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La presse québécoise lance une campagne de salissage contre une personnalité réclamant la lumière sur le 11 septembre
Par Guy Charron et Richard Dufour
24 juin 2006
La campagne de presse déclenchée au Québec contre Amir Khadir pour avoir soulevé la possibilité «de manigance et de manipulation» de la part des autorités américaines dans les attentats terroristes du 11 septembre 2001 a pris des allures de véritable chasse aux sorcières.
Khadir est le co-dirigeant d’un parti nouvellement formé, Québec solidaire, dont l’orientation environnementaliste et féministe, ainsi que les timides critiques des deux partis traditionnels de la grande entreprise, le Parti libéral du Québec et le Parti québécois (PQ), lui ont valu l’étiquette «de gauche» par les médias officiels.
Que ces derniers, promoteurs assidus d’un assaut frontal sur les services publics, les salaires et les conditions de travail au nom de la «libre entreprise», soient à l’affût de la moindre occasion pour discréditer le porte-parole d’une organisation se réclamant, même de manière vague et amorphe, de la solidarité sociale, n’est pas un fait étonnant.
Les médias officiels expriment les craintes de l’élite dirigeante qu’un tel appel -- dans le contexte d’inégalités sociales croissantes et d’une vaste aliénation populaire envers les directions syndicales, discréditées par leur complicité dans l’assaut patronal sur les emplois et les salaires -- ne trouve parmi les travailleurs et la jeunesse un écho qui dépasse la politique de protectionnisme, de nationalisme et de pression sur le PQ préconisée par Québec solidaire, pour devenir une menace à l’ordre existant.
Ce qui frappe néanmoins aux yeux, c’est le caractère si grossièrement fabriqué et la virulence de la campagne médiatique lancée depuis deux semaines contre le dirigeant de Québec solidaire.
«11 Septembre 2001: Amir Khadir n'écarte pas la théorie du complot», pouvait-on lire le 7 juin à la une de La Presse, le plus important quotidien montréalais. «Ces théories du complot», continuait l’article censé rapporter les propos tenus par Khadir dans une entrevue accordée au journal, «foisonnent depuis les événements de septembre 2001. [Le Français Thierry] Meyssan, dans un livre devenu un best-seller international, écrivait que les autorités américaines avaient elles-mêmes organisé les événements. D'autres théories conspirationnistes imputent la responsabilité des attentats aux services secrets israéliens.»
Ces théories, poursuivait le lendemain, Mario Roy, éditorialiste au même journal, sont un «type d'élucubrations» et «une des manifestations les plus intellectuellement affligeantes de la société du spectacle dans laquelle nous vivons».
Franco Nuovo, un des principaux chroniqueurs du Journal de Montréal, tabloïd populiste de droite, a consacré toute sa chronique du 9 juin à semoncer Khadir: «Sais-tu seulement que ce que tu fais est dangereux? Que tu as une notoriété et que t'en servir pour donner écho à pareilles théories te rend responsable? »
Christian Roux du Devoir, quotidien québécois proche des milieux nationalistes du PQ, enchaînait le même jour en pointant du doigt l’«antiaméricanisme, dont le porte-parole de Québec solidaire, Amir Khadir, vient de nous fournir une illustration renversante en laissant ouvertement entendre qu'une conspiration américaine aurait pu être à l'origine du 11-Septembre!»
Après un tel tapage médiatique autour des propos de Khadir, on pourrait croire que ce dernier a commis une énorme bourde faisant de lui, dans le meilleur des cas, un bouffon politique que personne ne devrait prendre au sérieux.
Mais qu’a dit Khadir au juste dans son entrevue? Il suffit d’une lecture le moindrement honnête des extraits publiés le 7 juin dans La Presse pour déceler l’amalgame qui se trouve derrière la campagne de salissage lancée contre Khadir.
«La question se pose: quelle crédibilité faut-il accorder aux théories conspirationnistes», a commencé Khadir, apparemment en réponse à une question sur le sujet. «De manière plus directe, les Américains seraient-ils impliqués dans les attentats du 11 septembre? Moi je pense qu'il faut être extrêmement prudent. Et je pense que la prudence primordiale, c'est de ne pas rejeter du revers de la main ces théories-là, de demander une enquête sérieuse et indépendante des pouvoirs publics.»
Il s’est ensuite dissocié des thèses à la Thierry Meyssan, comme a dû le reconnaître La Presse, soulignant du même coup le caractère trompeur de sa propre manchette du jour. «Amir Khadir, lui, n'accorde pas nécessairement foi à ces théories du complot. D'ailleurs, si une grande enquête internationale était instituée, elle conclurait probablement que le 11 septembre est bel et bien un acte de terrorisme organisé par Oussama ben Laden, croit-il. ‘Je pense que ce serait ça, personnellement’».
Khadir a poursuivi en disant que «c'est un peu léger de taxer ça de théories du complot et de dire que ça n'a aucune crédibilité. Car les enjeux sont immenses, aux plans du contrôle des ressources, des débouchés stratégiques pour les armes. Il est à tout le moins raisonnable de penser qu'il y peut y avoir eu conspiration… Sachant ce qui s'est produit dans le passé, on a le devoir d'aller fouiller.»
