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et analyses : Moyen-Orient
Après le massacre de Cana
Israël intensifie son offensive au Liban avec l’appui des Etats-Unis
par Mike Head
2 août 2006
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Obtenant encore une fois
l’approbation de l’administration Bush à la suite du massacre de Cana, Israël a
intensifié son bombardement du Liban et a lancé une plus grande offensive
terrestre dans une tentative pour occuper une bande de territoire à travers le
sud.
Face à un tollé
international soulevé par la mort de 60 personnes innocentes à Cana, pour la plupart
des enfants et des femmes, le gouvernement israélien a déclaré qu’il n’y aurait
pas de cessez-le-feu tant qu’il n’aurait pas accompli sa mission d’éliminer le
Hezbollah. Cela signifie terroriser et expulser la population du Liban sud.
Lors d’une réunion dans la
nuit de lundi à mardi, le cabinet de sécurité du premier ministre israélien
Ehoud Olmert a autorisé l’intensification de la guerre terrestre, faisant
entrer en action des milliers de soldats massés à la frontière libanaise. « Le
cabinet de sécurité a approuvé l’accroissement des opérations terrestres sans
aucune objection », a déclaré aux journalistes un représentant du
gouvernement.
Plus tôt, dans un discours
télédiffusé nationalement et s’adressant aux maires du nord d’Israël, Olmert a
déclaré: « Le combat se poursuit. Il n’y a pas de cessez-le-feu et il n’y
aura pas de cessez-le-feu dans les prochains jours.» Il a ajouté qu’Israël
devait encore faire face à « de nombreux jours de combats », et que « c’est
une chance unique pour changer les règles au Liban ».
Loin de diminuer l’attaque
à la suite du bain de sang de Cana, les Etats-Unis et Israël sont en train
d’établir une zone interdite au Liban sud: un élément d’une stratégie plus
large qui consiste à amener le pays et la région sous leur domination. Le plan
pour éliminer le Hezbollah n’est rien de moins qu’une guerre contre la
population au complet. Alors que le Hezbollah est qualifié d’organisation
terroriste par Washington, il est basé sur les masses et a actuellement l’appui
de l’écrasante majorité du peuple libanais ordinaire – chrétien et sunnite
aussi bien que chiite – dans sa lutte contre l’agression israélienne.
Lundi, s’adressant à des
dirigeants d’entreprise à Miami, le président américain George Bush a répété la
demande de Washington pour un arrêt « durable » de la violence au
Liban, malgré des pressions internationales grandissantes pour un cessez-le-feu
immédiat. « J’ai assuré aux gens ici que nous allons élaborer un plan au
Conseil de sécurité des Nations unies qui abordera les causes premières du
problème », a affirmé Bush à des journalistes.
Par aborder les
« causes premières », l’administration Bush veut réellement dire non
seulement écraser la résistance massive à l’agression israélienne par le
Hezbollah et la population sud-libanaise, mais aussi affronter les
gouvernements de la Syrie et de l’Iran, qui sont accusés de plus en plus par
Washington et Jérusalem de fournir des armes au Hezbollah.
Les affirmations de la
secrétaire d’Etat des Etats-Unis, Condoleezza Rice, selon lesquelles elle
aurait convaincu le gouvernement israélien d’accepter une suspension de 48
heures des bombardements aériens et un échéancier pour un cessez-le-feu d’ici
une semaine ont été démasquées lorsqu’Olmert, qui avait rencontré Rice dans la
nuit de samedi et ensuite la journée de dimanche, a émis une déclaration
affirmant qu’il avait dit à Rice qu’Israël avait encore besoin de 10 à 14 jours
pour compléter ses objectifs de guerre.
La vérité est que, à l’abri
des regards indiscrets, Rice, au nom de l’administration Bush, a donné le feu
vert à Olmert pour l’intensification des combats, et leur prolongation de deux
semaines, qui avaient été déjà planifiées par l’armée israélienne à la suite de
son échec à venir à bout de la résistance du Hezbollah.
« Pensez-vous que, avec l’étroite
relation qu’il entretient avec Bush et Condi, il irait dire quelque chose du
genre sans leur consentement ? » a déclaré un important représentant
israélien au New York Times. Le représentant a affirmé qu’il croyait que
les diplomates américains étaient d’accord sur le fait que les forces armées
israéliennes avaient besoin de plus de temps pour sécuriser une zone tampon au
Liban sud avant qu’une force internationale puisse y pénétrer. Même si Rice avait
commencé à travailler sur une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU jeudi,
a-t-il fait remarquer, il s’écoulerait plusieurs jours avec que cette
résolution ne soit acceptée.
Après que les Etats-Unis
eurent énoncé clairement leur position, un représentant de l’ONU a affirmé
qu’une réunion prévue lundi sur la question de l’envoi d’une nouvelle force
internationale au Liban avait été retardée « jusqu’à ce qu’il y ait
clarification politique » sur le futur de la guerre qui dure depuis
maintenant trois semaines.
