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Suède: les leçons du conflit des ouvriers du bâtiment de Vaxholm Par Steve James 29 juin 2006 Utilisez
cette version pour imprimer Lorsque quelques 30 ouvriers du bâtiment lettons ont commencé
à travailler en Suède en 2004 le bruit de leur labeur a résonné bien au-delà de
Stockholm. Dans ce qu’on appelle maintenant le conflit de Vaxholm on trouve des
questions qui révèlent avec acuité la nature de l’Union européenne, de son
expansion vers l’est et la faillite de la riposte des syndicats. La Lettonie a rejoint l’Union européenne en 2004, suite à
plusieurs années durant lesquelles la minuscule économie de l’ancien satellite
soviétique avait été préparée à l’adhésion et sa population laborieuse harcelée
avait été bombardée de reportages vantant les bénéfices d’une adhésion au
marché unique le plus grand du monde. L’adhésion à l’Union européenne a été
approuvée par 67 pour cent des voix fin 2003. Juste un peu plus d’un million de
personnes avaient pris part au vote, soit 71 pour cent de l’électorat. Le vote massif en faveur de l’Union européenne reflétait les
expériences amères de bien des Lettons depuis l’effondrement de l’Union
soviétique en 1991. Entre 1991 et 2002, d’après la Banque mondiale, la
population avait baissé de 12 pour cent pour atteindre 2.3 millions. Malgré
cela, le chômage atteignait le niveau record de 20 pour cent dans les années
90, et tourne aujourd’hui autour de 11 pour cent. Le salaire minimum est l’équivalent de 120 euros par mois
(150$ américains), le salaire moyen tourne autour de 230 euros (289$). Les
emplois ‘enveloppe’ non déclarés et précaires représentent entre 15 et 45 pour
cent des emplois et jusqu’à 18 pour cent du PIB. Le pays a le taux le plus
élevé d’accidents du travail dans l’UE. C’est notamment le cas dans l’industrie
du bâtiment. Il existe aussi des disparités régionales très marquées entre
les villes. C’est le cas particulièrement si l’on compare la capitale, Riga,
qui est en quelque sorte une ville en pleine expansion où le chômage est
relativement bas et les salaires élevés, avec des régions rurales telles Latgale
où le taux de chômage s’élève à 18 pour cent et les salaires ne sont que 73
pour cent de la moyenne nationale déjà basse. Comme pour tous les nouveaux Etats membres en provenance d’Europe
de l’est et d’Europe centrale, les ouvriers lettons représentent une réserve de
main d’oeuvre bon marché tant pour les patrons lettons qu’étrangers. On estime
à quelques 50 000 les Lettons qui travaillent dans d’autres coins de
l’Union européenne, notamment en Irlande où jusque 20 000 travaillent
ainsi qu’en Grande-Bretagne. Jusqu’à présent, seules la Grande-Bretagne,
l’Irlande et la Suède appliquent entièrement les mesures de l’UE sur la
mobilité de la main d’œuvre. En 2004, la compagnie de construction basée en Lettonie, Laval
un Partneri, avait commencé un projet de chantier de réaménagement et de
reconstruction d’un établissement scolaire à Vaxholm, principale ville sur un
archipel d’îles de la mer Baltique à la sortie de Stockholm. Le contrat,
accordé au moins offrant, était le dernier d’une série pour la filiale suédoise
de la compagnie qui cherchait à exploiter la différence énorme de salaire entre
la Suède, où le salaire moyen tourne autour de 1 999 euros par mois, et
