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Les médias canadiens sèment la panique autour d’un présumé complot terroriste
Par Lee Parsons et Keith Jones
15 juin 2006
Durant les douze derniers jours, les Canadiens ont été soumis à un barrage incessant de reportages incendiaires en rapport aux arrestations de dix-sept présumés terroristes survenues les 2 et 3 juin.
Des manchettes sensationnalistes, en gros caractères, ont accueilli les lecteurs de journaux: «Prendre d’assaut la Colline parlementaire, prendre les politiciens en otage, décapiter le premier ministre» (le Globe and Mail); «la génération djihadiste» (le Toronto Star); «Les djihadistes parmi nous» (le National Post).
Au lieu d’examiner de manière critique les affirmations de la police, du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et du gouvernement conservateur au sujet du présumé complot terroriste, les médias les ont grandement amplifiées et embellies. Surtout, les médias ont trompeté l’affirmation officielle que seule l’action rapide des forces de sécurité a pu empêcher une ou plusieurs atrocités terroristes.
Même si le premier ministre Stephen Harper a fait remarquer, en acclamant les arrestations, qu’il avait depuis longtemps averti les Canadiens qu’ils n’étaient pas immunisés contre la menace terroriste, ce fut les médias qui firent explicitement des comparaisons avec les événements du 11 septembre 2001, les attentats de mars 2004 à Madrid et de juillet 2005 à Londres. Pour donner un semblant de crédibilité à ces comparaisons, les médias ont fait appel à divers «experts» en matière de sécurité pour que ceux-ci leur fournissent des listes de cibles terroristes potentielles dans la région de Toronto ainsi que des «estimations de pertes en vies humaines.»
De même, ce sont les médias, plutôt que le gouvernement, qui ont fait circuler les affirmations du SCRS et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) selon lesquelles le pays faisait face à une importante menace de terroristes «provenant de l’intérieur,» et dont la capacité à se mêler à des Canadiens ordinaires les rendait particulièrement dangereux et difficiles à appréhender.
Pendant ce temps, les faits qui remettent en question les affirmations du corps policier et gouvernemental -- par exemple, que certains des présumés terroristes, pour acheter de l’engrais pouvant être utilisé dans la fabrication de bombes, ont fait affaire avec des détectives de la police -- ont été littéralement cachés; et de manifestes abus de pouvoir dignes d’un état policier, comme mobiliser des policiers armés de mitrailleuses et menotter les accusés pour leurs comparutions en cour, ont été présentés par les médias comme des indices supplémentaires du grave danger que représentait le complot terroriste.
Néanmoins, vers la fin de la semaine dernière, des failles avaient commencé à poindre dans l’histoire officielle selon laquelle les 17 hommes étaient prêts à mener une importante attaque terroriste. Entre autres, les supposés comploteurs, un groupe composé presque exclusivement de jeunes hommes et de garçons, avaient fait plusieurs choses qui avaient attiré l’attention sur eux, dont s’introduire sur une ferme pour plusieurs jours, en décembre dernier, pour participer à des jeux de guerre.
Quelle a été la réaction de la presse? A-t-elle adopté une nouvelle attitude, plus critique envers les affirmations des autorités, et a-t-elle commencé à soulever des questions sur le caractère opportun des arrestations et sur le rôle potentiel joué par des informateurs de la police et des agents provocateurs?
À peine. D’importants chroniqueurs comme Margaret Wente (Globe and Mail), David Frum (National Post) et Richard Gwyn (Toronto Star) sont entrés en action, argumentant que tous les actes terroristes n’étaient pas commis par des terroristes bien entraînés.
«Les premiers rapports,» a écrit Gwyn, «ont semblé faire croire que l’équivalent canadien des attaques sur les tours du World Trade Center par des avions détournés avait été empêché à la toute dernière minute.»
«L’analyse collective a été modifiée.»
«Maintenant, la thèse prédominante est celle-ci: ceci n’était qu’une histoire d’enfants idiots et inexpérimentés jouant à la révolution. Après avoir réagi de façon exagérée, voilà que l’on réplique de manière beaucoup trop molle.»
