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Manoeuvres et apaisement, telle est la réponse de l’Europe à la guerre américano-israélienne contre le Liban
par Chris Marsden and Julie Hyland
5 août 2006
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La réponse des gouvernements européens à l’attaque du Liban
par Israël, soutenu par les Etats-Unis, est une réponse lâche et dénuée de tout
principe. Toute prétention que l’Union européenne était capable d’avancer une
politique étrangère indépendante de Washington a été réduite à néant avec sa
résolution sur la crise libanaise publiée le 1er août et appelant à « une
cessation immédiate des hostilités, point de départ d’un cessez-le-feu durable ».
Toute l’importance politique de cette formulation tortueuse
réside dans la séparation des termes « immédiat » et « cessez-le-feu ».
Cette résolution est un exercice de sémantique. On serait bien à mal de trouver
une définition dans le dictionnaire qui fasse une distinction entre « cessation
immédiate des hostilités » et « cessez-le-feu ». Mais jouer
ainsi sur les mots était nécessaire pour dissimuler les divisions révélées par
la réunion et qui écartent toute possibilité d’une réponse européenne viable.
La première mouture du document, proposée par la présidence
finlandaise, appelait à un cessez-le-feu immédiat et comprenait une phrase
avertissant que « négliger les précautions nécessaires pour éviter la mort
de civils constitue une grave atteinte à la loi humanitaire internationale ».
Les deux formulations ont été rejetées afin d’apaiser
l’opposition conduite par la Grande-Bretagne et l’Allemagne, soutenues par la
République tchèque, la Pologne et le Danemark. A la place, la résolution a
appelé toutes les parties à « tout faire pour protéger les populations
civiles et s’abstenir de tout acte en violation de la loi humanitaire
internationale. » C’est exactement ce qu’Israël prétend faire. La
résolution a encore été changée pour placer la condamnation des attaques de
roquettes sur Israël par le Hezbollah avant la condamnation du massacre par
Israël des civils libanais de Cana.
La France a déclaré que la résolution était une victoire de sa
diplomatie, mais c’est en fait un repli significatif. Dès le début du conflit,
les principales puissances européennes conduites par la France et comprenant
l’Italie et l’Espagne ont lancé des appels répétés pour un cessez-le-feu. Mais
l’UE n’a jamais été capable d’avancer une position unifiée.
La Grande-Bretagne s’est montrée, comme toujours, résolument
opposée à tout ce qui contrerait la poussée de l’administration Bush à étendre
le conflit libanais à une offensive plus large contre la Syrie et l’Iran afin
d’assurer l’hégémonie des Etats-Unis sur tout le Moyen-Orient. Contrairement à
sa position sur la guerre en Irak, l’Allemagne a adopté sans aucune ambiguïté
la même position que la Grande-Bretagne.
Avant la réunion des ministres des Affaires étrangères et en
réponse à l’attaque sanglante d’Israël sur Cana, la chancelière allemande
Angela Merkel a publié une déclaration commune avec le premier ministre britannique
Tony Blair mettant l’accent sur la formulation favorite de Washington d’un
« cessez-le-feu durable » déclaré uniquement quand les conditions le
permettront. Réitérant les déclarations banales et cyniques qu’elle fait depuis
le premier jour de l’attaque israélienne, à savoir que l’agresseur est le
Hezbollah, elle a dit aux médias, « on ne peut confondre cause et effet.
Le point de départ c’est la capture des soldats israéliens ».
La réunion à Bruxelles a démontré la position affaiblie de la
France, qui a jusque là basé toute sa politique étrangère sur une alliance
franco-allemande. Washington a démontré sa capacité à brandir un bloc dominant
de nations européennes contre tout pays qui ne se conforme pas.
La réunion a aussi montré clairement qu’aucun de ceux qui
appellent à un cessez-le-feu, la France comprise, n’a de désaccords
fondamentaux avec la stratégie américaine au Moyen-Orient. Au contraire, leur
objectif central est de maintenir leur propre influence au Moyen-Orient et de
se positionner dans la réorganisation de la région proclamée par la secrétaire
d’Etat américaine Condoleezza Rice.
Les appels au cessez-le-feu de la France, en particulier, sont
liés à des calculs politiques sur la manière de préserver ses intérêts dans la
région, ainsi que des inquiétudes militaires immédiates.