ses voisins de la Baltique. La filiale de Laval, L&P Baltic AB, payait à ses employés
des salaires relativement élevés pour la Lettonie, autour de 9 euros de
l’heure, avec nourriture et logement en plus. Mais ce tarif est nettement en
dessous du taux convenu pour les ouvriers du bâtiment avec le principal
syndicat du bâtiment suédois, Byggnad. Byggnad, citant la pratique qui existe en Suède depuis
longtemps, d’un salaire minimum établi pour toutes les industries par des “conventions
collectives” entre patrons, syndicats et Etat, a exigé que Laval paye le taux
suédois qui tourne autour de 16 euros de l’heure. Les conventions collectives
signifient généralement des accords, entre syndicats et patrons, proscrivant
grève et lock-out, avec en retour une échelle des salaires reconnue par les
deux partis et des procédures de résolution de conflits. L’importance des conventions collectives est telle que la
Suède, pays où 80 pour cent de la main d’oeuvre est syndiquée, a négocié une
annexe à sa demande de candidature à l’UE en 1994/95 qui admette que les conventions
collectives devraient être reconnues comme étant une expression de la loi de
l’Union européenne en Suède. Le Danemark a négocié un arrangement similaire. Dans ces deux pays, les syndicats jouent depuis des décennies
un rôle central pour dicter la trajectoire de l’économie. Ces dernières années,
ils ont été les principaux instruments par lesquels la paix sociale a été
maintenue tandis que leurs économies ont été réorganisées pour être
compétitives sur la scène mondiale. Cela a été accompli sans confrontation
directe entre la classe ouvrière et les patrons. Initialement Laval avait accepté d’être tenu par l’accord,
mais a ensuite changé d’avis. Désireux d’exploiter les niveaux de bas salaires
en Lettonie, la compagnie a déclaré qu’elle avait déjà un accord avec le
Syndicat letton des ouvriers du bâtiment. De ce fait une convention collective
à la suédoise n’était pas nécessaire. Face à cela, Byggnad a organisé un piquet du chantier par
quelques 50 ouvriers du bâtiment, s’assurant que les fournitures n’étaient pas
livrées. Le syndicat des électriciens a appelé à une grève de solidarité d’un
jour. Le piquet s’est maintenu pendant plusieurs semaines. Le syndicat réclamait un salaire significativement plus élevé
pour les ouvriers lettons, mais la question sous jacente en jeu pour la
bureaucratie syndicale c’était les conventions collectives sur lesquels se base
le «modèle suédois» d’alliance corporatiste entre patronat et syndicats. C’est
ce qui explique que le principal slogan sur le piquet de grève de Vaxholm était
«Des lois suédoises en Suède» et ce qui explique aussi que le conflit avait obtenu
le soutien tacite du gouvernement social-démocrate. Le modèle suédois remis en question Le conflit s’est intensifié pour devenir une question
politique majeure dans les deux pays. Une querelle diplomatique a éclaté entre
eux et l’UE où a été remise en question non seulement la convention collective
de Byggnad mais aussi «le modèle suédois» tout entier. Le gouvernement letton a exigé que la Suède mette en pratique
le «libre déplacement des services» de l’UE. Le ministre des affaires
étrangères Artis Pabriks s’est plaint que la réponse de la Suède «va à
l’encontre de notre conception des raisons pour lesquelles nous avons adhéré à
l’UE.» La presse lettonne a dénoncé les syndicats suédois comme anti-lettons.
