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Accusations sensationnelles et grands titres lugubres accompagnent le présumé complot terroriste de Toronto
Par Keith Jones
10 juin 2006
Les précis des faits fournis par la Couronne aux avocats des personnes accusées du présumé complot terroriste à Toronto contiennent des accusations sensationnalistes et les médias ont utilisé celles-ci pour alimenter l’indignation et la peur de la population.
Les précis des faits soutiennent que le groupe de Toronto, constitué de 17 personnes, qui sont pour la plupart des jeunes hommes ou des adolescents, aurait planifié de prendre d’assaut les bâtiments du Parlement à Ottawa, de prendre des députés en otages et d’exiger le retrait des troupes canadiennes de l’Afghanistan. Ils soutiennent de plus que le groupe aurait ciblé la Bourse de Toronto, des centrales énergétiques, les quartiers généraux torontois du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et le bâtiment de la Société Radio-Canada (SRC) à Toronto pour de possibles attentats à la bombe ou assauts armés. Un avocat de la défense a rapporté qu’un des accusés, Steven Chand, 25 ans, aurait affirmé qu’il voulait décapiter le premier ministre conservateur Stephen Harper.
Emboîtant le pas aux précis des faits de la Couronne, le journal canadien le plus lu, le Globe and Mail, a porté à la une de son édition de mercredi: «Prendre d’assaut la Colline parlementaire; prendre les politiciens en otages; décapiter le premier ministre»
Mardi dernier, lors de la comparution de la plupart des accusés, l’avocat de Chand, Gary Batasar, a lu des extraits du précis des faits de huit pages lié à l’ensemble du dossier de la Couronne (il existe aussi des précis des faits individuels, pour au moins les douze adultes qui auraient pris part au complot). Il a ensuite discuté les précis des faits avec les journalistes sur les marches du tribunal de Brampton, en Ontario.
Batasar a déclaré avoir rendu publiques les allégations contre son client afin de forcer la Couronne et la police à dévoiler leurs preuves contre lui et ses présumés co-conspirateurs.
Malgré les allégations considérables de la Couronne, celle-ci n’a pratiquement fourni aucune information aux avocats de la défense quant aux fondements de ses affirmations, et elle pourrait bien s’apprêter à refuser de divulguer aux accusés et à leurs avocats les éléments clé des preuves qui pèsent sur eux. Sous la Loi antiterroriste votée en décembre 2001, l’État canadien peut, au nom de la sécurité nationale, empêcher les personnes accusées de crime terroriste, leurs avocats et le public, d’apprendre la nature exacte et l’origine des informations utilisées pour les condamner.
«La raison pour laquelle je me suis adressé aux médias», a déclaré Batasar, «est pour m’assurer que tout ceci ne sera pas gardé secret»
Il a accusé les autorités canadiennes d’essayer de gagner du temps dans un processus où c’est la norme, dans des dossiers criminels ordinaires, de divulguer les preuves. «Ont-ils installé des micros? Ont-ils des enregistrements audio ou vidéo? Une divulgation plus complète est nécessaire. Lorsque des allégations aussi importantes sont portées, il est évidemment possible de verser dans l’hystérie.»
Les avocats des autres accusés ont contesté le refus des autorités de leur permettre de rencontrer leurs clients en privé ainsi que les conditions exceptionnelles dans lesquelles ils sont détenus: en isolement, où tous contacts, même par téléphone, avec des membres de la famille ou n’importe qui d’autre, à part leurs avocats, sont interdits.
L’avocat de la défense Rocco Galati a déclaré que le droit à la consultation privée avec son avocat était un «droit fondamental qu’aucune allégation ne pouvait changer ou diminuer.»
Empêcher les accusés de bénéficier de leurs droits fondamentaux peut devenir un moyen de les soumettre à une pression psychologique dans le but d’obtenir des «aveux spontanés»
Un représentant de la Couronne a fait remarquer que c’était un avocat de la défense qui avait révélé les allégations contenues dans les précis des faits, pas l’État. C’est une remarque malhonnête.
Les autorités -- la Gendarmerie royale du Canada (GRC), le SCRS, les procureurs de la Couronne et le gouvernement conservateur – ont utilisé tous les moyens à leur disposition depuis les arrestations des 2 et 3 juin pour convaincre le public qu’ils ont tué dans l’oeuf un complot bien organisé qui menaçait les Canadiens d’un ou plusieurs actes terroristes atroces.
Non seulement le SCRS et la police ont-ils laissé couler des détails sur le supposé complot dans la presse, mais le premier ministre Stephen Harper et ses ministres s’en sont emparés pour prouver que le Canada était sur la ligne de front de la «guerre au terrorisme». Les comparutions en cour des présumés terroristes ont été l’occasion d’importantes mobilisations policières, où la police était déployée en masse avec des armes semi-automatiques, suggérant qu’il y avait un véritable risque de raid par un commando terroriste pour libérer les accusés.
