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Bush à Bagdad Par Patrick Martin Utilisez cette version pour imprimer La visite du président Bush à Bagdad, mardi, a été acclamée par les médias américains et Washington comme un coup magistral. En fait, la visite soudaine, réalisée secrètement, même à l’insu du gouvernement irakien supposément souverain dans le pays occupé par les États-Unis, fut une démonstration de la situation désastreuse en Irak, ainsi que l’isolement politique et la désorientation de l’administration Bush. On peut percevoir une situation dégradante, et même ridicule, dans le spectacle d’un président américain se rendant furtivement dans une capitale étrangère, y demeurant cinq heures pour une série d’apparitions publiques insignifiantes et préparées d’avance, et s’en allant secrètement en avion sans jamais avoir quitté la sécurité de la Zone verte fortifiée au centre-ville de Bagdad. Et aucune opération «d’embellissement» ne pourra changer cette perception. Le fait le plus remarquable de la visite fut que le premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, n’avait été informé de la présence de Bush dans son pays que seulement cinq minutes avant qu’on ne l’introduise au président américain. Jusqu’à ce moment, on avait fait croire à Maliki qu’il allait à l’ambassade des États-Unis pour participer à une vidéoconférence avec Bush et son cabinet de guerre, bien installés dans la retraite présidentielle de Camp David au Maryland. Le fait que Maliki ignorait la venue de Bush démontre que le gouvernement installé à Bagdad par l’envahisseur américain ne possède pas l’une des qualités essentielles de la souveraineté: il n’a aucun contrôle sur ceux qui entrent dans le pays. Si, de la même manière, Bush avait fait une visite à l’improviste dans n’importe quelle autre capitale -- probablement à l’exception de Kaboul, les quartiers généraux d’un régime laquais des États-Unis -- son avion ou son hélicoptère aurait été intercepté ou même abattu. Mais l’Irak n’est pas un pays indépendant. C’est une province conquise de l’empire américain. Le «gouvernement» irakien ne gouverne pas, même à Bagdad. Il constitue simplement une agence du véritable gouvernement, le régime d’occupation américain, dirigé par l’ambassadeur des États-Unis Zalmay Khalilzad et imposé par 130.000 soldats américains. Les médias américains n’ont pas soulevé cette question lors de la couverture initiale de la visite de Bush, répétant plutôt l’affirmation que le gouvernement irakien n’avait pas été mis au courant pour des «raisons de sécurité». Personne ne s’attendrait à ce que le plan de vol présidentiel soit dévoilé sur Internet, mais le fait de ne pas informer le gouvernement irakien, même aux plus hauts échelons, ne peut avoir que deux explications possibles. Et ni l’une ni l’autre de ces explications n’est très flatteuse à l’endroit des prétentions de l’administration Bush. Soit que le gouvernement irakien est si rempli d’ennemis de l’occupation américaine qu’informer le premier ministre Maliki, le président Jalal Talabani et leurs plus proches conseillers de la venue de Bush aurait constitué un danger. Ou soit que l’administration Bush est si indifférente à l’opinion publique mondiale et irakienne qu’elle n’essaiera pas de se donner du mal à entretenir la fiction que le gouvernement à Bagdad exerce un pouvoir quelconque. La deuxième thèse expliquerait aussi l’air renfrogné du premier ministre Maliki tout le temps où il fut avec Bush. Il semblait inconfortablement conscient que le président des États-Unis le traitait comme un invité dans son propre pays, une impression qui fut renforcée lorsque le président s’est penché vers lui pour lui glisser: «Je me rends bien compte que vous reconnaissez que l’avenir du pays est entre vos mains.» En réalité, l’avenir pas plus que le présent du pays ne sont entre les mains de Maliki, comme l’arrivée soudaine de Bush en a fait la démonstration. La date de visite de Bush a été en apparence choisie pour coïncider avec la journée de l’assermentation du nouveau cabinet de Maliki, maintenant qu’il a été approuvé par le parlement irakien. Cette approbation n’a été obtenue qu’après sept mois de disputes politiques entre les factions rivales chiites, sunnites et kurdes, basées sur l’appartenance religieuse et ethnique, pour le contrôle des différents postes de l’État, particulièrement les trois postes clés de la sécurité. Bush a salué le nouveau cabinet comme étant «très impressionnant», même si on peut douter que le président américain