Au sol, le bombardement
incessant des villages libanais ne s’est jamais arrêté. Des journalistes ont
affirmé que les gens ne pouvaient percevoir aucune diminution des attaques. Un
correspondant du London Times, Stephen Farrell, faisant un reportage de
la ville frontalière israélienne de Metula, a écrit: « Je peux voir des
obus israéliens de 155 mm qui continuent de s’abattre sur la ville frontalière
libanaise de Kila à un rythme de plus d’un à la minute, causant des incendies
et couvrant le flanc opposé de la colline d’un voile de fumée. »
Au moins deux civils ont
été blessés lors d’une frappe aérienne israélienne près de la frontière ;
les Forces de défense israéliennes (FDI) ont soutenu que leurs soldats les
avaient pris pour des combattants du Hezbollah en fuite. Les FDI ont aussi
attaqué une jeep militaire libanaise près d’un poste de l’armée à Qasmiyeh au
nord de Tyr, faisant un mort et trois blessés avec un missile lancé d’un avion
téléguidé. Des avions de guerre ont attaqué par provocation le poste frontalier
libanais de Masnaa, voisin de la Syrie, pour la troisième fois en autant de
jours, blessant quatre employés des douanes.
Les forces
terrestres des FDI ont avancé sur les villages de Ayta et Ayta el-Shab, près de
la ville de Bint Jbeil, où les troupes israéliennes avaient été forcées de
retraiter la semaine dernière après plusieurs jours de combats intenses. Des
bulldozers blindés progressaient au nord de la frontière, rasant les bâtiments.
« D’ici mercredi, nous allons établir une “zone de sécurité” de deux
kilomètres de large dans laquelle il n’y aura aucune infrastructure ni signe de
la présence du Hezbollah », a déclaré aux journalistes le chef des
opérations militaires à l’état-major, le général Gadi Eisenkaut.
Les journalistes qui sont
entrés à Bint Jbeil ont affirmé que la plupart des bâtiments au centre de la
ville, qui abritaient 25.000 personnes, avaient déjà été démolis. Nicholas
Blanchford a écrit dans le Times: « De frêles hommes et femmes, courbés par
la vieillesse, émergent des ruines et trébuchent sur les débris qui recouvrent
ce qui était la rue principale de Bint Jbeil... le centre est complètement
détruit. La rue principale est remplie d’énormes cratères.
« Les travailleurs de
la Croix-Rouge portant des civières avancent plus profondément dans la ville
détruite alors que d’autres lignes de survivants — des vieillards boiteux,
des jeunes femmes portant des enfants et traînant des vêtements dans des sacs
de plastique — sortent lentement des ruines en se dirigeant vers les
ambulances qui attendent. Laila Dakhlallah, qui porte le tchador, dit que ses
deux enfants ont été tués. “Je vais rester et me battre”, crie-t-elle. “George
Bush est un criminel. J’ai perdu mes enfants et je me fiche de mourir. Tout ce
qui m’était cher m’a été pris”. »
Les crimes de guerre
monstrueux de Cana, la réponse effrontée d’Israël et des Etats-Unis
et la complicité de l’ONU ont provoqué des manifestations de colère au Liban et
internationalement. A Beyrouth, des centaines de manifestants ont pris
un bâtiment de l’ONU d’assaut, condamnant les Etats-Unis et l’Angleterre pour
leur appui à Israël.
Environ 5000 personnes ont
manifesté dans la capitale belge, Bruxelles, des milliers d’autres se sont
réunies au Trafalgar Square de Londres pour dénoncer l’appui du premier
ministre Tony Blair aux massacres israéliens et à Paris, des centaines de
personnes se sont rassemblées à la fin du jour pour garder une minute de
silence à la mémoire des victimes de Cana.
Il y a eu des
manifestations à travers le Moyen-Orient. Environ mille manifestants sont descendus
au square du Caire et malgré qu’ils étaient encerclés par des milliers de
policiers, ils ont crié des slogans antiaméricains et critiqué les dirigeants
arabes. En Jordanie, plus de 1000 personnes ont marché jusqu’aux bureaux de
l’ONU à Amman, criant « Mort à Israël » et « A bas les
Etats-Unis ». Des douzaines de chiites ont pris la rue de la province de
l’Est en Arabie saoudite, défiant l’interdiction de manifester dans tout le
royaume.
Des centaines de femmes ont
manifesté dans la capitale syrienne de Damas, certaines portant de petits
cercueils symbolisant les enfants morts. À Koweït City, des centaines de gens
se sont assemblés devant l’ambassade américaine pour demander sa fermeture en
protestation à l’appui de Washington pour Israël. Dans la ville de Gaza, les
Palestiniens ont pris d’assaut un complexe de l’ONU avant que le président
Mahmoud Abbas ordonne à la garde présidentielle et à la police de disperser les
manifestants.
Dans l’Irak occupé par les
Etats-Unis, les manifestants ont marché à travers Sadr City à Bagdad, portant
des cercueils sur lesquels on pouvait lire « Nations unies » et
« gouvernements arabes ». Des milliers de personnes ont manifesté à Nasiriyah,
à 350 kilomètres au sud de Bagdad, scandant des slogans contre le massacre de
Cana et les attaques qui continuent sur le peuple et les infrastructures du
Liban.
