse a rapporté que des centaines de milliers de personnes y
ont participé. La police Irakienne et les organisateurs du rassemblement ont
dit que plus d’un million de personnes s’y étaient jointes.
Les manifestants ont défilé sur une longueur
d’un kilomètre, se dirigeant de Sadr City vers Firdos Square au centre de
Bagdad en brandissant des drapeaux libanais, du Hezbollah et Irakiens et en
portant de grandes pancartes à l’effigie de George Bush, de Tony Blair, d’Ehoud
Olmert et de Saddam Hussein. Les manifestants ont piétiné des drapeaux
israéliens et américains qui avaient été peints à même le sol avec les mots
« ce sont des terroristes ». Dans la foule, principalement des
jeunes, de nombreuses personnes portaient des linceuls blancs pour manifester
leur volonté de combattre et de mourir au Liban.
La semaine passée, un nombre d’influents
dirigeants libanais, y compris le premier ministre Nuri Kamal al-Malaki, le
vice-président Adel Abdul-Mahdi et le président Jalal Talabani ont fait des
commentaires critiques à l’encontre des actes d’Israël au Liban. Dans un
discours prononcé à l’occasion de l’anniversaire de l’assassinat d’un imam
chiite, Abdul-Mahdi a condamné les « massacres horribles perpétrés par
l’agression israélienne ».
Le rassemblement a provoqué une certaine inquiétude
à Washington que les crimes d’Israël au Liban ont le potentiel de faire surgir
un mouvement politique de masse contre l’occupation américaine en Irak. Deux
jours après les manifestations, la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza
Rice, a été questionnée lors de l’émission télévisée « Meet the
Press » à savoir si l’Irak allait devenir un Etat théocratique selon le
modèle de l’Iran.
Tout en exprimant sa préoccupation au sujet
des protestations et de ses slogans, Rice a assuré le présentateur que le
premier ministre irakien et le gouvernement restaient des valeurs « positionnées
du bon côté de la guerre contre le terrorisme ». La plus importante
crainte de l’administration Bush ne concerne pas les ministres qui ont
collaboré depuis le début avec l’occupation américaine, mais la masse des gens
ordinaires qui s’identifient facilement aux souffrances du peuple libanais.
Des responsables américains et britanniques
ont de plus en plus intensément ciblé l’Armée du Mahdi d’Al-Sadr comme étant
l’ennemi principal. Dans un compte-rendu divulgué à la presse la semaine
dernière, William Patey, l’ambassadeur britannique en Irak qui va quitter son
poste, a déclaré que « la priorité ira à ce que de tout soit mis en oeuvre
pour empêcher que l’Armée du Jaish Al-Mahdi [d’Al-Sadr] ne devienne
un Etat dans l’Etat, comme ce fut le cas du Hezbollah au Liban ».
Pour ce qui d’Al-Sadr, il s’est de plus en
plus arrangé avec l’occupation américaine. Ses partisans occupent 30 sièges au
parlement irakien et cinq postes gouvernementaux, procurant ainsi un soutien
politique crucial au gouvernement de Maliki qui est fortement haï en tant que
fantoche de l’administration Bush. Les hostilités américaines à l’encontre du
mouvement de Sadr visent en premier lieu sa base sociale qui se trouve dans les
couches appauvries de la classe ouvrière chiite à Bagdad et dans les villes au
sud de l’Irak.
Les sentiments de ces couches ont été exprimés
dans des commentaires faits le 1er août à des journalistes de McClatchy
Newspapers. « Le gouvernement formé après la chute du régime n’a pas fait
grand-chose, sauf de nombreuses promesses. Et le peuple en a marre des
promesses », a dit Sheik Bashir al Najafi, un haut dirigeant chiite.
« Un jour viendra où nous ne pourrons pas empêcher une révolution
populaire. »
Amman al Janafi, un dentiste de 39 ans de
Najaf, a critiqué le grand ayatollah Ali Sistani pour avoir encouragé les chiites
à voter en faveur de la constitution Irakienne appuyée par les Américains et à
participer aux dernières élections. « La défaillance des partis politiques
islamiques a brisé la confiance entre le Marjaiyah [le conseil de
direction chiite] et le peuple. Même si l’ayatollah Sistani lui-même était nommé pour les
prochaines élections, je ne voterai pas pour ce candidat. »
Ce n’est pas étonnant que quelques jours à peine
après les protestations de masse à Beyrouth, les troupes américaines ont
organisé hier une opération provocatrice dans les bidonvilles de Sadr City.
Alors que l’armée américaine affirme avoir ciblé « des individus impliqués
dans des actes de châtiment et de torture », le but évident était
l’attaque de l’armée Mahdi et l’intimidation de la population locale. Trois
civils au moins dont une fillette de trois ans ont été tués dans cette attaque
qui s’est faite par des raids aériens. Dix-huit autres personnes ont été
blessées.
Dans une déclaration faite à la télévision d’Etat,
le premier ministre Maliki a sévèrement critiqué l’opération américaine en
disant qu’il était « très en colère et peiné », promettant « que
ceci ne se reproduirait pas ». Le président Talabani, un Kurde, aurait
rencontré l’officier supérieur américain, le général George Casey, pour lui
dire qu’« il n’est dans l’intérêt de personne d’avoir une confrontation »
avec le mouvement de Sadr.
Ces commentaires représentent une tentative
plutôt désespérée de Maliki et de son gouvernement pour conserver une certaine
crédibilité dans ce climat où domine un vaste sentiment anti-américain créé par
les atrocités israélo-américaines au Liban ainsi que par la catastrophe sociale
et économique croissante en Irak.
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