Dans une entrevue qu’il a donnée à la radio de la SRC mercredi, Julian Falconer, un avocat bien connu, spécialisé dans les droits civils, a noté que les précis des faits de la Couronne avaient la réputation dans la communauté des juristes d’être des «oeuvres de fiction» puisqu’ils présentaient des affirmations de la Couronne qui ne sont soumises à aucune norme de preuve. Ce que la Couronne peut prouver lors d’un procès n’a souvent que peu de ressemblance avec le précis d’avant le procès.
C’est un point important. Mais il y a d’autres raisons pour que la population au Canada, aux États-Unis et internationalement garde une attitude critique face aux allégations du gouvernement et des autorités quant à la nature et à l’importance de la soi-disant menace terroriste.
Il a été révélé que le SCRS et la GRC surveillaient certaines des 17 personnes arrêtées depuis 2004. Selon un article paru mercredi dans le Globe and Mail: «Les arrestations de 17 présumés extrémistes islamiques sont venues couronner les milliers d’heures passées à analyser les conversations et les courriers électroniques interceptés, les longues filatures et les innombrables entretiens avec des informateurs.»
Ceci soulève inévitablement la question du moment choisi pour procéder aux arrestations et porter des accusations. Pourquoi maintenant?
Deuxièmement, selon le scénario esquissé par les autorités, le plus près que les présumés terroristes aient jamais été d’avoir en leur possession du matériel pour leur permettre de construire une importante bombe fut lorsqu’ils ont tenté d’obtenir de l’engrais sous forme de nitrate d’ammonium d’un agent double de la police. (Le week-end passé, les raids de la police ont eu lieu après que certains des accusés aient supposément reçu ce qu’ils croyaient être du nitrate d’ammonium.)
Finalement, les prétendus terroristes semblent être plus des amateurs que les tueurs méthodiques et entraînés décrits dans les présentations de la police et du gouvernement. Selon des reportages du Toronto Star, une demi-douzaine des accusés ont tellement attiré l’attention lorsqu’ils sont entrés sans autorisation sur le terrain d’une ferme en Ontario rural en décembre dernier pour entreprendre un entraînement de type militaire (jouer au tir de balles de peinture et s’exercer au tir) que la police a dû intervenir pour empêcher les villageois de les effrayer ou de les faire savoir par inadvertance qu’ils étaient l’objet d’une importante surveillance policière.
Le World Socialist Web Site n’est pas en position de déterminer la véracité des allégations lancées contre les accusés. Mais peu importe les faits sous-jacents, il ne fait aucun doute que le gouvernement conservateur minoritaire de Harper, avec l’aide des médias de la grande entreprise et d’une opposition parlementaire malléable, a profité du présumé complot terroriste de Toronto pour manipuler l’opinion publique et pousser celle-ci en direction de son programme de droite. Ce dernier comprend l’élargissement de l’intervention des forces armées canadiennes en Afghanistan, des liens plus étroits avec l’administration Bush et le renforcement des pouvoirs de la police et des forces de sécurité au Canada
Un fait particulièrement significatif est la réponse du Nouveau parti démocratique (NPD), le parti supposément de «gauche» au sein de l’establishment politique canadien, au raid et à la campagne de peur médiatique qui l’a entouré. Aucun représentant en vue de ce parti n’a adopté une attitude critique envers le contenu des accusations, les méthodes employées par la GRC et le SCRS, la mise au rancart du droit des accusés à une procédure équitable, ou la manière dont l’affaire est exploitée pour changer le climat politique au Canada dans le sens du militarisme et de la répression.
Ils se sont plutôt empressés de souligner leur appui sans réserves aux actions du gouvernement, afin de faire leur marque en tant que partenaires de plein droit dans la «guerre à la terreur».
«Nous avons tous été choqués d’apprendre qu’une telle chose pouvait arriver au Canada», a dit lundi le chef du NPD Jack Layton. Il a ajouté: «C’est le moment de rester calme, d’être reconnaissant envers notre réseau de sécurité et ses services de police qui ont été capables de tuer cette chose dans l’oeuf».
Mardi, selon l’édition du 7 juin du National Post, le député du NDP Yvon Godin a déclaré que lui et d’autres députés ne se laisseraient pas «intimider» par le présumé complot pour prendre d’assaut le Parlement et prendre des députés en otages. Godin a annoncé que la Chambre des communes allait revoir la sécurité sur la Colline parlementaire.
L’un des objectifs des conservateurs, et non le moindre, dans sa tentative d’exploiter le supposé complot terroriste est de s’assurer une majorité lors d’une prochaine élection. Bien que Harper et ses ministres ont pris soin de présenter le démantèlement d’une conspiration terroriste comme étant une victoire pour «le Canada», c’est-à-dire, en des termes apparemment non partisans, un important thème des attaques lancées par les conservateurs contre leurs opposants politiques, y compris durant le débat du mois dernier sur l’opportunité d’élargir l’intervention canadienne en Afghanistan, a été que les libéraux et d’autres partis d’opposition sont «mous» en ce qui concerne le terrorisme.
Quant à l’administration Bush, elle brandit l’histoire «à succès» du Canada dans la guerre anti-terroriste pour encourager un gouvernement ami de droite et faire croire à ses propres affirmations qu’il existe un danger accru d’une nouvelle attaque terroriste aux États-Unis.
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