Un groupe de travail gouvernemental a été établi pour examiner si la position
du gouvernement suédois constituait un manquement à la loi de l’EU. Le syndicat suédois a pris la mesure sans précédent de contrer
les accusations de xénophobie venant de patrons lettons en publiant des petites
annonces de recrutement dans la presse lettonne. Laval a intenté un procès à
Byggnad au tribunal suédois du travail comme première mesure avant de porter
l’affaire devant la Cour européenne de justice. L’affaire Laval a aussi été soutenue par l’industrie du
bâtiment en Suède, la Confédération des patrons suédois, Svenskt Näringsliv, et
le Parti modéré (conservateur). La fédération représente quelques 55 000
compagnies suédoises. Svenskt Näringsliv est de plus en plus frustrée par le modèle
suédois, qui d’après eux, freine la possibilité des grandes entreprises d’exploiter
la main d’œuvre bon marché. Ils s’opposent aussi à la volonté et possibilité
légale des travailleurs de faire des grèves de soutien pour défendre le niveau
des salaires et les conventions collectives, notamment dans les industries des
transports et du bâtiment. Dans un document récent, “Le modèle suédois chavire”, la
fédération a appelé à une règle de “proportionnalité” visant à limiter l’efficacité
de toute grève, à une interdiction des actions de solidarité, à des
négociations imposées par la loi, à l’interdiction des grèves qui représentent
«un danger pour la société» et des grèves, par tout syndicat, qui se
produiraient dans des industries où des conventions collectives ont déjà été
négociées avec un autre syndicat. Les patrons font appel à la Cour européenne de justice En février 2005, L&P Baltic AB a perdu le contrat Vaxholm
après que les autorités locales aient décidé de tabler sur des entrepreneurs
qui respectaient les conventions collectives. Le chantier de l’établissement
scolaire a été terminé par des syndiqués suédois de Byggnad. Peu après, le
tribunal suédois du travail a statué en faveur de Byggnad. Mais les choses ne se sont pas restées là. Svenkt Näringsliv a
encouragé et financé Laval pour qu’il poursuive le conflit avec Byggnad. En avril 2005, le tribunal du travail a annulé sa précédente
décision de ne pas envoyer l’affaire devant la Cour européenne de justice (CEJ).
La CRJ statue généralement sur des questions où les intérêts collectifs des
grandes entreprises européennes entrent en conflit avec des arrangements
nationaux dans tous les Etats membres de l’UE. Les avocats de Laval soutenaient que le tribunal suédois du
travail n’avait pas suffisamment tenu compte de la loi européenne en rendant sa
décision. L’affaire devenait alors un test sur le degré d’intervention possible
de la loi européenne pour casser les conventions collectives suédoises, et ce dans
l’intérêt des patrons qui paient de petits salaires. La controverse a même pénétré la Commission européenne elle-même. En octobre 2005 le commissaire de l’UE chargé du marché
intérieur et des services et ancien ministre irlandais des finances, Charlie
McCreevy, a déclaré qu’il considérait que l’attitude de la Suède dans le
conflit Vaxholm était un manquement à la législation européenne. Les commentaires de McCreevy ont aussitôt provoqué une tempête
chez les sociaux démocrates suédois et danois et les dirigeants syndicaux
d’Europe et crée des divisions au sein de la Commission elle-même. L’ancien premier ministre danois Poul Nyrup Rasmussen s’est
plaint que McCreevy avait en une demie heure détruit la conception de l’Europe qu’avait
les Suédois. La Fédération des syndicats européens, sous la direction de
l’ancien dirigeant du Congrès britannique des syndicats (TUC), John Monks, a
exigé que le président de la Commission européenne Jose Manuel Barroso
s’explique et dise si les attaques de McCreevy sur le «modèle social» suédois
représentaient les vues de la Commission. Barroso a répondu de façon rassurante:«En aucune manière nous
ne nous opposons ni ne critiquons le modèle social [suédois].» Cependant, lorsqu’il a été convoqué à une séance du parlement
européen fin 2005 sur le conflit pour s’expliquer, McCreevy a dit avec
insistance «les membres des syndicats lettons ont le droit de voir leurs
intérêts défendus autant que les membres des syndicats suédois… pour moi la
vraie question c’est de savoir ce qu’on entend par marché intérieur.» McCreevy se faisait le porte-parole des exigences des principales