Toutes ces tentatives pour étayer l’argumentation du corps policier et gouvernemental que les Canadiens avaient été en grave danger avaient une chose en commun. Elles ont omis de mentionner deux faits cruciaux: le SCRC et la GRC ont eu les présumés terroristes sous une surveillance intensive pour plusieurs mois, sinon plusieurs années; les services de renseignement et la police concèdent qu’ils avaient depuis longtemps assez de preuves pour arrêter certains présumés terroristes, sinon tous, mais, avec l’approbation du gouvernement, ont décidé de ne pas le faire.
Comme le World Socialist Web Site l’a déjà expliqué, le «démantèlement du complot terroriste de Toronto» a eu lieu lorsque la police et le gouvernement ont décidé que c'était le bon moment et, clairement, a été monté pour augmenter l’autorité du SCRS et de la GRC ainsi que pour appuyer les prétentions des conservateurs selon qui le Canada doit changer ses politiques et aller au front dans la «guerre au terrorisme» (voir : Pourquoi les agences de sécurité canadiennes ont-elles laissé le présumé complot terroriste se développer?)
Christie Blatchford, la journaliste du Globe and Mail spécialisée dans les affaires juridiques et bien connue pour rapporter ce que lui demande la police et la Couronne, a cherché à contrer la perception grandissante dans le public que les autorités et la presse avaient exagéré la menace que représentait le complot terroriste de Toronto. Mais elle a pris une approche différente. Dans sa chronique de jeudi dernier, elle défendait l’idée que l’indifférence des soi-disant terroristes à la surveillance de l’État était la preuve qu’ils «connaissaient bien» le Canada et «ses habitudes collectives, ses échecs attachants, mais enrageants.»
«Ils croyaient, comme seul un Canadien le pouvait, que le service d’espionnage canadien n’était pas différent des autres sections du gouvernement, un tigre de papier édenté, très porté sur les avertissements apparemment sévères, mais qui n’agit jamais.»
Les éditeurs du Globe ont tellement aimé cette tentative grossière de développer un argument en ligne avec les déclarations des autorités quant à la gravité de la menace que posent les terroristes canadiens et le sérieux des comploteurs de Toronto qu’ils l’ont mise en première page.
Dans le Toronto Star, un quotidien de la grande entreprise, Thomas Walkom a été pratiquement le seul à mettre en doute la version officielle. Dans une série de chroniques, il a noté que le moment de la découverte du complot terroriste servait bien les intérêts de l’establishment des appareils policiers et sécuritaires ainsi que du gouvernement Harper. Le SCRS et la GRC ne veulent pas qu’un comité parlementaire effectuant la révision obligatoire après cinq années de la Loi antiterroriste votée en décembre 2001 puisse recommander l’abrogation d’un de leurs nouveaux pouvoirs. Le gouvernement Harper vient juste d’imposer une expansion importante de l’intervention des Forces armées canadiennes (FAC) en Afghanistan malgré l’opposition publique importante.
Walkom a aussi noté que la GRC et le SCRS ont auparavant déclaré que des personnes étaient impliquées dans des conspirations terroristes, la plus célèbre étant l’arrestation en 2003 d’un groupe de 23 personnes originaires de l’Asie du Sud (l’opération Thread), déclarations qui avaient été plus tard démontrées comme non fondées.
Mais de telles dissensions sont passées complètement inaperçues dans le torrent de sensationnalisme des médias.
La couverture médiatique du soi-disant complot terroriste de Toronto constitue une expansion significative de son rôle de fer de lance dans la campagne de l’élite du monde des affaires pour pousser la politique canadienne beaucoup plus à droite.
Les quotidiens les plus influents du pays, le Globe and Mail, le National Post et La Presse ont tous demandé dans leurs éditoriaux une victoire des conservateurs lors des élections fédérales de janvier dernier. L'ensemble des médias, y compris les chaînes publiques Canadian Braodcasting Corporation et Radio-Canada, se sont depuis fait les promoteurs de la campagne des conservateurs qui veulent utiliser l'intervention des FAC en Afghanistan pour claironner que le Canada est une nation guerrière. Sur une base quotidienne, les médias présentent des reportages qui louangent le rôle que «nos hommes et nos femmes» jouent pour supprimer l'insurrection des talibans dans le sud de l'Afghanistan.
Dans les derniers dix jours, les médias ont cherché à semer la peur et la panique dans une tentative évidente de mobiliser la population derrière les politiques de droite du gouvernement conservateur, surtout l'expansion du rôle des Forces armées canadiennes en Afghanistan, sa poussée pour des liens plus étroits avec l'administration Bush et ses plans pour augmenter l'appareil policier et sécuritaire de l'État, y compris la surveillance de l'Internet, au nom de la lutte au «terrorisme d'ici».