Il y a beaucoup de choses sur lesquelles Washington et Paris
sont d’accord. La France n’est l’amie ni du Hezbollah ni de la Syrie. Elle a un
long passé sanglant au Liban, où elle était jadis une puissance coloniale. Elle
était, avec Washington, un des principaux partisans de ce que l’on appelle la
« Révolution du cèdre » qui avait pour objectif de mettre fin à
l’influence de la Syrie sur le pays et de garantir un gouvernement pro-occidental
stable. Le premier ministre libanais Rafik Hariri, multimilliardaire dont
l’assassinat en 2005 a fourni le prétexte à une escalade de l’offensive antisyrienne,
était un ami personnel du président Jacques Chirac.
En août 2004, Paris a rédigé avec Washington la Résolution
1559 des Nations Unies, appelant au départ des troupes syriennes du Liban et au
désarmement du Hezbollah. Suite à l’assassinat de Hariri en février 2005, la
France s’est jointe aux Etats-Unis pour accuser la Syrie et insister pour que
la résolution 1559 soit appliquée dans sa totalité. Même à présent, le ministre
des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy a mis l’accent sur le fait que
« la condition première à un cessez-le-feu est bien sûr le désarmement du
Hezbollah ».
Malgré cela, Paris a été consternée par la volonté de
Washington de miner le gouvernement du premier ministre Fouad Siniora et de
soutenir la destruction par Israël du Liban. Ce n’est que la dernière
humiliation en date soufferte par la France aux mains des Etats-Unis. La guerre
en Irak l’a vue exclue d’une région où elle a des intérêts importants et de
semblables inquiétudes se poseront avec les démarches contre l’Iran où la
France possède des investissements significatifs.
En opposition à la ligne des Etats-Unis, la France a insisté
pour que Téhéran joue un rôle dans la mise en place d’une solution politique à
la crise libanaise. Durant ses trois dernières visites au Liban, Douste-Blazy a
insisté sur le fait que l’Iran pourrait avoir « un rôle stabilisateur »
dans la région, décrivant l’Iran comme « un grand pays, un grand peuple et
une grande civilisation ». La France, dit-il « ne pourrait jamais
accepter la déstabilisation du Liban, qui pourrait conduire à la
déstabilisation de la région ».
Quand il était à Beyrouth, il a rencontré le ministre des Affaires
étrangères iranien, Manouchehr Mottaki et a fait clairement comprendre qu’il
était prêt à se rendre à Téhéran.
Paris croit réellement pouvoir exploiter à son avantage le
refus de Washington de négocier avec Téhéran et pense que cela va accroître son
influence au Moyen-Orient du fait de la vague montante de sentiment antiaméricain.
La France veut aussi établir son influence militaire en jouant
un rôle important dans la force multinationale proposée qui va maintenir
l’ordre dans une quelconque sortie de crise au Liban. Mais elle
considère qu’un cessez-le-feu et un accord politique de toutes les parties sont
la condition préalable à l’envoi de quelque 5 000 soldats français.
Les Etats-Unis sont bien contents de voir la France assumer un
rôle militaire étant donné que ses forces et celles de son allié principal, la
Grande-Bretagne, sont poussées à la limite de leurs capacités en Irak et
Afghanistan. D’un point de vue politique, c’est une bonne chose aussi pour
Washington et Londres que l’intervention militaire au Liban ne soit pas
conduite par les mêmes forces qui ont envahi l’Irak. Mais Washington
n’acceptera pas que la France joue un rôle qui ne soit pas selon les conditions
américaines.
La semaine dernière Paris a fait circuler une résolution du
Conseil de sécurité de l’ONU qui reprenait tous les éléments principaux des
exigences de Washington, dont l’établissement d’une zone tampon allant de la
frontière israélienne au fleuve Litani, mais a réitéré son appel à un
cessez-le-feu immédiat. Washington l’a contrée en déclarant qu’il proposerait
sa propre résolution.
Lors de la réunion d’urgence du Conseil de sécurité dimanche
dernier, aucune résolution américaine n’a été présentée et les pourparlers
n’ont abouti à aucun accord. Lundi, la France a fait suspendre une réunion planifiée
pour discuter de la composition de la force multinationale et a menacé de
boycotter une réunion prévue pour mercredi sur cette question.