Élargissement de la campagne militaire
La soi-disant suspension de
l’activité aérienne pour 48 heures annoncée par Rice a été largement fabriquée
pour cause de relations publiques internationales.
Le quotidien israélien
Haaretz a cité une source gouvernementale senior disant que l’armée de l’air
s’était fait dire de continuer à attaquer « les cibles présentant une
menace pour Israël et ses troupes, y compris les lanceurs de roquettes, les
véhicules transportant des munitions, les combattants du Hezbollah, les dépôts
d’armes et les actifs du Hezbollah ». Le terme « actifs du
Hezbollah » comprend des personnes associées au Hezbollah mais qui ne
représentent pas de menace immédiate — en d’autres termes, toute personne
vivant au Liban sud, dans la vallée de Bekaa ou à Beyrouth sud.
La trêve temporaire offerte
par Israël aux civils pour leur permettre de fuir les bombardements au Liban
sud vise à réaliser l’objectif de chasser hors de la région la population qui
s’y trouve encore. Des journalistes ont dit que les villageois fuyaient dans la
terreur. Au même moment, les organisations d’aide ont avertit que plusieurs
personnes n’avaient pas les véhicules ni les ressources pour quitter la région
et la coordonnatrice à l’aide d’urgence de l’ONU, Jan Egeland, a protesté que
les autorités israéliennes avaient refusé de fournir quelques détails que ce soit
sur « la soi-disant trêve humanitaire ».
Un ministre israélien a
admis que les déclarations de suspension des attaques aériennes avaient pour
but d’apaiser la colère internationale pour mieux augmenter l’agression
ensuite. Le ministre de la Justice Haim Ramon, un proche allié d’Olmert, a dit
à la radio des FDI : « La suspension de nos activités aériennes
ne signifie absolument pas la fin de la guerre. Au contraire, cette décision
nous permettra de gagner cette guerre et de diminuer la pression internationale. »
Le ministre israélien de la
Défense Amir Peretz a expliqué la campagne militaire plus large d’Israël et des
Etats-Unis, rejetant les appels pour un cessez-le-feu immédiat. « Cette
guerre changera la face de la région, a-t-il dit. Nous nous battons contre le
Hezbollah, qui n’est rien d’autre que l’avant-garde du régime extrémiste de
Téhéran qui le finance et qui encourage ses activités meurtrières. »
L’Iran a nié les accusations israéliennes qu’il a armé et entraîné les
combattants du Hezbollah, disant qu’il n’a donné que son appui moral au groupe.
L’appui de Washington pour
les atrocités d’Israël continuant toujours a été clair à la réunion du Conseil
de sécurité de l’ONU à New York, où les Etats-Unis ont bloqué toute
condamnation d’Israël quant aux bombardements de Cana. Le conseil regroupant
quinze pays s’est rencontré d’urgence à la demande du secrétaire général des
Nations unies, Koffi Annan, et du premier ministre libanais, Fouad Siniora,
pour considérer une déclaration, proposée par le Qatar, décrivant l’attaque
comme « délibérée » et demandant un cessez-le-feu.
Mais les Etats-Unis ont
insisté que la déclaration soit modifiée, en ligne avec sa position, et qu’elle
« déplore fortement la perte de ces vies innocentes et la mort de
civils dans le conflit actuel » et « souligne la nécessité urgente de
fixer un cessez-le-feu durable, permanent et qui résiste ». La déclaration
finale a été acceptée après que les Etats-Unis eurent annoncé qu’Israël
suspendait ses frappes aériennes pour 48 heures en attendant les résultats
d’une enquête sur les bombardements de Cana.
Par contraste, plus tard dans la journée, le Conseil de sécurité de l’ONU a
voté 14 pour et 1 contre en faveur d’une résolution menaçant l’Iran de
sanctions après le 31 août s’il n’arrêtait pas son programme d’enrichissement
de l’uranium et s’il ne soumettait pas son programme nucléaire à des
inspections internationales. Alors que les termes de la résolution, qui fut
négociée entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité — la France,
l’Angleterre, la Chine, la Russie et les Etats-Unis — ainsi que
l’Allemagne n’imposent pas de sanctions immédiates, John Bolton, l’ambassadeur
américain aux Nations unies a salué son adoption.
Bolton a accusé l’Iran, comme l’Irak avant lui, de « constamment défier
la communauté internationale ». L’Iran a nié qu’il planifiait enrichir de
l’uranium pour d’autres raisons que pour la production d’énergie nucléaire. Les
accusations de Washington ont été faites dans le but d’offrir un prétexte pour
une attaque contre l’Iran. La satisfaction de Bolton envers la résolution
reflète le fait que la Chine et la Russie tout autant que les puissances
européennes se sont ralliées à une position agressive face à l’Iran.
Les deux résolutions sont conformes à la stratégie globale de
Washington : remodeler complètement le Moyen-Orient par la force brute
pour éliminer tous les obstacles à son hégémonie sur la région riche en pétrole
et en gaz naturel.
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