Cette campagne a eu un certain impact. Selon un sondage effectué à la fin de la semaine dernière par le Globe and Mail et CTV News, 48 pour cent des Canadiens appuient l’intervention des FAC en Afghanistan, tandis que 44 pour cent s’y opposent. Ceci représente un important changement par rapport à un sondage effectué plus tôt ce mois-ci, qui avait montré que les opposants à l’intervention dépassaient les tenants d’une telle intervention par un marge de 14 pourcent.
Il y a un autre aspect de la couverture de presse autour du présumé complot terroriste de Toronto qui mérite réflexion, à savoir le grand nombre de personnalités de l’establishment qui suggèrent que les musulmans sont collectivement responsables de la présumée conspiration terroriste et les appels associés pour que le Canada revoie ses politiques d’immigration et de multiculturalisme ainsi que son approche de la citoyenneté.
Il n’est nullement surprenant que le National Post néo-conservateur argumente selon ses lignes, étant donné qu’il a endossé de manière semi-officielle le prétentieux «Choc des civilisations» de Samuel P. Huntingdon. Mais le Toronto Star, le porte-parole semi-officiel du libéralisme canadien, a également déclaré en page éditoriale que le «fardeau» de la prévention d’un «possible ressac» contre les musulmans incombe d’abord et avant tout «à la communauté musulmane elle-même». Le chroniqueur aux affaires nationales du Star, Jim Travers, a soutenu que le complot terroriste indique que l’État canadien s’est montré trop tolérant envers les différences culturelles et que la citoyenneté canadienne doit être redéfinie afin que «l’intérêt national» passe «en premier». Dans un article subséquent, «L’immigration sous microscope», Travers affirme que «l’affaire et les procès sont le catalyseur d’une introspection qu’il aurait fallu mener il y a longtemps… Soit qu’il (le gouvernement fédéral) ne sait pas ou ne veut pas discuter pourquoi certains groupes ont tant de facilité à s’intégrer au tissu (canadien) tandis que d’autres éprouvent beaucoup de difficultés.»
Passant sous silence le terrorisme d’État beaucoup plus destructif pratiqué par les États-Unis et Israël avec le soutien du gouvernement canadien, ainsi que les invasions en cours d’Irak et d’Afghanistan par des puissances occidentales, le présentateur de CBC radio Rex Murphy a cherché à entraîner les auditeurs de sa tribune téléphonique dans une discussion sur les raisons pour lesquelles le terrorisme est si associé à «cette communauté», c’est-à-dire les musulmans.
En se penchant sur ce phénomène, on ne saurait éviter de mentionner une autre chronique à la une de Christie Blatchford, où elle s’est moquée des condamnations officielles d’un acte de vandalisme commis contre une mosquée de Toronto et des appels officiels contre un ressac anti-musulman.
Dans une chronique intitulée «Le plus gros éléphant de la salle», Blatchford se présente comme quelqu’un ayant son franc-parler et le courage de dire ce que les autres ne diront pas, à savoir que les 17 personnes arrêtées les 2 et 3 juin étaient des musulmans. Comme si les explications de la police ne laissaient pas clairement entendre que le présumé complot terroriste était inspiré de Al-Qaïda.
«Ils ont Mohamed comme prénom, Mohamed comme surnom et Mohamed comme nom», a écrit Blatchford.
Faisant référence à l’assaut de nuit, le lendemain des arrestations, où des fenêtres d’une mosquée musulmane ont été brisées, elle a rejeté du revers de la main les inquiétudes soulevées par cet incident avec le sarcasme suivant: «Ce sont les vandales (probablement des conservateurs de droite toqués, ou peut-être les juifs) ayant cassé des fenêtres hier matin à une mosquée de la région de l’ouest qui se tiennent devant nous comme la plus grande menace à la société canadienne.»
Se moquant du chef de la police de Toronto pour avoir condamné l’attaque, Blatchford a conclu ainsi: «Les fenêtres sont en sécurité partout dans la plus grande ville du Canada, particulièrement les fenêtres des mosquées. Nous sortirons vainqueurs de la guerre aux fenêtres, peu importe le prix.» Et ce, en première page du journal de référence du Canada!
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