Sans personnellement croire «qu'aucune puissance impériale ne s'infligerait un camouflet de l'ordre du 11 septembre», il a soulevé des questions cruciales: «Quel est le niveau de manigance et de manipulation? … Est-ce que c'est d'avoir bloqué des nouvelles? Est-ce qu'on n'a pas agi, alors qu'on avait été prévenu, pour laisser venir les choses? Est-ce que des antennes bien implantées ont incité à certaines actions?» Chose certaine selon lui, c’est que les attentats terroristes sont indissociables de la politique étrangère américaine, un «régime institutionnalisé d'humiliation de tout un pan de l'humanité».
C’est un fait indéniable que l’administration Bush, ayant utilisé les événements du 11 septembre 2001 pour justifier deux guerres criminelles et la doctrine de la guerre «préventive» et pour imposer toute une série de lois abolissant des droits démocratiques de longue date, a tout fait pour tenter d’éviter une enquête sur les circonstances entourant les attentats terroristes.
Les questions soulevées par une masse de faits troublants sur ce que les services de renseignement savaient et ce qu’ils ont fait avant les attentats ont été rejetées du revers de la main par l’administration Bush comme une «perte de temps». Ce n’est qu’après des années de requêtes que la Maison Blanche a finalement accepté de mener une enquête bidon à laquelle elle a refusé de fournir des documents. Bush n’a accepté d’y témoigner qu’aux côtés du vice-président Dick Cheney, et seulement si ni l’un ni l’autre ne prêtait serment et qu’aucune note n’était prise ou d’enregistrement fait.
La déformation grossière des propos de Khadir par tous les grands quotidiens du Québec doit être vue dans le contexte de la campagne hystérique qui venait à peine d’être lancée à travers le Canada afin de créer un climat de panique qui permette à l’élite dirigeante de surmonter l’opposition populaire au virage sec à droite qu’elle veut imposer dans la politique du gouvernement fédéral.
Le vendredi précédent la une mensongère de La Presse, 17 personnes avaient été arrêtées à Toronto parce qu’elles auraient comploté des actes terroristes. Bien que les circonstances menant à l’arrestation des soi-disant terroristes étaient assez nébuleuses, les médias se sont fait le relais des affirmations les plus rocambolesques et injustifiés par les faits, cherchant à rallier l’opinion publique à l’abandon pour l’armée canadienne de son rôle de «gardien de la paix» et son remplacement par une politique plus agressive de type néo-colonial.
Déjà, lors de la dernière campagne électorale fédérale, l’élite du monde des affaires et les grands médias de tout le Canada s’étaient solidement ralliés derrière les conservateurs de Harper, appuyant leur politique militariste et leur programme de diminutions d’impôts et de compressions des dépenses sociales.
Et depuis l’élection de son gouvernement conservateur minoritaire, Harper a mené une campagne de peur à la Bush, utilisant même les attaques du 11 septembre 2001, où «deux douzaines de Canadiennes et de Canadiens ont été tués», pour justifier que le Canada prenne la tête de l’opération de contre-insurrection de l’OTAN en Afghanistan pour défendre le régime marionnette d’Ahmed Karzaï mis en place par les envahisseurs américains.
La remise en question par une personnalité politique connue du discours officiel sur le 11 septembre, et par ricochet de tout l’argumentaire sur la supposée «guerre au terrorisme», a été perçue par la grande entreprise et ses défenseurs dans les médias comme une menace à son emprise idéologique déjà chancelante, qui pourrait devenir un point de cristallisation pour l’immense opposition que suscite parmi les Canadiens ordinaires son tournant vers le militarisme et la réaction sociale.
Il y a un facteur additionnel, non moins important, dont il faut tenir compte. L’élite dirigeante québécoise est au fait que ses partis traditionnels, le Parti libéral au pouvoir et le Parti québécois dans l’opposition officielle, sont très impopulaires à cause des coupures budgétaires drastiques et des politiques néo-libérales de «libre marché» auxquelles ils sont tous deux associés.
La campagne de presse contre Khadir est un signal clair de l’élite dirigeante à un parti cherchant à se tailler une place sur la scène politique québécoise qu’elle ne tolérera aucun écart, même verbal, de la ligne établie, à savoir: la subordination pleine et entière de tous les aspects de la politique intérieure et extérieure aux intérêts du grand capital.
D’où l’appel lancé à la co-dirigeante de Québec solidaire, Françoise David, au discours moins gauchisant et jugée plus fiable dans la défense du statut quo capitaliste. Dans son éditorial, Mario Roy de La Presse exhortait «Pour le bien même de sa formation, Françoise David, l'autre porte-parole de Québec solidaire, [à] se désolidariser des propos d'Amir Khadir».
Fait significatif, David n’a pas attendu les demandes de Mario Roy. Déjà la veille, elle avait déclaré que Khadir ne parlait qu'en son nom personnel. «Il a exprimé une opinion qui est la sienne. Moi, je n'ai rien à dire, et pour Québec solidaire, ce n'est pas une priorité de discuter du 11 septembre.»
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