puisse en identifier un seul membre à part Maliki. Le véritable but de ce voyage avait plus à voir avec la politique américaine qu’avec la politique irakienne. Bush a cherché à profiter de la vague de publicité entourant la mort de Abu Mussab al-Zarqawi, le dirigeant de Al-Qaïda en Irak, et tenté de revigorer un peu son propre appui politique et celui des républicains au Congrès qui font face à la perspective de perdre la Chambre des représentants et le Sénat aux élections de novembre prochain. Bush et ses principaux conseillers politiques ne cherchent pas à renverser leurs mauvais résultats dans les sondages en faisant des concessions aux sentiments croissants contre la guerre. Plutôt, ils espèrent rallier leur base ultradroitière en utilisant la mort de Zarqawi pour donner de la crédibilité à leurs nouvelles promesses d’une victoire militaire en Irak. À cette fin, Bush a donné son appui entier à l’opération militaire que le gouvernement Maliki lancera mercredi, mobilisant 75.000 soldats irakiens appuyés par des «conseillers» et des avions de guerre de l’armée américaine pour prendre contrôle des rues de Bagdad. Des milliers de points de contrôle seront établis et des fouilles de maison en maison seront effectuées dans plusieurs quartiers suspectés d’appuyer la résistance antiaméricaine. Les campagnes de relations publiques et une démonstration de force ne vont pas toutefois changer la réalité fondamentale de la guerre en Irak: l’occupation militaire américaine rencontre une grande opposition, non seulement de la vaste majorité des Irakiens, mais d’une majorité croissante d’Américains. Le jour avant le voyage de Bush, un nouveau sondage de l’opinion publique américaine commandé par AP-Ipsos a trouvé que l’appui pour la façon dont Bush mène la guerre est tombée à 33 pour cent, un nouveau record; et que son taux d’approbation général n’atteignait que de 35 pour cent, le plus bas qu’ont connu tous les présidents américains depuis que Richard Nixon a été forcé de démissionner suite au scandale de Watergate. L’administration Bush est maintenue politiquement en vie, non pas grâce au soutien populaire pour la guerre ou pour sa politique intérieure de droite, mais par l’état prostré du Parti démocrate, le seul autre bassin important d’appui pour l’occupation américaine de l’Irak. Une réaction typique a été celle du sénateur démocrate en vue, Carl Levin du Michigan, à la visite de Bush à Bagdad. Le démocrate le plus en vue à siéger sur le Comité des services militaires a salué le voyage comme «devant probablement mener à des redéploiements en phases cette année et continuant l’année prochaine». En fait, comme l’a souligné un correspondant d’un réseau de télévision, il y a 8.000 soldats américains de plus en Irak depuis la dernière visite de Bush, pour la photo de groupe de l’Action de grâces 2003, où on pouvait le voir en train de servir de la dinde à des soldats à l’aéroport international de Bagdad. (Il a été plus tard révélé que c’était une dinde de plastique.) On retrouve une prétention tout aussi bizarre, presque enfantine, dans le dernier numéro de relations publiques. On se demande également pourquoi il a fallu par mesure de précaution garder dans le noir le directeur de la CIA, le commandant en chef des forces armées et le gros du personnel de la Maison Blanche. Y avait-il un danger d’infiltration de Al-Qaïda là aussi? Pourquoi une patrouille d’avions chasseurs au dessus de la Zone verte? L’insurrection ne possède pas une aviation. Le théâtre de combat et les mesures musclées de sécurité laissent percer un élément de lâcheté comparé aux dangers auxquels font face tous les jours des dizaines de milliers de soldats américains ordinaires, ainsi que la grande majorité du peuple irakien. C’est un trait de caractère qu’on retrouve souvent chez ceux qui, comme Bush, aiment jouer le dur. N’oublions pas que ce même président -- il s’est servi dans sa jeunesse des connections de famille pour éviter de servir au Vietnam -- a adressé cette célèbre boutade aux insurgés irakiens: «Venez-vous en». Son secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, a balayé du revers de la main les inquiétudes des soldats concernant le blindage de mauvaise qualité de leurs véhicules, en leur disant: «On va en guerre avec l’armée qu’on a.» On voit maintenant, après environ 2.500 morts chez les Américains et bien plus de 100.000 parmi les Irakiens, le commandant-en-chef des États-Unis entrer et sortir de Bagdag comme un voleur.
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