grandes entreprises mondiales à pouvoir passer des contrats dans tout l’immense
marché intérieur d’Europe en n’offrant en contre partie que les salaires les
plus bas possible. La commission en général est tout à fait en faveur de cela,
mais Barroso avait clairement senti qu’il n’était pas diplomatique de prendre
une position qui irait non seulement à contre courant des arrangements
politiques préférés de certains Etats membres, mais qui attiserait aussi
l’opposition populaire à l’UE. Il n’y a aucun signe donnant à penser que l’UE est plus
populaire aujourd’hui que lorsque les électeurs hollandais et français ont
rejeté la constitution européenne, en grande partie du fait qu’elle préparait
le terrain à une attaque massive sur l’aide sociale. Une nouvelle vague de
désaffection à l’égard de l’UE en Suède, surtout avec des élections générales
en préparation pour 2006, serait malvenue. De plus, le “modèle nordique” d’aide sociale et les relations
étroites avec les syndicats sur lesquels il repose, jouit d’un certain soutien
parmi certaines couches du patronat. Sa politique de «flexicurité» par laquelle
les ouvriers conservaient un certain niveau de prestations sociales tandis que
les industries sont restructurées suivant les exigences de la compétitivité
mondiale, est vue dans certains milieux comme une alternative au modèle
«néolibéral» des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Conscient de cela, le ministre suédois de l’emploi Karlsson
est allé jusqu’à menacer de retirer la Suède de l’UE. Prenant la parole le 30
janvier 2006 à la veille de la déclaration de la Commission européenne sur
cette question, il a averti:«Cette question [le retrait] sera soulevée, j’en
suis certain. Les ouvriers suédois seront déçus et c’est peu dire. Il y a des
tas de gens qui ont voté pour l’adhésion à l’UE en croyant que le modèle
suédois resterait intact.» Cela a fait son effet. La proposition officielle à la CEJ de
la Commission européenne a contredit McCreevy et déclaré explicitement, «Les
syndicats suédois ont la possibilité d’exiger que les compagnies étrangères
ayant des employés en poste en Suède négocient des conventions collectives.» Les syndicats suédois proposent une alternative aux patrons Le souci essentiel de la bureaucratie syndicale est de
défendre sa place à elle au sein des structures de direction des grandes
entreprises, et non les intérêts de ses membres. En fait, la fédération
syndicale Sweden LO et Svenskt Näringsliv se sont mis d’accord sur un procédé
pour organiser l’importation d’un grand nombre d’ouvriers d’Europe de l’est.
D’après leur accord, toute compagnie étrangère pourrait devenir membre
temporaire de Svenskt Näringsliv. La compagnie se placerait alors sous les
attributions des conventions collectives s’appliquant à cette industrie.
Svenskt Näringsliv a salué cet accord comme une proposition pour les nouveaux
membres de bénéficier de la clause d’interdiction de grève tout en concédant à
la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail
l’accord promis de tenir compte de «la structure salariale existant dans la
compagnie étrangère.» Dans les faits, les syndicats suédois organisent à présent pour
le patronat la destruction des niveaux de salaire existant et des conditions de
travail. Telle est la réalité du slogan «Des lois suédoises en Suède.» La classe ouvrière doit trouver un moyen d’unifier
politiquement et en pratique sa lutte à travers les frontières européennes et
au-delà. Le conflit de Vaxholm montre le danger posé pour les ouvriers quand
le patronat – même la plus insignifiante agence pour l’emploi baltique – est organisé
à échelle mondiale tandis qu’ils restent eux enfermés dans le carcan d’organisations
nationalistes et pro-capitalistes. Les ouvriers suédois et lettons mis à présent dos à dos ont
des intérêts communs, comme leurs homologues allemands, russes et polonais.
Tous sont confrontés à l’UE, aux patrons et à leur propre gouvernement national
comme à un ennemi. Aucun ne peut se défendre dans le cadre de l’Etat même le
plus riche. Ils doivent au contraire mener une offensive à l’échelle du
continent contre les baisses de salaires des grandes entreprises au sein d’une
lutte politique pour la réorganisation de la vie économique dans leur propre intérêt
à travers la création des Etats socialistes unis d’Europe.
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