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Bush veut étendre aux citoyens américains les procédures de Guantanamo
Par Patrick Martin
2 Août 2006
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Dans un projet de loi préparé par l’administration Bush en réponse à la
décision prise le mois dernier par la Cour suprême contre l’usage de tribunaux
militaires pour juger les prisonniers de Guantánamo Bay, le gouvernement
propose d’étendre aux citoyens américains la pratique de la détention illimitée
et du procès sommaire aux mains de commissions militaires.
Selon des reportages parus dans la presse vendredi et s’appuyant sur des
fuites provenant de gens ayant accès au projet de loi, la loi rendrait
effectivement légal, avec des modifications mineures, l’usage de tribunaux militaires
sous la forme ordonnée par Bush en 2001 et soumettrait pour la première fois,
de même que des ressortissants étrangers, des citoyens américains à de telles
procédures judiciaires sommaires.
Ces tribunaux, des commissions composées de personnel militaire actif et
sous les ordres du président-chef des armées, auraient le pouvoir d’imposer la
peine de mort, s’appuyant sur des dépositions secrètes au cours d’audiences
dont les accusés pourraient être exclus chaque fois que les juges militaires
décideraient que cela est « nécessaire pour protéger la sécurité
nationale ».
Le Washington Post a écrit que le projet de loi avait initialement
confirmé le décret présidentiel de 2001 limitant la juridiction des commissions
militaires à des « combattants ennemis étrangers ». Cette ancienne
formulation a été, selon ce journal, rejetée et remplacée par un texte donnant
aux commissions l’autorité de juger quiconque serait « engagé dans des
hostilités envers les Etats-Unis ou ses alliés » indépendamment de la nationalité.
Lorsque John Walker Lindh, un Américain, fut capturé en Afghanistan en 2001,
où il faisait partie des forces armées contrôlées par les Talibans, il ne fut
pas incarcéré à Guantánamo parce qu’il était citoyen américain. Son procès eut
lieu devant un tribunal fédéral qui lui offrit une plus ample protection
légale, obligeant finalement le gouvernement Bush à accepter
une « négociation de plaidoyer » et une peine de prison de 20
ans plutôt que de requérir la peine de mort. Si la législation projetée avait
été en vigueur, Lindh aurait pu être traduit devant un tribunal militaire.
D’autres dispositions de ce projet de loi permettraient l’usage de
témoignages fondés sur le ouï-dire, élimineraient le droit à un procès rapide
(sanctionnant de fait la détention illimitée sans procès) et permettraient
l’utilisation de matériel confidentiel de preuve qui ne serait donné aux
accusés que sous une forme sommaire. L’exclusion des accusés et de leurs
avocats civils des audiences serait à la discrétion du juge, les prisonniers
n’étant dans ce cas représentés que par un avocat militaire qui, en tant
qu’officier aux ordres devrait obéir à l’autorité présidentielle.
Une décision aux deux tiers, au lieu d’un verdict unanime prononcé par un
jury, suffirait pour entraîner une condamnation et l’unanimité serait seulement
nécessaire pour la peine de mort qui devra être confirmée par le président. Ainsi
que dans l’actuel système, mis hors-la-loi par la décision Hamdan de la
Cour suprême, les prisonniers pourraient de par la nouvelle loi, être détenus,
même s’ils étaient acquittés, jusqu'à « cessation des hostilités ».
Etant donné la définition élastique de la « guerre contre le
terrorisme » du gouvernement Bush, cela signifie sans limite dans le
temps.
Selon certaines formulations contenues dans le projet de loi et citées par
le New York Times, celui-ci rejette un système basé sur des cours
martiales comme « non praticable pour ce qui est du jugement d’ennemis
combattants », en partie parce qu’une telle procédure judiciaire exclurait
« le témoignage fondé sur le ouï-dire considéré comme probant et
fiable ».
Des preuves obtenues par la torture ne seraient pas admissibles, mais cette
interdiction est largement vidée de sa substance par une disposition stipulant
que les juges militaires peuvent accepter des preuves obtenues au moyen de
l’« interrogation coercitive », formule utilisée par l’administration
Bush pour décrire des méthodes comme le « waterboarding » que le
reste du monde considère comme de la torture.
Le projet de loi a été rédigé sans consultation des avocats du corps des
assesseurs en chef (JAG), parce que ces procureurs et juges militaires de
carrière ont absolument tenu à utiliser le système de cour martiale comme base
pour juger les prisonniers et pour faire respecter l’applicabilité des
Conventions de Genève à tous les prisonniers capturés par l’armée américaine.
Les JAG, ainsi que les avocats de la défense de l’armée qui se sont battus pour
le verdict Hamdan et ont gagné, ont averti qu’en créant une exception
aux Conventions de Genève, le gouvernement américain mettrait en danger les
soldats américains capturés dans les guerres actuelles et à venir.
