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L’administration Bush et la mort d’Al-Zarkaoui

Par Barry Grey
12 June 2006

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L’administration Bush et les médias américains ne se sont pas retenus pour présenter la mort d’Abou Moussab Al-Zarkaoui  comme une importante victoire pour l’armée des États-Unis et le gouvernement récemment installé à Bagdad.

La tentative de réutiliser la mort du terroriste islamique dans un coup de propagande pour les États-Unis et leur gouvernement fantoche à Bagdad est un spectacle scandaleux, qui combine le cynisme au désespoir.

Tôt jeudi matin, heure des États-Unis, le premier ministre irakien Nuri Al-Maliki, flanqué du général George Casey, le commandant suprême en Irak, ainsi que Zalmay Khalilzad, l’ambassadeur américain, ont tenu une conférence de presse dans la zone verte, hautement fortifiée, de Bagdad pour annoncer que le terroriste d’origine jordanienne avait été tué, en même temps que cinq autres personnes, lors d’une attaque aérienne américaine sur un «lieu sûr» près de Baqouba, une ville située au nord-est de Bagdad.

Maliki s’est vanté du fait qu’on avait mis «un terme» à Zarkaoui . Un porte-parole de l’armée américaine a reconnu plus tard que, parmi ceux qui avaient été tués par les deux bombes de 500 livres larguées mercredi soir, se trouvaient une femme et un enfant.

Le président Bush n’a pas perdu de temps pour profiter des nouvelles et détourner l’attention du public des révélations des massacres américains et espérer contenir la baisse marquée de la popularité de son administration, essentiellement la conséquence d’une large et croissante opposition populaire aux États-Unis face à la guerre.

Lors de commentaires, jeudi matin, de la Maison Blanche, Bush a déclaré que «justice» avait été «rendue» au «commandant des opérations du mouvement terroriste en Irak». Il a salué le «courage et le professionnalisme» de «la meilleure armée au monde»

Il a poursuivi en mettant en garde contre tout espoir que les morts et la destruction en Irak allaient diminuer, ou que les troupes américaines allaient être de retour bientôt. «Zarkaoui  est mort», a-il dit, «mais la difficile et nécessaire mission en Irak se poursuit. Nous pouvons penser que les terroristes et les insurgés continueront sans lui» Donnant un avertissement des «jours difficiles à venir», il a fait appel à la «patience soutenue du peuple américain»

Les démocrates ont rapidement acclamé à leur tour la mort de Zarkaoui . Le sénateur Joseph Biden, qui a annoncé son intention de participer à la course pour la candidature présidentielle des démocrates en 2008, a déclaré à CNN que sa mort était «une bonne nouvelle» Il a continué par un éloge de l’armée des États-Unis.

Selon leurs propres affirmations, l’armée américaine et les services de renseignements avaient Zarkaoui  dans leur mire depuis un certain temps, ayant soutiré (on présume par la torture) à des membres de son groupe, Al-Qaïda, des informations cruciales sur ses déplacements. Pourquoi ont-ils décidé d’agir maintenant? Le moment choisi pour l’attaque est sans aucun doute lié à l’accumulation des signes de crise politique à l’intérieur de l’administration Bush et à la démoralisation qui se répand dans les troupes américaines qui occupent l’Irak.

Seulement quelques jours auparavant, le premier ministre irakien Maliki avait publiquement dénoncé l’armée américaine pour son mépris total des vies irakiennes. Répondant à l’exécution de 24 civils irakiens par des marines américains à Haditha, Maliki avait dit de telles atrocités qu’elles étaient «un phénomène quotidien» et accusé les forces américaines de «ne pas respecter le peuple irakien… Ils les écrasent avec leurs véhicules et les tuent sur la base d’un soupçon ou d’une intuition.»

Quant à Zarkaoui , il était un personnage obscur, bien connu des agences du renseignement américain, dont l’allégeance réelle à un moment précis est difficile à définir. Fondamentaliste musulman sunnite fanatique, il était un élément extrêmement réactionnaire en Irak. Dans la mesure où il a été impliqué dans les nombreuses atrocités dont Washington le blâme, son rôle a été de miner la résistance irakienne et d’inciter la guerre civile sectaire entre les sunnites et les chiites.

Zarkaoui  a débuté sa carrière en tant que jihadiste -- comme Oussama ben Laden et tant d’autres qui se sont ensuite retournés contre les États-Unis -- en se rendant en Afghanistan, au début de 1989, pour se joindre à la guérilla des moudjahiddines appuyée par les États-Unis contre l’occupation militaire soviétique.