Une source diplomatique française a dit, « la réunion est
prématurée parce que nous considérons que les conditions pour le déploiement de
la force, c'est-à-dire la fin immédiate des hostilités et un accord politique,
ne sont pas réalisées. Pour le moment, nous ne nous attendons pas à participer,
mais cela dépendra des discussions qui se tiennent en ce moment. »
Il s’agit là d’une espèce de maquignonnage des plus cyniques. La
France s’est rangée dans la résolution de l’Union européenne aux diktats
américains et elle participera à une force internationale. Mais elle fait le
calcul qu’elle a une certaine marge avant de trouver un accord, comme les
Etats-Unis veulent qu’Israël ait plus de temps pour approfondir son attaque sur
le Liban.
La France a dit clairement qu’une fois qu’un accord est
trouvé, elle sera prête à agir sans pitié pour détruire le Hezbollah. La
ministre de la Défense Michelle Alliot-Marie a insisté sur le fait que toute
force militaire doit être composée de 15 000 à 20 000 soldats, « Elle
devra être bien armée, disposer de capacités de tir importantes et de
blindés. » et devra pouvoir ouvrir le feu pour soutenir l’armée libanaise.
« Elle devra être crédible et capable de se faire respecter par les uns et
les autres », dit-elle.
Plusieurs autres nations européennes font partie des 30 pays
qui se bousculent pour entrer dans les petits papiers de Washington tout en mettant
aussi un pied au Moyen-Orient par leur participation à la force planifiée. Mais
certains sont moins désireux que la France d’être entraînés dans un bourbier
libanais. L’Italie qui soutenait la position française au sommet des ministres
des Affaires étrangères européens a dit qu’elle ne contribuerait à la force
qu’à condition que ce ne soit pas une « force de combat » et qu’elle
ne soit pas conduite par l’OTAN.
De même, bien que les conflits diplomatiques de la France avec
les Etats-Unis ont attiré l’attention des médias surtout sur ses discussions
avec Téhéran, il y a des reportages de pourparlers secrets avec la Syrie, le
Liban et même le Hezbollah impliquant des pays aussi divers que l’Italie,
l’Espagne et la Grande-Bretagne.
Les initiatives diplomatiques les plus ouvertes avec la Syrie
ont été prises par l’Allemagne, avec pour objectif de la séparer de Téhéran. Le
ministre allemand des Affaires étrangères Frank Walter Steinmeier du Parti
social démocrate aurait proposé au président syrien Bashar Assad des carottes
commerciales avec l’UE si en retour elle se sépare de Téhéran et contribue à
l’insertion d’une force multinationale. Le ministre italien des Affaires étrangères
Massimi D’Alema a aussi fait l’éloge du rôle constructif de la Syrie dans son
aide pour parvenir à la stabilité de la région.
Il y a de réelles inquiétudes parmi les puissances européennes
que le soutien de Washington à la guerre d’agression d’Israël sur Gaza et le
Liban se révélera être le début d’une conflagration régionale. Mais ce qui les
unit tous c’est leur refus de considérer une confrontation ouverte avec les
Etats-Unis.
Deux facteurs dictent cette politique d’apaisement.
Tout d’abord, ils calculent qu’aucune alliance de nations
européennes, y compris l’UE dans sa totalité, n’a la capacité militaire de
défier les Etats-Unis. Ils sont intimidés par l’éruption du militarisme
américain qui avait commencé avec la première Guerre du Golfe en 1991 et qui
trouve son expression la plus accomplie dans la doctrine de guerre préventive
de Bush. Leur plus grande peur est que l’opposition politique provoquerait
Washington à mettre fin à toute collaboration avec les institutions
internationales comme l’ONU et à poursuivre une trajectoire unilatérale
déclarée d’hégémonie mondiale.
Deuxièmement, l’occupation de l’Irak et les préparations
avancées pour des hostilités contre l’Iran signalent un réarrangement, non
seulement du Moyen-Orient, mais du monde entier qui déterminera qui aura accès
aux ressources stratégiques tels que le pétrole et le gaz. Tout ce que
souhaitent les pays européens c’est d’avoir droit à une part du butin en échange
de leur servilité à l’égard de Washington.
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