En plus d’annuler le décret sur les commissions militaires de 2001, la
décision Hamdan avait maintenu l’applicabilité de l’article 3 commun aux
quatre Conventions de Genève à tous les prisonniers capturés par le
gouvernement américain, qu’ils soient reconnus prisonniers de guerre ou traités
comme « combattants illégaux ». L’article 3 commun aux quatre Conventions
interdit «les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements
humiliants et dégradants» de prisonniers, description qui s’appliquerait à
presque tous les prisonniers détenus à Guantanamo Bay, à Abou Ghraib, dans la
base aérienne de Bagram en Afghanistan et les prisons secrètes de la CIA
partout ailleurs.
La législation préparée par la Maison-Blanche outrepasserait effectivement
cette partie de la décision de la Cour suprême, en déclarant que les
Conventions de Genève « ne sont pas une source de droits individuels
juridiquement applicables ». Cela veut dire que les prisonniers
individuels perdraient le droit d’engager des poursuites contre la violation de
leurs droits, limitant cette possibilité aux seuls gouvernements. Il existe peu
de gouvernements qui risqueraient un conflit avec l’administration Bush en
engageant des poursuites pour le compte de prisonniers étiquetés comme
« terroristes ».
Il n’est pas certain que ce projet de loi, dans cette forme spécifique
préparée par Steven G. Bradbury, procureur général adjoint, obtienne
l’approbation du Congrès, mais un sénateur clé, le républicain Lindsey Graham
de Caroline du sud a dit que c’était « un bon début ». Graham,
lui-même membre du corps de réserve des JAG, a dit qu’il soutenait l’utilisation
de preuves fondées sur des ouï-dire et l’exclusion des prisonniers de leurs
procès, à condition que ces mesures soient soumises à un appel.
L’avant-projet de législation cherche aussi à devancer une autre conséquence
anticipée de la décision Hamdan : que les fonctionnaires américains
puissent être poursuivis pour crimes de guerre pour avoir autorisé la violation
des Accords de Genève. Conformément à la loi de 1996 sur les crimes de guerre,
les violations des Conventions de Genève sont des crimes contre les Etats-Unis
et les auteurs de tels crimes peuvent être soumis à la peine de mort si des
prisonniers meurent suite à leurs actions.
La loi de 1996 avait été préparée par un républicain de droite et votée par
un congrès à majorité républicaine afin de se plier au lobby américain des
Prisonniers de guerre portés disparus (POW-MIA). Initialement, il prenait pour
cible les fonctionnaires du gouvernement vietnamien jugés responsables de la
torture et de la mort de prisonniers américains pendant la guerre du Vietnam.
Ironie de l’histoire, cette loi pourrait à présent soumettre les hauts
fonctionnaires de l’administration Bush – Bush en personne, Cheney, Rumsfeld,
Rice et d’autres – à des sanctions criminelles pour la mort de prisonniers
détenus par le gouvernement américain en Irak, Afghanistan et ailleurs.
Comme l’a résumé le Washington Post dans une analyse de première page
publiée le 28 juillet, « une loi obscure, approuvée par un Congrès à
majorité républicaine, il y a de cela une décennie, fait craindre à l’administration
Bush que des fonctionnaires et des soldats, impliqués dans la manière de
traiter les détenus, soient accusés de commettre des crimes de guerre et
poursuivis à un moment donné dans des tribunaux américains ». Le journal
rapportait que le procureur général Alberto Gonzales s’était entretenu avec des
dirigeants du Congrès sur la nécessité de «protections» contre une telle
éventualité.
Le projet de loi cherche à résoudre le problème en déclarant qu’une loi
votée l’an dernier sur le traitement humain des détenus américains - préparée par le sénateur John McCain et
ajoutée à un projet de loi de finances militaires sur la question de
l’opposition de la Maison-Blanche — « satisferait
entièrement » les exigences de l’Article trois commun.
Une des dispositions du projet de loi serait aussi que la Loi sur les crimes
de guerre de 1996 ne s’applique qu’aux violations des Conventions de Genève
telles qu’elles sont interprétées par le gouvernement américain et non par la
communauté internationale, ce qui revient dans les faits à retirer aux
conventions leur valeur d’instrument de loi internationale.
Etant donné que la décision de poursuivre en justice incombe au secrétariat
de la Justice américain, dirigé par Gonzales, acolyte de Bush, il n’est
guère possible qu’un fonctionnaire de l’administration Bush soit, dans un
avenir proche, accusé de violation de la Loi sur les crimes de guerre. Mais
leur inquiétude quant à leur vulnérabilité légale est néanmoins réelle. Les
criminels de guerre de la Maison-Blanche et du Pentagone sont tout à fait
conscients de l’opposition de masse à la guerre en Irak, tant
internationalement que, de plus en plus, aux Etats-Unis, et ils jettent des
regards inquiets autour d’eux.
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