Même avant l’invasion de l’Irak de 2003, l’administration Bush avait grandement exagéré le rôle de Zarkaoui  dans ce pays pour justifier son intervention illégale. Dans sa tristement célèbre apparition devant le Conseil de sécurité des Nation Unies en février 2003, Collin Powell, alors secrétaire d’État des États-Unis, avait identifié Zarkaoui comme étant la personnification de l’alliance entre le régime baasiste de Saddam Hussein et de Al-Qaïda, une déclaration que le Conseil sur les relations internationales (Council on Foreign Relations) a décrit dans un article publié jeudi dernier sur son site web, comme ayant été «plus tard infirmée», évitant diplomatiquement de dire que c’était un mensonge.

À mesure que la résistance irakienne a grandi suite à l’invasion, l’administration Bush, avec à sa suite les médias et le Parti démocrate, a cherché à identifier à Zarkaoui toute opposition armée aux occupants américains, pour discréditer et assimiler à des terroristes les Irakiens qui luttent pour se débarrasser d’envahisseurs étrangers.

Au même moment, les actions attribuées à Zarkaoui  sont venues aider l’administration Bush à des moments critiques. En février 2004, en présence de signes que la population chiite était sur le point de se joindre à la résistance armée qui se battait dans plusieurs régions sunnites, une lettre publique, supposément écrite par Zarkaoui , appelait tous les sunnites à entreprendre une guerre civile contre les chiites. Plusieurs semaines plus tard, des attentats-suicides eurent lieu dans des mosquées chiites de Karbala et de Bagdad que les États-Unis ont mis sur le compte du «réseau Zarkaoui ».

En mai 2004, peu après la publication des photos abominables de la torture à Abou Ghraïb, l’homme d’affaires américain Nicholas Berg a été kidnappé en Irak et, selon les États-Unis, personnellement décapité par Zarkaoui . Berg a été détenu et questionné par les militaires américains pendant 13 jours avant d’être libéré pour être peu de temps après kidnappé par ceux qui devaient l’assassiner. Les circonstances nébuleuses de ce crime, et le rôle qu’y ont joué les autorités américaines, n’a jamais été expliqué.

De telles atrocités n’ayant pas réussi à stopper ni la résistance irakienne ni la montée du sentiment anti-guerre au sein des États-Unis, et Washington se tournant vers des mesures désespérées pour faire installer à Bagdag un gouvernement qui jouisse d’un semblant d’autorité et de stabilité, les actions de Zarkaoui étaient vues de plus en plus comme un obstacle aux exigences américaines.

L’administration Bush sait très bien que Zarkaoui  n’a jamais exercé l’influence qu’on lui attribue. C’est l’une des raisons pour le ton prudent des remarques faites par Bush et d’autres porte-paroles de l’administration concernant l’impact qu’aurait l’élimination de ce dernier sur la terrible situation à laquelle font face les États-Unis en Irak.

Le site web américain Stratfor, qui soutient l’occupation américaine et maintient des relations étroites avec des éléments provenant de l’establishment américain des forces armées et du renseignement, a dit dans un article mis en ligne jeudi: «[S]elon la plupart des estimations, le nombre de jihadistes étrangers opérant en Irak se situe entre 800 et 1000 à tout moment donné, ce qui ne représente qu’une fraction de l’insurrection en son ensemble, qui impliquerait de 15.000 à 20.000 personnes.»

L’article a continué en notant que l’organisation de  Zarkaoui  était entrée en conflit avec des groupes nationalistes irakiens au sein de la résistance.

Dans l’un des rares commentaires à détonner dans l’euphorie d’une journée de battage médiatique, le reporter et auteur Nir Rosen a eu ceci à dire lors d’une entrevue sur CNN: «Le mythe de Zarkaoui  était une invention américaine.» Il a poursuivi en expliquant que les États-Unis avaient délibérément exagéré le rôle de Zarkaoui  afin de discréditer l’insurrection irakienne, et il a conclu que son absence n’allait pas améliorer la position des États-Unis en Irak.

Il y avait un autre commentaire critique, remarquablement direct et de principe. Michael Berg, dont le fils Nicholas aurait été tué par Zarkaoui de ses propres mains, a laissé bouche bée le présentateur de la CNN qui lui demandait sa réaction à la nouvelle de la mort du terroriste. «Il n’y avait pas de Al-Qaïda en Irak avant l’invasion de Bush», a-t-il déclaré. «Je ne dis pas que Saddam Hussein était un bon gars, mais sous son régime 30.000 Irakiens mouraient tous les ans, maintenant, ce sont 60.000 qui meurent…. Pourquoi serait-ce mieux pour l’Irak d’avoir Bush comme roi au lieu de Saddam Hussein?»


 

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